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mercredi 20 avril 2016

Le grand marin de Catherine Poulain


Quel grand livre que ce Grand marin ! C’est une œuvre essentielle qui vous transporte réellement, qui vous parle des hommes, du sens de la vie, de la mort, de notre rapport au monde, à l’univers… Bref, UN GRAND !
Elle, c’est Lili et elle part, elle quitte Manosque-les-Couteaux. Cela ressemble à une fuite. On n’en saura pas plus.
Elle va pêcher en Alaska ! La bonne blague, lui dit-on, toi, petit bout de femme, petit gabarit, tu vas affronter un monde d’hommes, un monde violent où tu risques la mort à chaque minute. Ah, ah, laisse-nous rire…
C’est pourtant ce qu’elle fait malgré les « God bless you », les mises en garde : attention « aux lignes qui s’en vont dans l’eau avec une force qui t’emporterait si tu te prends le pied, le bras dedans, à celles que l’on ramène qui, si elles se brisent, peuvent te tuer, te défigurer… Aux hameçons qui se coincent dans le vireur et sont projetés n’importe où, au gros temps, au récif que l’on n’a pas calculé, à celui qui s’endort pendant son quart, à la chute à la mer, la vague qui t’embarque et le froid qui te tue… Embarquer, c’est comme épouser le bateau le temps que tu vas bosser pour lui. T’as plus de vie, t’as plus rien à toi. ». Le ton est donné.
Elle embarque à bord du Rebel avec Simon, John, Vick, Jesse, Jesús, Dave et Jude « l’homme-lion, le grand marin », le taiseux pas aimable qui fascine, celui qui « travaille dans la vague. ».
 Appâter, jeter les palangres à la mer, les remonter en veillant à ne pas passer par-dessus bord, éventrer les poissons vite, très vite, encore plus vite, en ayant des yeux derrière le dos, lutter corps à corps avec la bête qui se débat, briser la glace dans la cale, souffrir du froid tenace malgré la fièvre, de l’humidité, de la faim, des blessures, de l’absence de sommeil, tenir debout alors que les yeux se ferment, asperger le pont d’eau glacée, rincer les cirés et recommencer, jeter les palangres… Et les cris des hommes, le bruit des machines, de la houle et du vent à peine supportables…
 La terre n’existe plus, c’est un autre univers. On est au milieu des éléments, petite chose ballottée au gré des tempêtes, de l’océan qui bouillonne, des vagues violentes.
Le retour sur la terre ferme est aussi une épreuve, le rythme retombe, on tue le temps en buvant encore et encore, on attend le prochain départ car c’est en mer que l’on est « dans la vraie vie », « dans la vie magnifique, luttant au corps à corps avec l’épuisement,… la fatigue et la violence de l’au-dehors. » L’envie de repartir est irrésistible : être dans le mouvement, dans « … le souffle, qui jamais ne s’arrête » et s’épuiser à en mourir : « Et l’on va donner nos forces jusqu’à en tomber morts peut-être. Pour nous la volupté de l’exténuement. »
Et quand la pêche à la morue est passée, on repart pour celle au flétan, au crabe, au saumon… Lili veut être sûre d’avoir vécu avant de mourir : « Ça me rend folle quand on m’oblige à rester, dans un lit, une maison, ça me rend mauvaise. Je suis pas vivable. Être une petite femelle c’est pas pour moi. Je veux qu’on me laisse courir… J’ai peur des maisons. » Elle veut « vivre dehors », être une « runaway, une bête coureuse des routes ». Même son grand marin ne pourra pas la fixer, peut-être parce qu’il en était incapable lui-même…
Je me suis laissé totalement embarquer par les mots de Catherine Poulain qui m’ont littéralement transportée, ravie, dans tous les sens du terme : j’ai pêché auprès de Lili, lancé violemment les milliers d’hameçons dans une mer en furie, tendu un visage bleui au vent glacial qui lacérait ma peau, souffert d’imaginer ses mains meurtries et sa fatigue lancinante rongeant son corps, admiré la beauté infinie de la mer et des cieux, goûté avec elle « la poche de laitance du poisson », avalé, enfin, à mon tour, l’océan, dans ce rapport sensuel aux hommes, aux poissons, à la mer et au vent. Je me suis offerte à la vie…

 Quel voyage, vraiment quel grand voyage !

2 commentaires:

  1. Ce roman m' a fait chavirer d'émotions !

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  2. Oui, pour moi, c'est vraiment un gros coup de coeur! Je vais essayer de rencontrer cette femme extraordinaire au festival Etonnants Voyageurs de Saint-Malo!

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