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dimanche 7 janvier 2018

Les loyautés de Delphine de Vigan


Éditions JC Lattès
★★★☆☆ (J'ai aimé, sans plus)

Lu d'une traite sans aucun ennui – c'est déjà pas mal me direz-vous – oui, c'est vrai mais néanmoins mon impression reste très mitigée. Autant j'avais beaucoup aimé D'après une histoire vraie, autant ce dernier roman m'a laissée sur ma faim, pour deux raisons principalement : tout d'abord je trouve que l'on n'échappe pas aux clichés, au mélo et cela m'a beaucoup gênée. La super prof qui a eu une enfance meurtrie par un père alcoolique et violent et qui, du coup, possède une espèce de sixième sens lui permettant de repérer très vite le gamin en souffrance et qui va tout faire pour l'aider à s'en sortir (contrairement aux autres collègues un peu ramollos et à une institution trop rigide), ouais, impression de déjà vu, déjà lu. Mais surtout, ce que j'ai eu du mal à dépasser, c'est le sentiment que tout cela sonnait faux. Peut-être est-ce parce que j'enseigne moi-même dans un collège depuis bientôt trente ans et que des profs comme Hélène Destrée, je n'en ai jamais vu.
Quoi, me direz-vous, les enseignants ne sont-ils pas dévoués corps et âme à leurs élèves ? Certes, mais ici… Hélène a des inquiétudes au sujet de Théo et va mener sa petite enquête pour savoir si tout est normal du côté de sa famille, si l'on s'occupe correctement de lui, n'en dormant pas la nuit et allant jusqu'à se rendre au domicile de la mère pour regarder « sur le trottoir d'en face… les fenêtres allumées » : eh bien sachez que des profs comme Hélène, je n'en ai jamais rencontré pour la simple et bonne raison que des gamins comme Théo - hélas, mille fois hélas - nous n'en avons pas qu' UN par classe (ce serait trop beau!). Non, ils sont plusieurs et de plus en plus nombreux à vivre des divorces difficiles, à rencontrer de sévères problèmes de communication avec leurs parents, à dormir peu la nuit à cause de toute cette nouvelle technologie qui les dévore, à être en décrochage scolaire, à avoir des problèmes avec le tabac, l'alcool, la drogue, à subir des harcèlements etc, etc...
Nous faisons TOUT, vraiment TOUT ce que nous pouvons, c'est-à-dire beaucoup, nous donnons de notre temps, de notre personne et c'est normal, nous écoutons, nous parlons, nous rassurons, nous protégeons, nous encourageons, nous valorisons, nous éduquons et c'est normal, nous sommes professeurs mais aussi psychologues, assistantes sociales, infirmières parfois même, mais nous ne sommes en aucun cas des surhommes, nous !
Donc, ce personnage d'Hélène qui perd son sommeil et le goût de l'existence parce qu'elle a le sentiment qu' UN de ses élèves va mal : « Je me réveille toutes les nuits le souffle entravé par l'angoisse, et il me faut plusieurs heures pour me rendormir. Je n'ai plus envie de sortir avec mes amis, d'aller au cinéma, je refuse de me distraire », non décidément, je n'y crois pas. C'est beau, touchant, généreux mais sincèrement, si nous réagissions tous de cette façon-là, ce serait la dépression chronique assurée et nous serions bien peu efficaces sur le terrain.
Et puis, tout un ensemble de petites choses m'ont semblé peu crédibles : d'abord, il faut savoir que tous les établissements n'ont pas forcément la chance d'avoir une infirmière et une assistante sociale à plein temps : elles partagent généralement leur service sur deux voire trois établissements. Par ailleurs, en trente ans de carrière, je n'ai jamais vu un de mes collègues d'EPS demander à un gamin qui a oublié sa tenue de sport d'enfiler un survêt rose Barbie trop petit et de faire trois fois le tour du gymnase en courant sous les rires de ses camarades, non, ça fait pleurer dans un film mélo mais ce n'est pas la réalité.
De même, lorsqu' Hélène - super woman - est fière de s'être battue en conseil de classe pour que trois gamins soient mieux orientés, cela me semble bien peu plausible : « Pendant le conseil, j'étais intervenue à plusieurs reprises. Je m'étais étonnée, indignée, insurgée, j'étais montée au créneau… Nous avions obtenu gain de cause pour trois élèves auxquels nous avions évité une de ces orientations par défaut, par paresse ou par renoncement, qu'ils n'ont en aucun cas choisie. »: soyons honnête, notre avis, à nous, enseignants, a peu de poids dans cette affaire puisque ce sont essentiellement les parents et l'enfant qui décident de l'orientation en tenant compte ou non des conseils que nous leur donnons.
Non, nous ne passons pas nos récréations comme Hélène à observer nos élèves « je passe la récréation à épier ses gestes, ses esquives, en quête d'une réponse », tout simplement parce qu'après la sonnerie, le temps que les élèves se rhabillent, rangent leurs affaires, viennent poser deux trois questions, le temps - pour nous - de longer les couloirs, de s'arrêter deux secondes aux toilettes, il nous reste à peine quelques minutes en salle des profs pour boire une demi-tasse de café reposée bien vite dans l 'évier parce que « ça a sonné » et que des gamins attendent sous le préau. Pas le temps donc de chercher des yeux nos élèves en souffrance dans la cour ! Ça donne une belle scène, très cinématographique, très émouvante mais ce n'est pas la réalité non plus.
Non, on ne s'adresse pas nécessairement aux parents de façon agressive comme le fait Hélène avec la mère de Théo, non on ne leur donne pas nécessairement de leçons parce que rien ne nous y autorise et parce qu'on a bien conscience que chacun fait comme il peut. Et surtout, cela risque de couper un lien fragile avec des familles qui n'aiment pas trop mettre les pieds à l'école. Au mieux, on peut suggérer quelques pistes pour améliorer la situation, en y mettant plus que les formes ! Alors un enseignant qui dirait à la mère d'un gamin en souffrance, comme le fait Hélène, des paroles aussi violentes que : « Vous savez, madame, quand on retrouve les enfants au fond d'un trou ou au bout d'une corde, il est trop tard », je ne l'imagine même pas !
Voilà pourquoi j'ai un avis un peu mitigé sur ce roman ; cela dit, encore une fois, je l'ai lu avec plaisir sans pour autant être capable de me départir de cette gêne face à une œuvre à laquelle je n'ai pas vraiment cru et qui ne m'a pas semblé être écrite… d'après une histoire vraie ! Si on ne peut nier que l'auteur a le mérite de mettre en évidence un vrai problème de société, il reste que le personnage principal m'a paru trop caricatural, trop idéalisé et que le livre ne rend pas pleinement compte de la complexité du quotidien qui est le nôtre...

Tant pis. Je sais néanmoins qu'il trouvera son public, c'est bien là l'essentiel.

3 commentaires:

  1. Avis Totalement partagé!

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  2. C'est drôle de vous retrouver ici, je vous ai pour éclaireur sur senscritique sur les conseils de Philippe et je tombe un peu par hasard sur votre site depuis un avis Babelio. Je suis très contente d'avoir trouvé votre Blog!
    J'aime beaucoup Delphine de Vigan, je me réjouis de lire cet opus, dans lequel je n'ai pas encore eu le temps de me plonger! Au plaisir de vous lire!

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