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lundi 30 janvier 2023

Blanc de Sylvain Tesson

★★★★★
Éditions Gallimard

 Bon, allez, on rassemble piolets, cordes, crampons,  peaux de phoque, couteaux à glace, boussole, cartes et l’on s’enfonce dans la matière, la substance, le blanc, l’effacement, la virginité, en un mot, la beauté . Le rêve ? Pas vraiment : il fait un froid horrible, on ne voit rien, on risque à tout moment de se retrouver coincé sous une avalanche et le soir, la température du gîte oscille entre 1° et 5° (et l’on est très content quand on a 5°…) Franchement, c’est un bonheur de lire les crapahutages du gars Tesson surtout quand on est bien au chaud sous sa couette. Il est incroyable ce type : il faut imaginer un Pascal en vadrouille, un La Rochefoucauld alpiniste. Il parle comme un philosophe ou un moraliste du 17e. Il est le « mariage … entre le muscle et l’âme, la vie sauvage et les raffinements de l’esprit.» Il nous invite aux « noces de la plume et du piolet.» C’est délicieux, on se régale. On n’avait pas forcément imaginé qu’il existât des intellectuels sportifs, des athlètes poètes. Avec Tesson, on est servi. D’ailleurs, dans le fond, le blanc sert à ça : penser, méditer, refaire le monde. On peut aussi réciter des poèmes, chanter, penser à des visages, ou selon l’altitude, revoir son Histoire de France : à 1100 mètres, on côtoie les chevaliers de la Table Ronde, à 1700 mètres, on révise son Louis XV. Et puis, « la moindre course dans la montagne dissout le temps, dilate l’espace, refoule l’esprit au fond de soi. » C’est moins cher qu’une thérapie. Plus risqué aussi. Quoique… Et puis, savoir où aller, ça occupe. Le mouvement, toujours le mouvement… Avancer, avancer. Savoir par où passer. Impossible de se poser. Si on ne bouge pas, on y reste. La vie est en jeu. Évidemment, il faut des heures pour faire quelques mètres. Dans un sens, c’est mieux pour méditer, plonger en soi... Et puis le soir, on est content de trouver un feu de cheminée, un coin où dormir et une assiette de soupe. C’est le paradis. « Mais l’homme est ainsi fait que pour apprécier l’amitié d’un poêle à bois, il lui faut d’abord skier entre les avalanches.» Que c’est agréable de n’avoir rien et de n’être rien. L’homme moderne en est réduit à cela. Le temps de la vacance. Faire l’expérience du rien. Quitte à en mourir. C’est en frôlant la mort que l’on se sent vivant…

Un bon bouquin... On n’est jamais déçu avec Tesson. Il est intelligent, lettré. De bonne compagnie. Il a un sacré besoin de s’agiter. Ah le fameux divertissement… Chacun le trouve où il peut. Moi, je crois que tout ce blanc me donnerait un sacré cafard… Pas vous ?


 

jeudi 19 janvier 2023

Un chien à ma table de Claudie Hunzinger

Éditions Grasset
★★★☆☆

 Elle est sympa ma belle-sœur, mais il y a des limites, et le jour de Noël, elle les a franchies. Clairement. Imaginez : je déballe mon paquet et je découvre le dernier livre de mon adorée Claudie Hunzinger. Que je vous confie une chose : Claudie et moi, c’est une longue histoire, des mails échangés, des livres qu’elle m’a envoyés et tout et tout… et même, des excursions en montagne dans les Vosges des journées entières avec mes gosses pour trouver la fameuse Survivance. Bref, Claudie, c’est sacré. Et voilàtipas que ma belle-sœur balance : « ah, ce livre, je l’ai pas aimé, je l’ai abandonné à la page 60… » Alors, là, j’avale (de travers) ma bouchée de saumon et hurle : « non mais attends, Céline, faut que tu relises, c’est pas possible, tu devais être malade, fatiguée surbookée, en dépression… Ah non, non, reprends-le s’il te plaît... » le tout avec trémolos dans la voix …

Bref.

Tendue j’étais.

Et tendue je suis car… Ben oui, je suis déçue. Allez, ça m’arrache la g….. de le dire mais, c’est comme ça… Évidemment, j’ai aimé retrouver l’ambiance petite baraque dans la montagne, lecture, thé, coin du feu, balade dans la nature, observation des bêtes etc etc.… J’adore lire ces trucs-là (plus les lire que les faire d’ailleurs) mais là, ma Claudie, pffffff, c’est trop : oui, t’en fais trop dans le genre, on se coupe du reste de l’humanité pourrie, on se protège, on évite de mettre un pied dans le monde dégénéré des humains, on les regarde de loin avec les jumelles en jurant ne plus jamais les fréquenter, ces êtres incultes et pervertis… Tu vois, ma Claudie, j’aime trop les gens pour lire ça. Oui, je sais, l’ère anthropocène, quelle galère... la société de consommation, c’est naze, on ne lit plus, on se vide la tête avec nos portables, on n’apprend plus de poèmes, on bouffe les animaux, on va traîner dans les centres commerciaux quand il caille dehors, on ne sait pas reconnaître les différentes espèces d’arbres et d’oiseaux. Ils sont nuls, les gens, Claudie, je sais, mais tu vois, je me sens appartenir à ce qu’ils sont. Je veux être parmi eux, partager leurs galères, leur misère, leurs souffrances, leur petit quotidien merdique. Je ne veux pas les observer de loin à la jumelle, je veux en faire partie. Je ne te suis pas, ma Claudie, dans ce détachement extrême, je ne tiens pas à être sauvée. Je veux faire avec. Avec eux. Alors, je n’ai pas vraiment adhéré à ton propos dans ce livre, même si tu parles toujours aussi bien de ton rapport viscéral à la nature et aux bêtes. Mais il m’a semblé que tes paroles étaient un peu trop (pour moi en tout cas) portées par l’air du temps… écolo, végano, bobo, écoféministe, antipatriarcal, anticapitaliste, antispéciste et non-genré (bien sûr!)… Les confinements ambiance pré-apocalyptique, c’est pas pour moi. Je ne me complais pas dans les marges. Je ne crache pas sur le genre humain. Si l’on doit s’en sortir, c’est ensemble, pas chacun planqué dans son trou.

Allez, j’arrête là. J’espère que tu ne liras jamais mes mots, ma Claudie … Porte-toi bien et viens nous voir… Tu verras, on n’est pas si méchants que ça…