lundi 17 février 2020

Et toujours en été de Julie Wolkenstein


 Éditions P.O.L
(J'ai-beaucoup-aimé-mais-je-ne-suis-pas-forcément-très-objective...)


Ça vous tenterait, vous, une petite partie « d'escape game » ? Quoi ? Vous ne connaissez pas ? C'est que vous n'avez pas encore lu le dernier roman de Julie Wolkenstein… En effet, au cours d'un séjour dans la fameuse maison de famille de St-Pair-sur-Mer dont l'autrice parle dans à peu près tous ses romans, elle apprend auprès d'un petit Jules féru de jeux vidéo les secrets de l' « escape game ». Bon, de quoi s'agit-il ? Eh bien, vous pénétrez dans une maison (virtuelle, hein, on est bien d'accord ?), vous découvrez une pièce (l'entrée par exemple), et il va s'agir pour vous de l'explorer dans les moindres détails afin de trouver un indice (« une clef ») qui va vous permettre d'accéder à une nouvelle pièce : ce peut être un miroir, une paire de chaussures, un chapeau, un tableau… L'intérêt du jeu ? Passer de pièce en pièce afin de découvrir un univers inconnu rendu fascinant par un graphisme particulièrement travaillé.
Et puis, avouez qu'une petite balade dans un lieu privé où l'on n'est pas censé traîner ses guêtres, c'est franchement délicieux, n'est-ce pas ?
Tel est donc le prétexte dont se sert Julie Wolkenstein pour nous parler de cette maison de la Manche qu'elle aime tant et où tous les membres de sa famille se retrouvent, l'été souvent, car il faut bien le dire, les grandes maisons normandes de bord de mer, difficiles à chauffer et très humides, invitent au repos surtout l'été…
Explorer cette maison, c'est aussi (et surtout) parler des gens qui y ont vécu et qui ne sont plus : père, frère… Les pièces gardent encore les marques de leur présence : ici un bureau, là un fauteuil, un livre, un vêtement, une paire de jumelles… Si les gens disparaissent, eh bien, ( et d'une façon qui m'a toujours surprise, mais c'est comme ça) les objets restent. Ils sont les témoins dérisoires du passage sur terre de ceux que l'on a tant aimés… (J'ai conservé de ma grand-mère adorée une paire de boucles d'oreilles bleu clair à clip - les a-t-elle portées, je ne la revois pas avec ?, des couverts à salade en plastique jaune et une horrible boîte à bijoux en porcelaine dans laquelle ma fille range ses élastiques de couleur.) Aurait-elle pu (ma grand-mère) imaginer que ces trois pauvres objets lui survivraient et qu'ils seraient les seules traces solides de sa vie ? Et si elle l'avait su, peut-être en aurait-elle choisi d'autres, des « mieux », des plus beaux ? Bref, revenons au roman, même si nous ne l'avons pas quitté dans le fond : en effet, nous explorons pièce par pièce, à travers les meubles, les objets, la décoration, ce que fut (ce qu'est) cette famille… On entre dans son intimité, on suit les réflexions de l'auteure (non, décidément, j'ai un mal fou avec « autrice ») sur la vie, le temps qui passe, les époques, les gens… Alors quand, comme moi, on est fan absolue de Julie Wolkenstein (oui oui, je sais, même âge - donc mêmes références musicales -, mêmes études, même boulot, mêmes lieux de vie… ça aide!), eh bien, c'est tout simple, on se régale… Évidemment, je ne suis pas très objective dans mon propos et je comprendrais très bien que certains trouvent le procédé de l' «escape game » un brin artificiel et donc ennuyeux… Oui oui, je veux bien l'entendre, mais j'ai trouvé l'idée tout de même assez ingénieuse et rigolote.
Voilà… Il me reste, quand les beaux jours viendront, à prendre ma très vieille voiture et à franchir les 89 km qui me séparent de St-Pair pour tenter de repérer (j'ai noté des indices, hé, hé) la vieille bâtisse. Il ne me ( « il ne nous »… car j'ai comme le sentiment que d'autres groupies se joindront à moi!) restera plus qu'à nous asseoir face à la mer, déballer les rondelles d'andouille de Vire, déboucher le poiré de chez moi et contempler, au loin, la vue sur Granville et les îles Chausey…
Bella vista...

samedi 8 février 2020

Lake Success de Gary Shteyngart


Éditions de l'Olivier
traduit de l'anglais (É-U) par S. Roques
★★★★★ (j'ai beaucoup aimé)

Il en a marre … de tout ou à peu près : marre de Seema, sa très belle femme d'origine indienne qui bat des cils devant le voisin écrivain, marre de son fils autiste, Shiva, qui hurle et se débat chaque fois qu'il tente de l'approcher, marre d'être poursuivi par la justice pour délit d'initié, marre enfin de voir sa vie se dérouler sans qu'il y participe vraiment… 
Alors, une nuit, après une soirée bien arrosée, Barry Cohen, l'homme aux 2,4 milliards de dollars d'actifs sous gestion, laisse tout en plan, remplit son sac de sa collection de montres prestigieuses et saute dans le premier car Greyhound qui se présente en direction du Sud-Est : Baltimore, Richmond, Atlanta, Jackson, El Paso...
Voyager en Greyhound… Tout un programme qui ne manque pas de pittoresque pour notre richissime propriétaire d'un appartement luxueux à Manhattan : côtoyer la populace et ses odeurs de transpiration, d'urine, de hamburger, de bière, risquer de se faire piquer sa valise, sa carte bleue, son portable, crever de chaud ou de froid, avoir mal au dos, aux jambes, au cou... Il va falloir s'accrocher... Mais si c'est pour changer de vie, à 43 ans, ça vaut le coup… Faut foncer, découvrir des gens, des vrais, des Américains à qui on ne parle pas, voir un monde dont on ne soupçonnait même pas l'existence, vivre autre chose, de plus authentique, de plus fort et peut-être, si la chance est du bon côté, retrouver Layla, son amour de jeunesse… Peut-être sera-t-elle, elle aussi, prête à se lancer dans une nouvelle vie… Et s'ils trouvaient le bonheur, ensemble ? Et si, pour couronner le tout, Trump n'était pas élu ?
Il y a du Woody Allen dans ce Barry Cohen : plein aux as, mal dans sa peau, complètement schizophrène (avec deux belles obsessions à son actif : les montres ultracoûteuses et l'image d'une famille idéale incarnée par trois enfants se brossant les dents devant trois lavabos Duravit et « s'éclaboussant les uns les autres dans la félicité »), vivant plus ou moins bien son judaïsme, sa sexualité, sa famille, traumatisé par un père « nazi modéré » et nettoyeur de piscines (sans en avoir une lui-même…) 
Il est souvent pitoyable de naïveté ce pauvre Barry, complètement décalé, bien déjanté, insupportable de médiocrité, de prétention, d'amour-propre et si faible, si touchant, si attachant… Ce petit road-trip en Greyhound semble lui faire découvrir le monde, the true life, l'Amérique : un Mexicain borgne, un jeune dealer, une belle noire aux cheveux blonds… Une Amérique des pauvres, des loosers, des marginaux…  
Franchement, ce roman drôle, loufoque et, dans le fond, bien désespéré est vraiment irrésistible et nous apprend beaucoup sur un peuple de laissés-pour-compte usés jusqu'à la corde et qui a voté Trump pour se faire entendre. 
Oui, Lake Success est certainement le grand roman américain de ce début d'année… 
Je recommande !
(Et que je vous dise, entre nous, je me suis lancée dans le plat indien de la famille de Seema : le SAMBAR (ragoût d'okras, d'échalotes, de pois mung, cannelle, curcuma, tamarin (pas encore trouvé celui-là !), piments… Un délice…)