lundi 31 janvier 2022

Le coût de la vie de Deborah Levy

Éditions du Sous-sol
★★★★★


 Tome 2 : « Le coût de la vie » : la cinquantaine, le mariage qui capote et le divorce qui s’ensuit... Puis, la vente de la maison dans laquelle les enfants ont grandi… Il faut trouver un appartement pas cher et donc petit, pas très confortable… Alors, aux grands maux les grands moyens : un vélo électrique pour se déplacer fera l’affaire. Et pour travailler, quelle solution trouver, quel lieu habiter ? C’est là que la prise de conscience arrive : le foyer pour tout le monde que l’on s’est efforcée de créer du mieux possible a fini par être un lieu où l’on ne s’est plus sentie chez soi. Il fallait remédier à cela, il fallait un lieu à soi, où être et où créer : un cabanon dans le jardin d’une copine serait l’espace où recouvrer sa liberté …

Une autre vie, un retour vers soi parce que soudain l’on se rend compte que dans le foyer que l’on voulait parfait, finalement, on s’est mise un peu entre parenthèses, on a voulu tellement bien faire pour les autres, tellement être parfaite qu’on s’est perdue au fil du temps…

Mais où aller? Que faire de soi ? S’il suffisait de peindre tous les murs en jaune pour y voir plus clair, ça se saurait ! Mais non, il faut trouver d’autres solutions !

Le cabanon en est une malgré les températures arctiques. Il suffit juste d’emporter l’essentiel : Apollinaire, Éluard, Plath et Dickinson, un ordi, quelques carnets… Le vélo électrique en est une autre : une forme de liberté, de risque, de cheveux dans le vent. Ce n’est pas à négliger, les cheveux dans le vent, quand les idées virent au noir. Un moyen d’évacuer la rage « en roue libre ». Vingt-cinq kilomètres/heure grâce à un moteur de deux cents watts, voilà comment le vélo devient « le personnage principal de ma vie. »

Dans ce tome 2, j’ai retrouvé ma copine vacillant dangereusement au bord du gouffre et qui, dans un sursaut de vie, un élan complètement fou, s’est aventurée dans le vaste monde, « traversant la frontière seule, … en sentant l’obscurité noire et bleutée, le hurlement des coyotes, le bruit des plantes », préférant tâtonner dans le noir plutôt que de suivre sagement une route bien tracée et trop éclairée. Il faut savoir prendre des risques, écouter ses désirs, arriver en retard avec des toiles d’araignée dans les oreilles et des insectes morts pendus aux sourcils (eh oui, c’est ça de travailler dans un cabanon!) Savoir ne pas être présentable.

C’est ça, savoir ne pas être présentable.

Et en faire une règle de vie !  

 

samedi 29 janvier 2022

Mausolée de Louise Chennevière

Éditions P.O.L
★☆☆☆☆

 Voici l’article le plus court de ma vie de chroniqueuse littéraire : 5 minutes de rédaction, 48 secondes de lecture pour un roman sur la passion amoureuse et la séparation. Un texte plat dans le fond et la forme qui peine à produire une quelconque émotion, avec des jeux de ponctuation prétentieux et faussement profonds du genre : « sans oser le moindre geste, de peur que tu ne te réveilles, et qu’alors tu. »,« … j’ai presque cru que tu ne te réveillerais pas, que tu allais passer la nuit près de moi, rester encore le matin, et. », allez, deux autres pour la route : « Alors, je. », « Toujours, tu. Arrivais par la droite...»

Mais personne n’a osé lui avouer, chez P.O.L, que c’était vraiment ridicule ces trucs-là, et complètement dépassé? Non, franchement, là, il faut le dire : quel est l’intérêt de publier un texte comme celui-ci ?

Autrement, il y a « Passion simple » d’Annie Ernaux.


 

Madame Hayat d'Ahmet Altan

Éditions Actes Sud
★★★★★

 Un bien beau roman d’apprentissage, très classique dans sa forme, que ce « Madame Hayat » ! Nous sommes dans un pays qui n’est pas nommé mais que l’on devine être la Turquie et qui sombre peu à peu dans la dictature : terreur, arrestations arbitraires, violence, confiscation des biens…

Fazil, jeune étudiant en lettres, socialement déclassé après la mort de son père et donc sans le sou, trouve un petit travail de figurant pour une émission de télé. Il y rencontre une femme plus âgée que lui et qui pourrait être sa mère : Madame Hayat, une femme plantureuse aux cheveux d’or, à la robe de miel et au parfum de lys… Il tombe fou amoureux d’elle, de cette femme dont il ne sait rien et qui le fascine... Si elle n’est pas une intellectuelle, elle a l’intelligence de la vie : elle n’a pas lu les grands auteurs mais connaît parfaitement bien les moeurs des fourmis, des mantes religieuses, d’Hannibal, des dauphins, des araignées, des lions, des cicindèles, de Shakespeare et des termites. En effet, Mme Hayat aime les documentaires. Elle aime aussi manger et faire l’amour. Tout est grâce chez elle : sa façon de marcher, de danser, d’être. Tout est volupté, sensualité. Elle est une femme libre, insaisissable, dont le narrateur ne parviendra finalement jamais à percer totalement le mystère. « Tout ce qu’elle désirait, elle le désirait avec passion : une lampe, danser, moi, une pêche, faire l’amour, un succulent repas... » Et finalement, auprès de cette femme, le narrateur échappe momentanément à la chape de plomb qui écrase son pays… « Mme Hayat était libre. Sans compromis ni révolte, libre seulement par désintérêt, par quiétude, et à chacun de nos frôlements, sa liberté devenait mienne. » Mme Hayat est une femme qui a vécu. Mais quoi exactement ? Rien que pour elle, ce roman vaut la peine d’être lu : c’est un personnage magique, plein de sagesse, de fantaisie, qu’on a beaucoup de peine à quitter !

Quand on sait que ce roman a été écrit en prison - en effet, alors qu’il était rédacteur en chef du quotidien Tarf, Ahmet Altan fut enfermé plusieurs années car soupçonné d’avoir soutenu le coup d’État militaire de juillet 2016 contre Erdogǎn (il fut libéré en avril 2021)- on comprend que cette femme est la lumière qui a permis à l’auteur de tenir contre l’adversité, la preuve que la littérature se moque des cellules, des barreaux, des chaînes et les fait voler en éclat. Vous pouvez m’emprisonner, mais vous ne pouvez pas me garder ici. Comme tous les écrivains, je suis magicien. Je peux traverser vos murs sans mal.” écrira l’auteur en prison.

Une ode magnifique à la littérature et à l’amour…

Un bel hommage aux pouvoirs qui sont les leurs...


 

dimanche 16 janvier 2022

Anéantir de Michel Houellebecq

Éditions Flammarion
★★★★☆

 C’est quoi cette eau tiédasse que nous sert Houellebecq avec ce pavé de 730 pages très classe qui se la pète un peu et dont 200 pages de moins n’auraient pas été de refus ? Allez, je fais la fine bouche parce qu’il y a tout de même de beaux passages mais on a sacrément perdu en vigueur : où sont passés sa verve satirique, son mordant, sa causticité ? On l’a connu plus drôle ! Il s’est calmé, notre bonhomme (j’allais dire « rangé » !) Il a mis ses chaussons et son plaid sur les genoux ou quoi ? On avance pépouze, là ! J’espère que ce n’est pas son mariage qui l’a rendu moins décapant ! Bon, on a bien quelques piques ici et là en fin de chapitre mais il faut s’en farcir des longueurs et des longueurs plates comme un trottoir de rue (et qui n’aboutissent finalement pas à grand-chose) avant de retrouver une petite saillie qui nous tire de notre somnolence. Un Houellebecq apaisé, résigné, assagi, voire bienveillant ?

Beurk !

Bon, « comment habiter ce putain de monde » demeure sa problématique essentielle. Trois solutions possibles : Dieu (mais on n’y croit plus) ; la beauté du monde (mais elle n’est pas visible partout) ; et l’amour (il est rarement passionné mais on s’en contentera, hein.) Le sexe, c’est pas mal non plus. Ça permet d’oublier et l’on s’endort mieux après.

Est-ce la fréquentation des grands de ce monde qui l’a ramolli ? Si dans « Sérotonine » le narrateur bien dépressif retrouvait un ami agriculteur dans la Manche qui n’allait pas tarder à se suicider, là, le personnage de Paul Raison, inspecteur du Trésor, 47 ans, travaille à Bercy au Cabinet du Ministre de l’Économie et des Finances (un certain Bruno Juge - alias Le Maire que Houellebecq connaît bien, paraît-il). Lorsque le père de ce Paul tombe malade, il est transféré en EHPAD d’où on le sort rapidement (ouf!) car la sœur de Paul, Cécile, n’a rien d’autre à faire que de s’ occuper de lui (ça tombe plutôt bien!) Elle est dévouée et sait faire de délicieuses tartes aux pommes. Mais sa qualité principale demeure qu’elle croit en Dieu, elle, (quelle chance!) et fermement en plus ! Donc Paul va pouvoir repartir le coeur léger et l’esprit tranquille dans son somptueux duplex avec vue sur le parc de Bercy. Il va retrouver sa femme Prudence dont il s’est, certes, un peu éloigné pendant une petite vingtaine d’années mais dont il découvre sur le tard que les mini-shorts lui font un joli petit cul. Et puis, cette Prudence est une fée de la fellation (belle allitération en f ...) Et plus tard, quand il tombera malade (merde, j’en ai trop dit!), le ministre Bruno J. lui prendra rendez-vous avec les meilleurs cancérologues du monde. Ça aide à vivre tout ça. Évidemment, ça ne résout pas tous les problèmes et l’on meurt quand même. Mais confortablement. (Surtout que Prudence est toujours prête à intervenir ...)

Allez, en vrai, je n’ai pas craché sur le luxueux pavé tout blanc mais franchement, faudrait pas qu’il s’embourgeoise trop, notre Houellebecq. Il risquerait de se perdre...


 

vendredi 7 janvier 2022

Nourrir la bête (Portrait d'un grimpeur) d'Al Alvarez

 

Éditions Métailié
★★★★★


 Il s’appelait Mo Anthoine et son ami (l’auteur) Al Alvarez. Et comme il a fallu trente ans pour que ce texte soit traduit en français, ces gars-là sont morts depuis belle lurette. Mais, évoquons-les au présent, des hommes comme eux, on n’a pas envie d’en parler au passé. Je recommence donc. Il s’appelle Mo Anthoine et c’est un sportif comme je les aime. Un grimpeur. Pour lui, grimper, ce n’est pas faire de la compèt’ en tenue fluo ni être le meilleur pour se trouver à la une des journaux. Le paraître, il s’en fiche ! Non, ce qui l’intéresse, c’est se faire plaisir, avec des copains, des vrais, s’entraider, vivre des moments forts ensemble et aller ensuite au pub pour fêter le dépassement de soi que l’on vient d’accomplir. « En escalade, la seule compétition est avec soi-même… avec ses muscles, ses nerfs, sa force d’âme. C’est même en un sens une activité intellectuelle, à ceci près que vous devez penser avec votre corps. Chaque mouvement doit résulter d’une sorte de stratégie physique, en termes d’effort, d’équilibre et de conséquences. Comme une partie d’échecs avec son corps. » J’aime aussi l’idée que « l’escalade est une activité de paresseux : des salves concentrées d’efforts sur la paroi alternent avec de longues pauses sur les relais où l’on peut s’allonger, se détendre, fumer, admirer la vue ou pester contre la pluie. » Bref, ce gars, il me plaît bien !

Originaire d’un village gallois au pied du Snowdown, pas très scolaire, il s’est vite retrouvé sur le marché du travail apprenti gérant dans l’industrie du tapis. Dans le cadre de sa formation, on a eu l’idée géniale de l’envoyer suivre un programme d’activité en plein air. Il y a des hasards comme ça dans la vie.

Il a tout lâché.

Tout.

Pour l’escalade.

Et tous les sommets mythiques y sont passés : des Alpes à l’Everest, des Dolomites au Old Man de Hoy (un stack - morceau de terre qui s’est décroché du continent - de 137 mètres dans l’archipel des Orcades, nord de l’Ecosse, sur l’île de Hoy… franchement, allez voir sur Wiki à quoi ça ressemble…), des parois de glace de l’Ogre ( sommet de 7300 m sur une montagne située en Himalaya au Pakistan) à El Toro dans les Andes péruviennes en passant par le Gasherbrum (ensemble de sommets de plus de 8000 m au Pakistan), il est allé partout. Il fallait « nourrir la bête » : aller au bout de ses envies, ne reculer devant rien, tout risquer, se faire plaisir. Et je vous assure, quand il raconte ses grimpettes, on est heureux d’être tranquillou au fond de son lit. C’est tellement impressionnant ! On vit pleinement ses exploits, on se dit qu’il ne va jamais pouvoir s’en sortir. On tremble de peur, de froid. Les températures sont délirantes, les hauteurs de neige, n’en parlons pas, et ils avancent (on se demande comment) sur des parois de glace, dans le blizzard (et éventuellement avec des côtes cassées et des extrémités gelées.)

Le matériel est essentiel : cordes, casque, sangles, mousquetons, pitons, étriers, coinceurs… A tel point qu’il finira par créer sa propre entreprise de matériel. Des tentes résistantes et qui ne prennent pas l’eau. Même chose pour les vêtements. Réussir une ascension passe par des petites choses sur lesquelles il ne faut rien lâcher. Rester au sec en est une. Il a créé un casque, le Joe Brown, aussi une broche à glace en titane et un piolet à manche en fibre de verre. Et il y tenait à son matériel. Hors de question de laisser un coinceur dans une fissure !

Bon, à défaut de se lancer dans un dévers ou un dièdre au risque de faire une tête d’alouette si la fiabilité de votre lunule s’est révélée trompeuse, lisez ce livre ! Vous vivrez intensément et à moindres risques !  

mardi 4 janvier 2022

Ce que je ne veux pas savoir de Deborah Levy

Éditions du sous-sol
★★★★★

 J’ai trouvé une copine, comme je les aime, drôle, triste, sensible, folle de littérature, vaguement borderline, une fille vivante à la larme facile et au rire joyeux. Elle s’appelle Deborah Levy, elle est née en Afrique du Sud en 1959. Son père, universitaire juif d’origine polonaise et militant anti-apartheid a été emprisonné pendant cinq ans. C’est long cinq ans, surtout quand on ne comprend rien à ce monde d’adultes plutôt étrange et cruel ! La gamine en perd la voix. Plus rien ne sort. Plus tard, bien plus tard, elle la retrouvera, en devenant écrivaine et elle racontera comment était la vie, là-bas, à Johannesburg en 1964 : ségrégation, tensions raciales, antisémitisme puis son exil en Angleterre où elle est une étrangère.

Et à chaque fois, on y EST parce qu’il y a une telle vivacité dans l’évocation de ces temps difficiles que l’on a sans cesse l’impression de voir, de sentir, de respirer à ses côtés. Elle retrouve intacte la magie de son enfance  et elle nous communique de façon incroyable cette énergie qui est la sienne, son rapport sensuel au monde, la vérité de son expérience. Elle sait trouver le détail souvent drôle et terrible à la fois qui aura une folle puissance d’évocation : ici un perroquet, un bonhomme de neige, là une prise électrique. Une mosaïque d’instantanés qui surgissent à chaque phrase et qui jalonnent les moments charnières de son existence. Ça pulse, le rythme est soutenu, c’est une vie tourbillonnante, échevelée, fougueuse qui se traduit par des majuscules, des onomatopées, des points d’exclamation en grand nombre (tiens, ça me rappelle quelqu’un!!!)

D’autres voix sont convoquées : Virginia Woolf, Simone de Beauvoir, Marguerite Duras, des voix de femmes, d’amies, de proches, des voix d’autres copines avec lesquelles on vit, au quotidien. On ne les cite pas, non, on dialogue avec elles.

Deborah Levy ne veut pas savoir, elle n’est pas du côté de la connaissance mais plutôt de l’expérience, elle veut sentir, douter, changer de chemin, commettre des erreurs et recommencer. Tant pis si elle se plante, tant pis si elle a mal, après tout, la vie c’est se prendre des coups.

Il reste les escaliers roulants pour pleurer...

C’est une femme libre qui parle, une femme qui a su très vite que la littérature lui donnerait de la voix.  « Parler haut, ce n’est pas parler plus fort, c’est se sentir autorisé à énoncer un désir. On hésite toujours quand on désire quelque chose. » écrit-elle.

Je garde ce livre, là, sous la main, en cas de besoin comme on dit. Il saura à coup sûr remplacer les vitamines de l’hiver !