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Éditions Sonatine
traduit de l'anglais (ÉU) par Pierre Szczeciner
Comté de Charon, Virginie : exceptionnellement, je commence par
une citation pour vous mettre dans l’ambiance ! « Flannery
O’Connor a écrit que le Sud était hanté par le Christ. Oui, il
est hanté, mais par l’hypocrisie du christianisme. Toutes ces
églises, toutes ces bibles, et pourtant, les pauvres
sont ostracisés, les femmes se font traiter de salopes quand elles
portent plainte pour viol, et moi, je ne peux pas aller boire un coup
à l’Oasis sans me demander si le barman a craché dans mon
verre. Les gens prétendent que ce genre de choses n’arrive pas à
Charon mais, ce genre de choses est l’essence même des petites
villes comme Charon. »
Celui
qui parle ici est Titus Crown, un enfant du pays, ex-agent du FBI,
premier shérif noir de Charon, bourgade rongée par le racisme.
Titus est un homme fin, sensible, intègre, généreux, d’une
grande humanité, prêt à risquer sa vie pour secourir les plus
démunis, les laissés-pour-compte. Mais il ne fait pas l’unanimité :
détesté par les Blancs nostalgiques de la Confédération, il n’est
pas plus apprécié par les Noirs de la ville qui l’accusent de les
avoir trahis.
Or,
tandis que la ville semble profiter d’une accalmie bien fragile,
une
fusillade se
déclare
au lycée Jefferson Davis : un
jeune Noir, Latrell
MacDonald,
a tiré sur M.
Spearman, le
meilleur prof du lycée. Latrell est immédiatement abattu par un des
collègues de Titus. Encore une bavure policière ou juste un cas de
légitime défense ? Et si ce professeur, M. Spearman, aimé et
admiré de tous, n’était pas si irréprochable que ça ? En
fouinant dans le téléphone portable de l’enseignant, Titus et son
équipe vont découvrir l’horreur absolue et les épreuves qu’ils
vont endurer sont à peine supportables. Accrochez-vous ! Un bon
nombre de suprémacistes blancs se battront corps et âme pour leur
mettre des bâtons dans les roues. Titus devra aller vite car le pire
du pire est encore à craindre et chaque jour apporte son lot de
monstruosités et de violences. Chacun porte un masque à Charon. Pas
facile de savoir qui est qui ! L’enquête pourrait bien être
plus complexe que prévu ! Il va falloir se replonger dans un
passé cruel et répugnant pour mieux comprendre le pourquoi du
comment.
Un
très bon polar, de ceux qu’on ne lâche pas : le portrait
d’une société pourrie de l’intérieur par le racisme, les
tensions intracommunautaires et le fanatisme religieux, sans oublier
les dégâts de l’alcool et des drogues. S.A Cosby nous offre une
vision bien sombre de l’Amérique d’aujourd’hui. Interviewé,
l’auteur explique qu’à la suite du meurtre de George Floyd, il
avait voulu travailler sur le maintien de l’ordre en Amérique et
tenter de comprendre comment un homme pouvait se retrouver dépassé
par le poids de ses responsabilités. Né dans le Sud, l’auteur
sait de quoi il parle et veut montrer que le Sud n’est pas ce que
l’on pense, à savoir uniquement une terre de néo-confédérés
nostalgiques des années passées et de suprémacistes blancs prêts
à en découdre si besoin est. Même si l’on a l’impression que
nombreux sont ceux qui sont comme englués dans un passé nauséabond
fait d’esclavagisme, de ségrégation et de guerre de Sécession,
passé
dont ils semblent
avoir bien du mal à s’extraire, il y a autre chose : toute
une panoplie de cultures, d’histoires, de peuples et des gens comme
Titus Crown qui se battent pour le respect de tous, au-delà des
religions, des croyances et des couleurs de peau.
Un
texte fort, puissant, haletant, hyper-efficace, dont l’atmosphère
oppressante nous plonge immédiatement dans l’Amérique rurale
d’aujourd’hui où les tensions sont extrêmes. La réalité
complexe est particulièrement bien rendue par la peinture de
personnages dont le portrait psychologique, toujours bien fouillé,
rend le tableau saisissant de vérité.
Je
recommande !