mercredi 22 novembre 2017

Un certain M.Piekielny de François-Henri Désérable


Éditions Gallimard
★★★★★ (J'ai adoré)

Comment faire lorsque l'on prévoit d'écrire une biographie sur une personne qui n'existe peut-être pas ?
En effet, tel est le problème qu'a rencontré François-Henri Désérable qui, de passage à Vilnius, en Lituanie, rue Jono Basanavičiaus, tombe par hasard sur la plaque suivante : « L'écrivain et diplomate français ROMAIN GARY (Vilnius, 1914 - Paris, 1980) a vécu de 1917 à 1923 dans cette maison qu'il évoque dans son roman « La promesse de l'aube ». Vous souvenez-vous d'un personnage nommé M. Piekielny dans ce même livre  ? (J'avoue ne pas pouvoir témoigner à ce sujet car je N'AI PAS LU La promesse de l'aube et ce malgré les « harcèlements » quasi quotidiens dont je suis l'infortunée victime… Mon « bourreau » ? (en inclusive, on dit comment ?) Ma collègue de boulot et néanmoins amie - une inconditionnelle de Gary - qui me coince régulièrement et m'interroge sur un ton accusateur : alors, t'en es où de La promesse de l'aube ? Oui oui, reconnais-toi chère D……, dont les agissements sont dorénavant connus sur la place publique.
Alors NON, je n'ai pas lu ce livre et voilà ti pas que le gars Désérable s'amuse à jouer les D……. présentant l'oeuvre comme essentielle, pour ne pas dire vitale, lui qui l'a lue cent mille fois dans tous les lieux et dans toutes les positions. THE perfection. Est-ce un complot ? Je vais finir par le croire et par ne jamais lire ce texte !
Donc, paraît-il que dans ce roman autobiographique et INCONTOURNABLE, je l'ai bien compris, il est question, l'espace de deux trois pages dans le chapitre VII, d'un voisin de palier de la famille Gary (mère et fils) qui a fait promettre audit Gary enfant de dire, plus tard, lorsqu'il serait adulte, aux grands de ce monde (car dans l'esprit de la mère, il ne faisait aucun doute que son génialissime fils adoré fréquenterait les grands de ce monde), de leur dire donc qu'« au n°16 de la rue Grande-Pohulanka, à Wilno, habitait un certain M. Piekielny. »
Et notre F-H Désérable de se demander qui était ce fameux Piekielny et de se lancer dans une enquête serrée pour savoir ce qu'il a fait de ses derniers jours avant que l'Histoire avec sa grande hache ne s'abatte violemment sur lui et sur tant d'autres.
Et l'enquête commence avec des allers-retours à Vilnius, des recherches incessantes sur Internet, des lectures attentives et minutieuses d'archives, de journaux, de romans, de nombreux visionnements d'émissions, des observations à la loupe de photos et moult discussions avec ceux qui ont connu Gary.
Rien.
Absolument RIEN sur « la souris triste », ce petit homme juif si discret.
Rien du tout.
Il n'est nulle part, sur aucun registre.
Aucune trace.
« Jour après jour j'ajournais l'écriture de ce livre, mon enquête patinait, piétinait, elle était au point mort et Piekielny introuvable. »
Bon, c'est bien gentil tout ça mais alors, allez-vous me dire, de quoi parle un livre de 259 pages dont le personnage principal, enfin celui sur lequel on mène l'enquête, est introuvable, ne serait-ce que sous la forme d'un nom qui traînerait sur Google ou ailleurs ?
Alors là, mes amis, croyez-moi, ce n'est pas un problème car notre Désérable a un tas de choses à raconter, des tonnes de digressions, d'apartés, d'anecdotes que l'on croit à côté mais qui sont en réalité au coeur du sujet : sur son bac, sa mère, ses études de droit, son hockey sur glace et sur Gary, un homme qui visiblement le fascine, et là, pour tout vous dire, je me suis RÉGALÉE. Car, disons-le, il a tout pour lui, cet auteur-là (Désérable, Gary, je ne l'ai pas lu, je vous le rappelle) : il est drôle, très drôle, bourré de talent (quelle écriture magnifique!), hyper cultivé. Il te manie la langue comme un vrai dieu, jonglant avec les subjonctifs comme s'il était tombé dedans petit et toi, toi lecteur, je te jure, tu bois DU PETIT LAIT et t'en redemandes !!! Il pourrait me raconter n'importe quoi l'animal, je suis scotchée, j'adhère, je me marre. Il me manipule, je tombe dans tous ses panneaux car je suppose, comme Gary, qu'il a dû m'en raconter des craques, des bobards, des vertes et des pas mûres. Tant pis, je suis dans le grand huit Désérable, lancée dans quelque chose que je ne contrôle pas. Il s'en amuse : tiens, nous dit-il, j'ai lu plein de choses sur la soirée de Gary chez Lipkowski après son Goncourt, je sais tout dans les moindres détails et nous, on bave, on attend et lui de balancer : «...  je pourrais vous y emmener, à ce dîner, mais bon, ces soirées m'ont toujours un peu ennuyé et je suis déjà dans mon lit. » Envie de se ruer sur lui et de l'obliger à écrire sous la torture…
Il te balade, lecteur, pour ton immense plaisir. Il joue de la littérature comme Piekielny jouait (peut-être) du violon. Évidemment, il sait très bien où il va et toi, tu ne vois que du feu. T'as l'impression qu'après son triple salto arrière, il va se vautrer ferme. Il n'en est rien, il retombe parfaitement sur ses pieds. Et c'est grandiose, plein de beauté. Bref, c'est mon premier Désérable et comme vous l'aurez compris, j'ai plus qu'adoré et ce parce qu'au fond, son propos sur les pouvoirs de la littérature m'a beaucoup touchée.
J'ai eu le sentiment que chez lui lire et écrire, ce n'était pas de la rigolade mais une chose sérieuse qui a à voir avec la vie et la mort, une chose un peu magique qui ferait qu'on existerait ou pas, qu'on aurait vécu certaines choses ou pas, qu'on serait mort ou pas.
C'est elle qui décide, qui a le dernier mot, celle qui est capable de « tenir le monde en vingt-six lettres et le faire ployer sous sa loi. »

La littérature vous a rendu immortel, Monsieur Piekielny. Votre vœu est exaucé et nous penserons souvent à vous, même les jours où nous ne passerons pas par le 16 de la rue Grande-Pohulanka…

                  

2 commentaires:

  1. Quel talent, en effet ! Une chose est sûre, c'est un auteur à suivre !

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  2. Quel talent, en effet ! Une chose est sûre, c'est un auteur à suivre !

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