Editions de La Table Ronde
Evidemment, quand on habite en Normandie et que l’on a la chance d’avoir un pommier dans son jardin, on est peut-être plus sensible aux histoires de pommes et de pommiers (même si l’on est incapable de savoir de quelle espèce sont les pommes rouges que l’on cueille chaque automne !).
Car c’est bien de cela qu’il
s’agit, on l’apprend dès le début : « Ils se disputaient encore
à propos des pommes. Lui voulait cultiver davantage de pommes de table, pour
les manger ; elle voulait des pommes à cidre, pour les boire. » Le
ton est donné et l’on sent qu’entre les époux Goodenough rien ne va plus…
Il faut dire que la vie des
pionniers est particulièrement difficile dans le Black Swamp (Ohio) en 1938 :
la boue des marais colle aux bottes et aux vêtements, impossible de s’en
débarrasser. Pour construire sa maison et aménager son potager, il faut
déboiser à se tuer les reins et le lendemain, guetter les premières pousses qui
jaillissent de partout.
Quant aux moustiques, n’en
parlons pas : ils transmettent une fièvre mortelle. Au printemps 1838, Sadie
Goodenough a déjà perdu cinq enfants sur les dix qu’elle a eus, à cause de
cette fièvre. Alors, pour elle, c’en est trop : elle veut partir, quitter
« cette saleté de marais puant » et puis, elle trouve que les greffes
que pratique son mari sur les pommiers, c’est contre - nature. Se prendre pour
Dieu, ça n’est pas une bonne chose… De toute façon, si elle s’écoutait, elle
mettrait volontiers le feu à ce stupide verger. « On vivait pas grâce à
cette terre, non : on était en vie malgré elle. Cette terre cherchait à
avoir notre peau, que ce soit avec les moustiques, la fièvre, la boue,
l’humidité, la chaleur ou le froid. » se dit-elle, folle de rage et
maîtrisant à peine son désir de détruire les arbres chéris de son mari.
Heureusement que l’eau-de-vie de
pomme l’aide à tenir le coup en la détruisant lentement. Alors, quand elle est
couchée, James Goodenough et son fils Robert s’occupent des pommes sous l’œil
attentif de Martha, la fille dévouée qui gère la maison quand la mère ne tient
plus debout. Ils font des greffes et ce n’est pas si simple, une greffe, il
faut avoir le coup de main (j’en connais plus d’un dans mon coin de campagne
qui vous retiendrait un après-midi entier pour vous en parler !). Le père
et le fils protègent leur travail tant bien que mal du raz de marée maternel
qui détruirait tout si elle s’écoutait, furie incapable de sentir dans une reinette
dorée l’arrière goût de miel et d’ananas et trouvant que « toutes les
pommes ont juste un goût de pomme ».
Témoin silencieux des
déchirements quotidiens entre ses parents jusqu’au terrible drame final, Robert
Goodenough partira vers l’Ouest américain, la lumière, l’or : la
Californie. Il exercera différents métiers jusqu’à ce que son amour des arbres
le pousse à rechercher des espèces géantes dont on lui a parlé : les
redwoods et les séquoias de Calaveras Grove. Spectacle fascinant. Sa rencontre
avec un homme William Lobb dont le métier consiste à envoyer des arbres en
Angleterre changera sa destinée. Une postface nous indique d’ailleurs que cet
homme a réellement existé : il a introduit des pommiers dans l’Ohio et
dans l’Indiana et envoyé en Angleterre divers arbres et végétaux venus
d’Amérique.
C’est une histoire simple et
belle : la vie d’un homme qui a voulu fuir, plus loin, toujours plus loin,
porté par sa passion des arbres et le désir d’oublier un passé douloureux.
Mais, c’est difficile quand le cœur est resté sur les terres de l’enfance et
que les années ont passé.
A l’orée du verger est un livre où voyagent des hommes et
des arbres, où les destins se croisent et où la vie, toujours plus puissante,
tenace, entêtée, comme les arbres du Black Swamp, prend racine au plus profond
de la terre et s’envole dans la lumière, ailleurs, vers un avenir plein de
promesses.
Un très beau texte…
je fais partie de celles qui ont eu de nombreux bémols.
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