Éditions Grasset
De toute façon, c’est vrai, je suis une inconditionnelle de Claudie Hunzinger : je guette son nom sur les présentoirs des librairies et lorsqu’un livre d’elle sort, je me jette littéralement dessus. Je ne le lis pas tout de suite, oh non… je fais durer le plaisir. Je le tourne et le retourne, scrute dans les moindres détails la couverture, lis quelques pages, par ci, par là, pour me mettre l’eau à la bouche, et puis j’y vais, je fonce.
Je ne suis jamais déçue. Jamais.
Je reconnaîtrais son écriture entre mille, pleine de sensualité, de poésie, de
couleurs, d’odeurs, de sensations. Parfois je m’arrête dans ma lecture, comme
frappée de beauté : une phrase toute simple, là, inattendue, légère,
pleine de poésie, me transporte. C’est magnifique. Je fais une pause et la
relis.
Et je crois que pour L’incandescente, Claudie
Hunzinger s’est surpassée (mais je dis peut-être ça à chaque fois que je
termine un de ses livres !)
Le sujet ?
La narratrice (Claudie ?) a
quinze ans lorsqu'elle trouve, au fond d’une vieille armoire de famille, dans
les affaires de sa mère disparue, un carton de lettres de jeunes femmes, des
« enfants terribles », condisciples de l’École normale d’institutrices.
Celles qui retiennent particulièrement son attention sont signées : Marcelle.
La narratrice, en parcourant
cette correspondance, se rend compte que la jeune femme « habitait un
recoin » de sa famille, qu’elle était là, sans être là.
Parce que sa mère l’avait aimée.
Marcelle écrit beaucoup,
plusieurs fois par jour. «Voulant vous cacher que vous me plaisiez, je ne vous
cachais pas que vous me déplaisiez ». Elle est une séductrice, Emma ne
résiste pas.
Les deux femmes sont très
différentes : « Si dès le début, Emma écrivait avec un projet
littéraire derrière la tête, Marcelle, elle, écrivait pour envoûter
Emma. »
Marcelle ne compte pas, elle
donne, elle s’offre, écrit des « lettres sauvages, exquises,
vénéneuses ». Elle aime les fleurs, en dispose dans toute sa maison, en
envoie par la poste, en parle dans ses lettres : « Je voudrais voir
des roses, je voudrais voir du lilas, du lilas lourd, du lilas chaud, du lilas
qui s’écroule ». Elle a « des crises d’adoration pour les
fleurs ».
Tandis que l’une veut devenir
adulte, l’autre court dans l’autre sens, appelle les adultes « les
barbares », grimpe aux arbres, court pieds nus dans la neige, se disperse,
jaillit, rayonne, fille de feu insoumise. Elle « dit que le monde la
possède et qu’elle veut le posséder en retour. » Emma, la sérieuse, la
puissante, apprend, travaille, se concentre, aime aussi mais supporte mal que
Marcelle lui fasse « connaître l’insoutenable expérience de la
dépossession d’elle-même. » Elle a besoin de « garder le
contrôle », de se maîtriser.
La fille d’Emma va donc écrire le
roman de Marcelle. Peut-être est-ce ce qu’Emma aurait voulu. Qu’elle
« prenne en charge ce ballot de lettres ».
Deux ans mythiques, de folies
amoureuses, de danses dans les herbes. Puis, la séparation : Marcelle
prend un poste en maternelle à Châtillon-sur-Seine, Emma poursuit en troisième
année à Dijon et écoute attentivement les cours de Mademoiselle Aymé.
Marcelle écrit :
« J’aime ton sommeil mieux que ta vie. Tu m’appartiens mieux quand tu
dors. », « Je déteste Mademoiselle Aymé et son règne qui vous
intellectualise. Vous allez disséquer même mes lettres. », « J’exige
votre affection », « Emma, vous avez l’amour de l’équilibre ;
moi, celui de l’excès. Vous, plus de puissance de compréhension ; moi,
plus de puissance de sensation. »
1928, Marcelle tombe
malade : la tuberculose. Elle doit se rendre au sanatorium des
Instituteurs de Sainte-Feyre, dans la Creuse, « genre de paquebot
immobilisé au milieu du murmure des eaux… On y meurt atrocement. On meurt sans
en avoir l’air. Lentement. »
« Emma, si je meurs,
m’écrirez-vous ? » lui demande-t-elle…
On y vit aussi, comptez sur
Marcelle pour faire du bruit, rire aux éclats, lire des poèmes… un vrai gang de
jeunes filles tenant à peine debout et qui courent à perdre haleine dans les
couloirs et les jardins… au risque de se faire renvoyer.
Chaque jour, la narratrice, fille
d’Emma, se plaît à lire les lettres de Marcelle, à retrouver Marcelle. Elle lui
ressemble, songe-t-elle…
Il y aura aussi les autres filles :
Hélène, Thérèse, Marguerite dont les portraits et les mots nourrissent les
lettres : « Des êtres un peu fantastiques, hybrides, moitié chevelure
de fée et sabre, moitié dragon et pieds nus. »
Des femmes qui resurgissent, qui
renaissent à travers les lettres : elles ont étudié, se sont aimées, ont
souffert. Certaines sont mortes bien prématurément, d’autres ont été torturées,
anéanties par l’Histoire. Mais, elles ont vécu. De chacune d’elles, il eût été
possible d’écrire un livre, la tentation est grande parfois de s’aventurer du
côté de Thérèse, petite Antigone, ou d’Hélène.
Et puis, il y a un autre paquet
de lettres dans l’armoire : celles de Marcel avec un seul l, écrites en
allemand… C’est l’Histoire qui s’invite, « avec sa grande hache »,
comme disait Perec. Le mari d’Emma s’appelait Marcel : « les deux
grandes passions d’Emma portaient le même prénom ». Il est des hasards
dans la vie… En 1940, suite à l’annexion de l’Alsace par l’Allemagne, il
faisait partie de ceux qui avaient dû se reconvertir par la force « de
Français en nazi ».
Parler du père aussi, peut-être,
un jour…
Des portraits flamboyants, généreux
et sauvages de femmes vivantes et aimantes, sans retenue. Un hymne à la vie et
à l’amour à l’état pur comme un diamant. Un texte de toute beauté qui brûle de
sensualité et de folie, la folie de celles qui aiment, malgré tout.
J'étais restée en dehors de précédent livre mais ton enthousiasme sur ce celui-ci est communicatif.
RépondreSupprimerJe ne connais pas du tout cette auteure. Merci pour cette critique très enthousiaste qui donne envie. A découvrir!
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