Ils sont neuf ou onze, même
peut-être quatorze dans cette famille : Charles et Claudette, les grands-parents,
Patrick et Gladys, les parents, Svetlana, Ludmilla, Kimberly, Esteban et
Lorenzo, (admirez la belle « bigarrure folklorique » des
prénoms !) les cinq enfants, Fougère, Elvis, Bastardo, les chiens et
(ils passent après les chiens mais tant pis), les beaux-fils : Fabien pour
Svetlana et Marwan pour Ludmilla. Ouf, j’espère que je ne me suis pas trompée
et que je n’ai oublié personne - j’ai volontairement omis Sven Marinello, le
petit ami de Kim (Kimberly) qui ne mettra jamais les pieds à la maison. La
maison ?
Eh oui, tout ce beau monde (trois
générations) vit (façon de parler) sous le même toit, au 27 bis, rue Trézène,
et c’est… l’ENFER ! Surtout pour la narratrice Kim qui ne ressemble à
aucun des individus cités ci-dessus et ne se sent proche de presque personne…
Ce qu’elle reproche à cette
famille ? Son incurie. Les parents se sont très vaguement occupés des deux
filles aînées (et encore, quand ils avaient le temps).
Kim a été lourdement moquée et
critiquée. Quant aux deux derniers, les petits garçons, c’est comme s’ils
n’avaient jamais existé : ils sont comme transparents. Du vent.
Kim est violente, ses mots sont crus. Son
grand-père, espèce de vieux beau, est un « idiot aussi vaniteux
qu’inculte » et son père « n’est pas un sujet de conversation. »
La mère, la pauvre Gladys, née
avec un bec-de-lièvre et un « narcissisme insubmersible », est la
reine de la vulgarité, de l’obscénité, de la bêtise et j’en passe. Elle n’aime
qu’elle et ses deux filles aînées (et encore !). Enfin, ces dernières sont
bien les filles de leur mère, il n’y a pas d’erreur possible.
Franchement, ces adultes ne
donnent pas envie de grandir et pour Kim, alors qu’elle est en pleine
adolescence, période périlleuse de mutations et de métamorphoses, elle va
devoir se trouver des modèles… ailleurs !
Kim doit aussi s’occuper de ses
frères Esteban et Lorenzo : en effet, ce dernier est quotidiennement
harcelé et humilié à cause de ses taches de rousseur et de ses cheveux orange.
Le pauvre gamin a bien tenté de se raser la tête (laissant apparaître l’étoile
que le père tatoueur avait eu l’idée géniale de dessiner sur le crâne de ses
cinq enfants !), puis de se laisser pousser les cheveux et enfin, d’offrir
des cadeaux aux gros durs pour les attendrir.
Rien n’y a fait, il a fallu
subir. Et à la maison, ce qui peut arriver à Lorenzo, tout le monde s’en f…
Alors Kim a décidé, à l’âge de
neuf ans, qu’elle ne raconterait jamais rien à cette famille de dingues
immatures, d’irresponsables défaillants et d’égoïstes névrotiques, qu’elle ne
leur parlerait jamais de son goût pour Baudelaire, « le seul Charles qui
vaille », de ses folles nuits avec Sven, de ses idées bien personnelles
pour gagner de l’argent rapidement et de son amour illimité pour ses petits
frères, ses petits agneaux.
Non, jamais. Ils ne sauront rien
d’elle… Elle naîtra d’elle-même, se construira sans eux et loin d’eux si
possible : « Si je dois avoir une famille, alors que Baudelaire soit
mon frère et Janis Joplin ma sœur. Pour les parents, on verra plus tard, mais
pourquoi pas John Lennon et Yoko Ono ? » imagine-t-elle, constatant
que, pour le moment, elle est « entourée de porcs, de fauves sanguinaires
ou de proies tremblantes, alors qu’elle aspire éperdument à l’humanité. »
C’est avec une écriture
magnifique et enlevée qu’Emmanuelle Bayamack-Tam brosse le portrait d’une
famille improbable - quoique… À mon avis, chacun y reconnaîtrait les siens…
C’est cruel, mordant, incisif,
cru au possible et pourtant, plein de tendresse et d’amour !
A la fois terriblement monstrueux
et en même temps drôle, burlesque et fou… Une vraie plongée dans le
baroque !
L’enfer, c’est la famille, ne
cherchez surtout pas ailleurs, messieurs-dames, vous y êtes, tout le monde
descend ! N’empêche que, à travers ces pantins ridicules, ces personnages
hauts en couleur, la sainte famille et la société en prennent un sacré
coup !
Un récit d’apprentissage trash et
sans tabous servi par une écriture explosive, poétique et percutante.
Un pur plaisir de lecture…
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