mardi 21 mars 2017

Phalène fantôme de Michèle Forbes


Éditions Quai Voltaire
La Table Ronde
Traduit de l'anglais (Irlande) par A. Neuhoff


Je garderai longtemps en mémoire les images de certaines scènes de ce roman poétique, sensuel, plein de couleurs délicates, comme une peinture. C’est un texte qui s’attache à décrire les émotions, même les plus ténues, les petites choses auxquelles on ne prête pas attention habituellement, la lumière du jour et celle de la nuit, l’odeur délicate d’une plante ou d’un tissu.
Un texte subtil d’une beauté rare et d’une grande sensibilité qui touche l’âme et le cœur…
Nous sommes l’été 1969 à Belfast. George et Katherine Bedford décident d’emmener leurs quatre enfants à la plage. Tandis que les uns jouent dans le sable et que les autres se baignent, la mère gagne petit à petit le large. Soudain, c’est la panique absolue : elle se retrouve nez à nez avec un phoque. Elle est littéralement tétanisée, incapable de maîtriser sa respiration et de regagner le bord. La panique s’empare de la jeune femme qui manque de se noyer. Heureusement, son mari - qui ne sait pas nager – parviendra tout de même à la sortir de l’eau en lui lançant une chemise. C’est un passage incroyable, vraiment très fort : le face à face entre la femme et l’animal est terrible, la détresse qui s’empare de Katherine extrêmement bien rendue.
Evidemment, on s’interroge sur le sens de cette scène initiale. En fait, cet événement a fonctionné dans l’esprit de la jeune femme comme « la madeleine de Proust » sur le narrateur : son passé - symbolisé ici par l’animal - remonte soudainement à la surface, lui revient brutalement à la mémoire et notamment, une histoire d’amour qu’elle a vécue  avec un jeune tailleur, Tom McKinley. Cet homme, un véritable artiste dans son domaine, était chargé de lui confectionner un costume pour un spectacle alors que la jeune femme se produisait comme chanteuse lyrique amateur et jouait le rôle de Carmen.
Ce costume sera une véritable déclaration d’amour à moins qu’il ne soit un acte d’amour lui-même…
Ainsi, tout au long de l’œuvre, se chevauchent deux temporalités : l’année 1969 et l’année 1949 et l’on passe de l’une à l’autre, ce qui permet de mieux comprendre les personnages, de découvrir leurs secrets enfouis et leurs souffrances silencieuses.
Jusqu’à la fin du roman, le lecteur sera tenu en haleine car si Katherine cache un secret à son mari, ce dernier a lui aussi un poids lourd sur le cœur. Mais un couple peut-il durer dans le non-dit ? Faut-il au contraire dire la vérité, au risque de blesser ?
C’est un roman d’amour à l’image d’une tragédie antique où il convient de faire un choix impossible entre amour et raison, décision terrible à prendre et dont on portera le fardeau toute sa vie. C’est aussi un roman sur le compromis, une certaine forme de renoncement qui, s’il n’est assurément pas l’amour fou, s’apparente à une forme d’amour tout de même, le temps serrant les liens et créant un attachement sincère.
Sur fond d’émeutes parfois proches de la guerre civile entre catholiques et protestants, Michèle Forbes nous livre un magnifique portrait de femme très complexe et infiniment torturée, à la fois mère au foyer attentive, dévouée, épouse aimante et cependant attachée à jamais à un passé définitivement perdu où elle fut une amante passionnée. Une femme qui, à sa fille adolescente se demandant comment on sait que l’on est amoureux, répondra dans un souffle : « On flotte et on brûle. », tout en sachant, au fond d’elle-même, que ces sensations, elle ne les a vécues qu’une seule fois et qu’elles appartiennent définitivement au passé.
Un texte qui montre la complexité du sentiment amoureux lorsqu’il se heurte au piège de la moralité, du devoir et des règles sociales.
Fragile phalène prise au piège…

Magnifique !

Lu dans le cadre du Grand Prix des Lectrices ELLE 2017

                                          

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