Éditions Anacharsis
traduit de l'italien par Laura Brignon
Je ne sais d’où me vient ce goût pour les textes qui évoquent la vie d’hommes volontairement coupés du monde, dans les alpages, bloqués l’hiver et profitant de la belle saison pour faire des réserves. Moi qui aime la ville et les gens, me voilà fascinée par les ermites perdus au beau milieu de nulle part… Et à tous les coups, ça marche ! J’avais adoré le très beau livre de l’italien Paolo Cognetti Le Garçon sauvage (Carnet de montagne) qui raconte l’histoire d’un garçon de la ville qui décide de tenter l’expérience de la solitude dans les hauteurs de la Vallée d’Aoste.
C’est encore d’un livre italien
dont je vais vous parler et qui porte un titre qui m’a tout de suite conquise
(pourquoi ? mystère !) : Le
chien, la neige, un pied de Claudio Morandini chez Anacharsis. Comment
définir ce texte ? L’auteur raconte dans une postface que l’œuvre est née
d’une rencontre dans la montagne : en effet, un jour qu’il grimpait, il
reçut soudain une volée de pierres et de pommes de pin. Il leva la tête et
découvrit un homme au regard sombre qui l’observait d’un air pas très aimable.
L’homme était accompagné d’un chien. Au retour de son excursion, l’auteur
interrogea les villageois de la vallée : qui était cet homme, comment
vivait-il ? Personne ne semblait le connaître ni même se préoccuper de lui.
L’année suivante, l’auteur suivit le même sentier en espérant rencontrer
l’homme qui l’avait intrigué. Mais il ne vit personne.
De cette singulière expérience
naquit une fiction : l’histoire d’Adelmo Farandola, un vieil homme qui, il
y a bien longtemps de cela, avait voulu échapper à des militaires pendant la
guerre. Alors, il s’était caché au cœur de la montagne, dans une espèce de
galerie à peine plus large que son corps et avait attendu que les hommes en
pardessus quittent la région. Et il n’était plus jamais redescendu.
Chaque année, avant l’hiver,
Adelmo a pris l’habitude de se rendre à
l’épicerie du village. On se moque de lui car il perd un peu la boule et
traîne une sacrée odeur. Il ne s’est pas lavé depuis un bon bout de temps. La
crasse tient chaud…
Il se charge de viande séchée, de saucisses,
de vin et de beurre et remonte, lentement, jusqu’à son vieux chalet.
Un jour, il sent une présence à
ses côtés : c’est un pauvre chien affamé et infesté de tiques qui le regarde.
Adelmo le chasse et finit par le laisser entrer. S’il crève de faim cet hiver,
il pourra toujours manger le chien. Finalement, l’homme et l’animal se trouvent
bien ensemble : ils marchent, sont à l’affût des moindres odeurs,
observent la vie qui grouille sur la montagne. Un soir, le chien se met à
parler à Adelmo. Il a faim et demande à manger.
Le roman se fait conte ou l’homme devient fou.
Peut-être bien les deux… On ne sait pas. J’aime bien cette hésitation.
La nuit, tandis que le chalet est
recouvert de neige, le bois craque, les bêtes hurlent, le silence est criblé de
mille bruits inquiétants. « Les
gens imaginent que la montagne enneigée est le royaume du silence. Mais la
neige et la glace sont des créatures bruyantes, éhontées, moqueuses. »
Adelmo parle aux bruits, se moque d’eux, les insulte…. Pour se rassurer
certainement…
L’hiver est long : « Suis-je fou ? » demande
Adelmo à son chien. « - Disons que
tu es un peu bizarre, oui. - C’est à cause des lignes à haute tension. Le chien
lève la tête, ne les voit pas « Quelles lignes ? - Celles de quand
j’étais petit. »
Le printemps arrive, homme et
bête sortent respirer un peu, observer les têtards, chasser le chamois. Le
chien se plaint d’une odeur un peu forte. Un jour de dégel, sous un amas de
neige, apparaît… un pied. Il faudra attendre encore quelques jours pour savoir
à qui il appartient. Dans tous les cas, un pied, c’est toujours un peu
embarrassant surtout quand on ne sait pas comment il est arrivé là…
Le chien, la neige, un pied est une histoire étrange et
fascinante, de celles que l’on se racontait autrefois le soir au coin du
feu : une légende de la montagne et des êtres solitaires qui l’habitent.
C’est un texte qui tient du conte et du récit fantastique. L’écriture (et sa
merveilleuse traduction) évoque très subtilement ce monde fait de silence et de
bruits ténus, la poésie qui émane de la beauté sauvage de la nature.
Les dialogues entre l’homme et le
chien sont à la fois irrésistibles de drôlerie et empreints d’une immense
tendresse. C’est désespéré et cocasse à la fois.
Un grand plaisir de lecture…
Lu dans le cadre de la Voie des indés de mars sur Libfly
Lu dans le cadre de la Voie des indés de mars sur Libfly
J'ai aussi beaucoup aimé ce livre. Belle chronique.
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