Éditions Stock
★★★★☆ (J'ai beaucoup aimé)
Je
referme le livre de Christophe Bigot complètement bouleversée par
cette voix qui dit toute la souffrance, la douleur d'un jeune garçon
devenu un adulte qui n'a rien perdu de sa sensibilité dans un monde
où la violence est (toujours) difficilement supportable.
J'ai
senti beaucoup de sincérité dans cette œuvre, beaucoup d'émotion
contenue dans ces mots qui tentent de trouver l'origine d'un malaise
profond, d'une très désagréable impression : celle d'avoir
été, un jour, guillotiné.
Bien
sûr, dès les premières lignes, je n'ai pu m'empêcher de sourire
en lisant cette phrase (qui n'est pas sans rappeler le « Longtemps
je me suis couché de bonne heure » de Proust) :
« Longtemps, j'ai cru que j'avais été guillotiné dans une
vie antérieure. » En effet, l'auteur est persuadé qu'il a
été « condamné puis décapité pendant la Terreur
révolutionnaire. »
Pas
facile de vivre avec ça en tête (sans jeu de mots!)
Donc,
dans un premier temps, cet aveu amuse, puis petit à petit, la
gravité l'emporte, le malaise s'installe. Cela dit, je vous avoue
que j'ai ri aussi franchement (certaines scènes sont en effet
hilarantes) car l'autodérision et l'humour de Christophe Bigot sont
irrésistibles et l'ont aidé, je suppose, à mettre cette phobie à
distance.
Il
s'agit donc pour lui de comprendre l'origine de cette impression pour
le moins étrange que la guillotine lui est familière, qu'il
l'a, d'une certaine façon, déjà expérimentée.
D'abord,
des constats : il n'est pas le seul à souffrir de ce mal :
Claude Lanzmann dans Le
Lièvre de Patagonie
avoue partager les
mêmes phobies. Bon, c'est toujours rassurant de ne pas se sentir
seul.
Par ailleurs, si certains souffrent de choses dont ils ont pu être témoins, on peut comprendre leur traumatisme qui est en lien direct avec leur vécu : c'est en effet le cas de Victor Hugo qui fut confronté malgré lui, à plusieurs reprises, au terrible spectacle du supplice ou de sa préparation (ce qui explique d'ailleurs l'apparition récurrente de ce motif dans son œuvre et est à l'origine de l'écriture de son récit Le Dernier jour d'un condamné).
Par ailleurs, si certains souffrent de choses dont ils ont pu être témoins, on peut comprendre leur traumatisme qui est en lien direct avec leur vécu : c'est en effet le cas de Victor Hugo qui fut confronté malgré lui, à plusieurs reprises, au terrible spectacle du supplice ou de sa préparation (ce qui explique d'ailleurs l'apparition récurrente de ce motif dans son œuvre et est à l'origine de l'écriture de son récit Le Dernier jour d'un condamné).
Mais
dans
le cas de l'auteur, il y a comme
un léger anachronisme : cela fait un bail qu'on n'utilise plus
la machine à raccourcir. Jamais il n'a assisté au spectacle de la
guillotine, lui qui est né en 1976 ! Ah, me direz-vous, le 28
juillet de la même année, Christian Ranucci est guillotiné aux
Baumettes. Toujours au même endroit et de la même façon, Hamida
Djandoubi est exécuté le 10 septembre 1977. Bien
sûr, l'auteur
n'y était pas mais il était né à
ce moment-là et rien que l'idée qu'il y ait eu de son vivant dans
« ce
beau pays qu'on appelle la France, un homme coupant un autre homme en
deux »
lui donne la nausée.
Mais
ce sont peut-être des images, ah, le pouvoir de l'image, qui ont
marqué à jamais le gamin : il a six ans, il regarde Le
Chevalier de Maison-Rouge
de Claude Barma d'après
un roman d'Alexandre Dumas
« La
guillotine apparaît à l'écran. Je la vois pour la première fois.
Pourtant, la silhouette sombre et étroite suscite en moi une
horreur familière. Comment
dire ici les choses au plus près de la situation éprouvée, et
alors même que celle-ci a toutes les apparences d'une affabulation ?
Je ne vois pas la guillotine. Je la reconnais. »,
« C'est
parce que je l'ai senti autrefois que je sens de nouveau, sur ma
nuque, la chute du triangle ferrugineux de rouille et de sang. J'ai
été là,
nécessairement, parmi les condamnés qui attendent, au pied de la
charrette. »
Les
visionnages de ce film seront nombreux, toujours accompagnés
d'angoisse, de terreur, d'interrogations. La question demeure :
pourquoi ce
sentiment ?
L'adolescent
se passionne pour la Révolution :
tout y passe : romans,
BD, magazines, films, spectacles, visites (de
La Conciergerie),
collection de figurines, d'images, rédaction de récits, de pièces
de théâtre, disques, jeux (évocation hilarante d'un quizz sur
Charlotte Corday au chapitre 31),
dessins, recherches
encyclopédiques, création d'un club, d'un spectacle de fin d'année
au
moment du Bicentenaire de la Révolution.
L'identification
se précise : il a été Camille Desmoulins, d'ailleurs sa mère
ne lui apprend-elle pas qu'elle avait pensé l'appeler Camille ?
Alors,
d'où vient cette phobie ? Quel symbole freudien ou non faut-il
y voir ?
Qu'est-ce qui se cache derrière cette obsession qui lui pourrit la vie ? Faut-il aller chercher du côté du père, de la mère, des grands-pères, des grands-mères ? Y a-t-il de l'Oedipe là-dedans ? Quelle peur, quelle culpabilité faut-il y déceler ? Et surtout, comment réagir face à cela ? Jouer à l'autruche ou bien tout secouer, tout retourner, interroger, s'interroger pour tenter de comprendre, pour tenter de mettre fin à une souffrance qui dure depuis l'enfance ?
Qu'est-ce qui se cache derrière cette obsession qui lui pourrit la vie ? Faut-il aller chercher du côté du père, de la mère, des grands-pères, des grands-mères ? Y a-t-il de l'Oedipe là-dedans ? Quelle peur, quelle culpabilité faut-il y déceler ? Et surtout, comment réagir face à cela ? Jouer à l'autruche ou bien tout secouer, tout retourner, interroger, s'interroger pour tenter de comprendre, pour tenter de mettre fin à une souffrance qui dure depuis l'enfance ?
Car
c'est ce que j'ai senti en lisant cette autobiographie, derrière cet
humour et cette autodérision, derrière des chapitres qui m'ont fait
pleurer de rire (ah l'évocation des cours de natation, des remontées mécaniques, ah l'épisode de la communion...), donc, disais-je, malgré toutes ces scènes mémorables, on sent, à fleur de peau, un être hypersensible et fragile, en souffrance, qui a dû (doit?) encore en baver même si l'âge donne des forces et permet de mieux prendre ses distances par rapport au vécu.J'ai
vraiment beaucoup aimé ce texte, sa sincérité, le courage qu'a eu
son auteur de se mettre à nu, seul moyen d'avancer peut-être... Un
vrai coup de coeur de cette rentrée littéraire !
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