Éditions Michel Lafon
★★★★★ (J'ai adoré)
Waouh…
c'est du très bon, n'y allons pas par quatre chemins. Quelle
maîtrise, Monsieur Norek ! Je suis bluffée comme on dit. Sont
réunis ici tous les ingrédients qui font un excellent polar :
une construction au millimètre, une langue fluide et des dialogues
dynamiques, du suspense (impossible de reposer le bouquin), une
plongée dans un univers, des personnages émouvants et très
attachants… Tout y est : vraiment j'ai adoré !
Bon,
que je vous raconte un peu : si je vous dis « Calais »,
vous allez penser à quoi ? Son beffroi de 78 mètres, ses
fameux bourgeois immortalisés par Rodin, son port, sa plage ?
Pas
vraiment, me direz-vous… Les mots qui vous viendront à l'esprit
sont La Jungle, les migrants, le rêve du passage vers l'Angleterre
(Youké, comprenez UK), la survie sous une tente, le froid, la faim,
la misère, la violence, la mort.
Et
c'est là qu'Olivier Norek donne rendez-vous à ses personnages, dans
ce lieu qui n'en est pas un, dans cet espace où la police ne met pas
les pieds, le plus grand bidonville d'Europe : « vous y
allez souvent ? - Aux abords tous les jours. A l'entrée, quand
il le faut. Mais dedans, rarement. C'est à la fois une zone de
non-droit et un bidonville » où des enfants, des femmes,
des hommes tentent de survivre comme ils peuvent, épuisés par un
voyage qu'aucun de nous ne ferait. Bref, un endroit à la marge,
« entre deux mondes », une espèce de no
man's land avec des hommes, enfin, ce qu'il en reste. Pour une
plongée, c'est une plongée (l'auteur a partagé trois semaines la
vie des réfugiés mais il a rencontré aussi les policiers, les
politiques, les journalistes, les calaisiens...) et vous verrez,
quand vous entendrez parler de Calais et des migrants, vous
n'envisagerez plus tout à fait les choses de la même façon… et
pour cause…
Extrait
d'une discussion entre flics en faction de nuit à Calais :
« -C'est
comme dans les films d'horreur, tu sais, quand la nana court dans la
forêt, qu'elle se casse la gueule tous les trois mètres et que
l'assassin la suit, tranquille en marchant.
-
Je vois pas le rapport.
-
Mais si, attends. Bon, elle a réussi à sortir de la forêt et elle
tombe sur une petite maison. Elle cogne à la porte, elle dit qu'elle
va se faire égorger, qu'un fou la suit et tout et tout. Là, le
proprio, s'il ouvre pas, les spectateurs le traitent d'enfoiré.
Normal, non ?
-
Ouais. Non-assistance à personne en danger. Mais je vois toujours
pas le rapport.
-
Le rapport c'est qu'on fait exactement la même chose. Tous ces
migrants, là, c'est comme s'ils fuyaient un assassin en série,
qu'ils frappaient à notre porte et que nous, on faisait semblant de
pas entendre.
-
D'accord, sauf qu'ils sont dix mille à toquer. Et avec le phénomène
d'aspiration, si on ouvre pour ceux-là, dix mille autres se
présenteront, puis dix mille autres.
-
Je sais, mathématiquement, ça tient, mais humainement, ça bloque
toujours... »
Bon,
un peu longue ma citation, mais elle pose en quelques mots toute la
complexité d'un problème quasi insoluble dont Olivier Norek nous
dresse, sans manichéisme aucun, un état des lieux… A nous de nous
interroger...
Adam
Sarkis, ancien membre de l'Armée syrienne libre, recherché dans son
pays pour trahison, se retrouve là, à Calais. Il attend sa femme
Nora et sa fille Maya qui sont parties avant lui, pour plus de
prudence. De Damas, elles doivent passer par Beyrouth, Amman,
Tripoli, Pozzalo, puis… Calais. Voilà ce qui est prévu. Ils sont censés maintenant se retrouver. Après, ils verront. Mais pour le
moment, elles ne sont pas encore là...
Arrive
aussi, à peu près au même moment, un flic, le lieutenant Bastien
Miller affecté à la brigade de sûreté urbaine de Calais. On le
prévient tout de suite, Calais, ce n'est pas une sinécure. Poids
lourds pris d'assaut, agressions en tous genres, barrages sur
l'autoroute, morts de migrants, vengeances, magouilles, meurtres,
viols, tensions entre communautés (comme le dit Ousmane, un
réfugié : « Tu dois faire attention aux Afghans.
Ils ne sont pas pires que les autres, mais comme ce
sont les plus nombreux, ils essaient de faire la loi. C'est naturel.
C'est la survie. Nous devenons tous des monstres quand l'Histoire
nous le propose. ») Présence, aussi, des recruteurs pour
Daech. Et, bien sûr, des humanitaires débordés. De plus, la
cohabitation est ultra-tendue avec les Calaisiens : des bagarres
sont à déplorer, la ville perd ses touristes, les magasins ferment,
le taux de chômage grimpe, les maisons ne valent plus rien… Il
faut gérer ça au quotidien. Bref, Bastien est prévenu. Ses
collègues n'en peuvent plus : dépressions, tentatives de
suicide, arrêts-maladie, problèmes de couple et impossible de
muter : quand on y est, on y reste.
Et
puis, il y a un problème dans cette Jungle (qui doit son nom au fait
que les migrants iraniens ont appelé ce secteur boisé « La
forêt » à savoir « jangal » en persan : or,
tout le monde a cru entendre « jungle »...), difficile
d'intervenir comme l'expliquent les collègues de Bastien : « …
tous ces types dans la Jungle fuient la guerre ou la famine. On n'est
pas sur une simple migration économique mais sur un exil forcé. Ce
serait un peu inhumain de leur coller une procédure d'infraction à
la législation sur les étrangers et de les renvoyer chez eux. On
passerait pour quoi ? Mais d'un autre côté, c'est plutôt
évident que personne ne veut se soucier de leur accueil puisqu'on
les laisse dans une décharge aux limites de la ville. Alors on leur
a créé le statut de « réfugiés potentiels ».
Un statut qui n'existe qu'à Calais : avec cette appellation de
réfugiés potentiels, ni on ne les arrête, ni on ne les aide. On
les laisse juste moisir tranquilles en espérant qu'ils partiront
d'eux-mêmes. »
Des
gens que l’État français refuse de faire entrer dans son système
judiciaire, ce qui reviendrait d'une certaine façon, à les
intégrer. Et de ça, pas question... Alors, tout se passe comme
s'ils n'existaient pas, n'avaient pas vraiment de statut, d'identité.
Une zone de non-droit habitée par des fantômes qu'on espère de
passage. Et le pire peut y arriver.
Donc,
tous les soirs, ça recommence, c'est l'assaut des camions, les
grenades lacrymogènes en quantité qu'il faut jeter pour aveugler
tout le monde, l'hélico qui survole et repère, les chiens
surexcités, la trouille des chauffeurs et des migrants prêts à
tout pour passer. Le cauchemar. Au quotidien.
Enfin,
Bastien sera prévenu : « -Réfléchissez pas trop
lieutenant. C'est pas une bonne idée. Ce job, il se fait en apnée.
Tentez pas de respirer sous l'eau. »
Mais,
comme vous l'imaginez, ce n'est pas forcément son genre au gars
Bastien de ne rien dire et de ne rien voir… Trop humain pour fermer
les yeux.
« A
la fin il faudra regarder tout ce qu'on a accepté de faire. Et ce
jour-là, j'ai peur de me dégoûter. »
Encore
une fois, un polar rythmé, efficace, très bien documenté (une
année d'enquête et six mois d'écriture) qui va vous faire
découvrir un monde que vous n'imaginez même pas dans vos pires
cauchemars ! Et des personnages que vous ne serez pas près
d'oublier…
A
lire absolument !
MERCI ; je vais le lire et l'offrir.
RépondreSupprimerAnne-Lyse
Rolala, il faut vraiment que je le lise celui-ci... Je n'en entends que du bien !!!!
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