Éditions Rivages
★★★★☆(J'ai beaucoup aimé)
« Lizzie
Borden prit une hache
Et
en donna quarante coups à sa mère
Et
quand elle vit ce qu'elle avait fait,
Elle
en donna quarante et un à son père. »
Charmant,
n'est-ce pas ? C'est la petite comptine que criaient les
marchands de journaux le jour du procès de Lizzie Borden...
Une
histoire incroyable et ...vraie, en plus ! Je vous en dis deux
mots :
Nous
sommes le 4 août 1892, à Fall River (Massachusetts) au 92 Second
Street. En cette fin de matinée, il fait une chaleur étouffante.
Dans la famille Borden, tout le monde est malade et passe son temps à
vomir … Enfin, quand je dis tout le monde, ce n'est pas tout à
fait exact : Lizzie (la fille), 32 ans, semble avoir échappé à
l'intoxication alimentaire ou à… l'empoisonnement…
Le
père, Andrew Borden, est rentré du travail plus tôt tellement il
se sentait mal, la belle-mère Abby se plaint de maux de ventre et la
bonne Bridget a du mal à accomplir le travail harassant qu'on lui a
demandé : laver les vitres.
Seule,
Lizzie traînasse d'une pièce à l'autre, désoeuvrée, cueille une
poire dans le jardin, la mange et poursuit son errance... Elle en
veut à son aînée, Emma, d'être partie chez son amie Helen à
Fairhaven. Lizzie trouve le temps long. Heureusement John, son oncle,
a rendu visite à la famille et introduit un peu de mouvement dans
cette maison où chacun semble dans un sale état. La journée avance
lentement. L'air est irrespirable. Le silence est tel qu'on
entendrait une mouche voler. Lizzie entre soudain dans la pièce où
se repose son père. C'est le choc. Elle découvre horrifiée un
cadavre atrocement mutilé. Le crâne a été fendu par plusieurs
coups de hache, la pièce baigne dans le sang. Lizzie
hurle : « Quelqu'un est entré et l'a
découpé ». La bonne accourt, crie, fonce chercher le
docteur Bowen puis arrivent Mme Churchill, la voisine et la police.
Tous
demeurent incrédules : qui a pu commettre un crime d'une telle
violence à Fall River ? Peu de temps après, montant chercher
un drap pour envelopper le corps d'Andrew Borden, les voisines
découvrent un deuxième cadavre : celui de la belle-mère qui a
été assassinée elle aussi !
Panique
à bord !
La
maison était fermée à clef. Ni Lizzie ni Bridget n'ont entendu le
moindre bruit. Ni l'une ni l'autre n'ont la moindre tache de sang sur
leurs vêtements…
Je
ne peux m'empêcher de penser au crime dont parle Philippe Jaenada
dans La Serpe : père, tante et bonne assassinés,
portes du château verrouillées de l'intérieur, aucune tache de
sang sur les vêtements du suspect, Henri Girard…Et le mystère
demeure...
Je
suis allée fouiller sur Internet : les faits décrits dans Les
sœurs de Fall River, dans l'ensemble, sont exacts (à un
élément près que je tais pour des raisons de suspense), Sarah
Schmidt livre d'ailleurs au lecteur une chronologie très précise à
la fin du roman.
Ce
qui fait, à mon avis, l'intérêt de ce texte, outre l'évocation de
cette histoire absolument incroyable qui est devenue un mythe et a
donné lieu aux États-Unis à un nombre incroyable de romans, BD,
films, pièces de théâtre, musiques, ballets….. , c'est
cette atmosphère étouffante, voire parfois franchement écoeurante,
qu'a réussi à créer l'auteur (âmes sensibles s'abstenir) :
on sent un terrible malaise et l'on a l'impression que les liens
entre les personnages, s'ils contiennent de l'amour, sont loin d'être
dépourvus de haine, ce qui laisse supposer que chacun d'entre eux
aurait très bien pu commettre un tel crime.
En
effet, dans ce roman choral, les personnages prennent la parole tour
à tour, exprimant leur point de vue sur les autres membres de la
famille, les événements.
Le
portrait de Lizzie, femme-enfant assez fantasque, sensible, un peu
folle, est particulièrement fascinant : qui est-elle au fond ?
est-elle aussi fragile qu'elle en a l'air ? cache-t-elle quelque
chose ? C'est vraiment un personnage étrange, difficile à
cerner : elle dit une chose, puis son contraire, répond souvent
à côté ou en usant de formules assez étranges, rit et pleure
presque en même temps, à tel point qu'on se demande quels sont ses
sentiments profonds.
De
son côté, Bridget, la bonne, rêve de retourner dans son Irlande
natale mais sa patronne la retient contre son gré : jusqu'où
serait capable d'aller la jeune fille pour se libérer de cette
prison qu'est devenue pour elle la maison des Bowen ?
Et
Emma, la sœur aînée ? Était-elle vraiment chez son amie,
aurait-elle eu le temps de faire un aller-retour ? Comment
supporte-elle cette sœur un peu loufoque à laquelle on passe tous
les caprices, cette sœur dont elle doit s'occuper et qui l'empêche
de vivre sa propre vie ?
Et
l'oncle John, pourquoi est-il revenu ? Que cherche-il ?
Quelle haine porte-t-il en lui ?
Un
monstre se cache-t-il à l'intérieur de l'un de ces personnages? Ou
bien, quelqu'un est-il venu de l'extérieur régler ses comptes avec
Andrew Borden ?
Plus
l'on avance dans l'oeuvre, plus nous sont dévoilés des éléments
du passé ou de la personnalité de chacun des protagonistes. Tous
semblent avoir leurs secrets, leurs mystères, leur part d'ombre.
On
ressort de ce roman avec l'impression d'avoir baigné dans une
atmosphère oppressante au possible, à la limite je trouve, parfois,
du fantastique : en effet, Lizzie semble percevoir le monde de
manière déformée et la maison elle-même, les meubles, la pendule
donnent l'impression de participer à ce sentiment d'étouffement, de
suffocation. Tout semble collant, sale, poisseux et même, disons-le,
puant (ah les odeurs de ragoût de mouton...)
Le
lecteur semble lui aussi comme retenu prisonnier dans ce terrible
huis clos macabre.
Quelle
atmosphère effrayante !
Un
thriller psychologique envoûtant...
Une
vraie réussite !
Très belle critique, qui m'a donné envie de lire ce livre. Je ne partage pas totalement cet enthousiasme, mais très contente quand même de cette découverte-
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