Éditions du Seuil
★★★★★
J'ai
tout entendu sur ce livre : indigent, ni fait ni à faire,
simpliste, creux, inutile, un livre qui se moque du monde… Une
telle volée de bois vert peut sembler suspecte. Ayant lu et vraiment
beaucoup aimé En finir avec Eddy Bellegueule et
Histoire de la violence, je me devais de jeter un oeil
sur le dernier opus qui déchaîne actuellement les passions.
Eh
bien... qu'il est beau ce livre !!!!
Complètement
essentiel à mes yeux.
Avec
des phrases simples, il dit exactement et précisément l'immense
douleur du fils qui ne reconnaît pas son père. C'est quand même
quelque chose ça ? Ne pas reconnaître son père ! Non ?
Ce fils qui voit le corps du père usé jusqu'à la corde, pompé par
le boulot, le corps d'un homme qui, à cinquante balais, ne peut plus
marcher, ne peut plus respirer. Alors ce fils accuse. Il dit les noms
de ceux qui, du haut de leur tour d'ivoire, n'imaginent même pas une
seule seconde que leurs décisions politiques puissent avoir des
conséquences directes, concrètes et terribles sur les plus démunis.
Parce que « La politique ne change pas la vie » de
ceux qui la font. « Pour les dominants, le plus
souvent, la politique est une question d'esthétique, une manière de
voir le monde, de construire sa personne. Pour nous, c'était vivre
ou mourir. » Faut-il rappeler que quelques euros en moins
signifient pour certains des fins de mois où l'on ne donne aux
gamins que des tartines de pain, le soir ? Au mieux. La cantine
du midi a intérêt à être à la hauteur. C'est débile de rappeler
des choses comme ça ? Je suis enseignante et je vois des
parents d'élèves aux doigts noircis par le gel des compartiments
frigorifiques de l'entreprise où ils travaillent toute la nuit, des
gens pliés en deux à cause des charges qu'ils transportent toute la
journée et ces gens-là me disent : mon gamin faut qu'il fasse autre
chose, moi ma vie est pourrie, faites ce que vous pouvez, madame.
Des
gens détruits, bousillés, épuisés, bouffés par leur boulot. Pas
même besoin d'un accident de travail pour être réduits à néant.
Pourquoi
ne pas pointer du doigt les responsables ? Pourquoi ne pas citer
des noms ? Pourquoi rester dans l'abstrait ? Encore une
fois, les choix politiques ont des répercussions concrètes
sur les gens.
« L'histoire
de ton corps accuse l'histoire politique »
Quand
je lis que ce livre est simpliste, ça me fait sortir de mes gonds.
Non,
ce livre dit clairement que dans notre société, certains ont « une
existence négative » : « Tu n'as pas eu
d'argent, tu n'as pas pu étudier, tu n'as pas pu voyager, tu n'as
pas pu réaliser tes rêves. Il n'y a dans le langage presque que des
négations pour exprimer ta vie. »
« Ta
vie prouve que nous ne sommes pas ce que nous faisons, mais qu'au
contraire nous sommes ce que nous n'avons pas fait,
parce que le monde, ou la société, nous en a empêchés. Parce que
ce que Didier Eribon appelle des verdicts se sont abattus sur nous,
gay, trans, femme, noir, pauvre, et qu'ils nous ont rendu certaines
vies, certaines expériences, certains rêves, inaccessibles. »
Sur
quelle planète vivent ceux qui jugent ces propos creux ou
inutiles ???? N'ont-ils pas entendu ne serait-ce que l'écho de
certains combats? Ne savent-ils pas que pour les catégories citées
ci-dessus, il faut encore se battre pour être respecté, pour
trouver du travail, un logement, pour ne pas se faire cracher
dessus ? Rien n'est acquis. Et des livres comme celui d'Édouard
Louis le disent. Pas de langue de bois, pas de propos vaseux. Rien de
sibyllin. La langue est claire, nette, dépouillée, elle heurte par
sa franchise, sa netteté, sa vérité. Elle dérange parce qu'au
fond, toute interprétation est devenue inutile. C'est clair comme de
l'eau de roche et tellement évident que ça devient gênant !
Peter
Handke dans Le malheur indifférent (1972), texte qui a
beaucoup influencé Édouard Louis, parle de sa mère qui s'est
suicidée à l'âge de 51 ans en ces termes : « Naître
femme dans ces conditions c'est directement la mort…
Fatigue / Épuisement /
Maladie / Maladie grave / Mort. » CQFD. Et c'est la rage
qui pousse l'auteur à dénoncer ce que la société a fait à sa
mère, ce que la société fait aux femmes.
Il
y a aussi dans le roman d'Édouard Louis le retour vers le père et
c'est magnifique, d'une beauté sidérante dans le dépouillement des
mots employés : « Il me semble souvent que je
t'aime. » Dans les mots si simples de l'auteur, j'entends
la voix du petit garçon « Tu as dit que tu n'avais jamais
connu d'enfant aussi intelligent que moi. Je ne savais pas que tu
pensais tout ça (que tu m'aimais?). Pourquoi est-ce que tu ne me
l'avais jamais dit ? »
Faites
ce que vous voulez, moi je pleure.
Magnifique,
sublime et indispensable.
En tous points,absolument d'accord avec vous !
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