Éditions Quai Voltaire/ La Table Ronde
★★★★★ (J'ai adoré)
Voici
un roman qui m'a rappelé de délicieuses heures lorsque adolescente,
plongée dans la lecture de Rebecca de Daphné Du
Maurier, j'oubliais tout du monde qui m'entourait. Cette sensation
vous fait un effet « petite madeleine » ? Vous rêvez
d'entrer de nouveau dans un univers étrange et mystérieux (les
vacances et leur temps sans contraintes s'y prêtent merveilleusement
bien) ?
Alors,
sans aucun doute, Dans les angles morts est pour
vous, car il y a du Rebecca dans ce récit
fascinant d'Elizabeth Brundage d'une puissance romanesque à couper
le souffle (oui, la métaphore est un peu usée mais tant pis,
j'assume!)
Je
vous explique : un jeune couple de New-Yorkais, les Clare,
souhaitant quitter leur appartement exigu et cher, s'installe avec
leur fille, Franny, dans une ancienne bâtisse, la ferme des Hale,
vendue aux enchères pour une bouchée de pain. Quelle chance de
pouvoir profiter de ce lieu unique où la vue sur la campagne est
digne des plus beaux tableaux du XIXe !
Qui
sont ces Hale ? Des fermiers qui firent faillite. Après avoir
vendu tout ce qu'ils pouvaient vendre, ils se suicidèrent dans leur
ferme, laissant trois jeunes garçons : Cole, Eddy et Wade qui
furent élevés par leur oncle.
Or,
lorsque les Clare prennent possession de leur nouvelle demeure, le
mari, George, ne souhaite pas que Catherine soit informée de la mort
tragique qui a eu lieu précisément là où ils comptent démarrer
une vie nouvelle, pleine d'espoir. Pour lui, ces événements
appartiennent au passé mais il sait que pour sa femme, plutôt
nerveuse, assez sensible et un brin dépressive, cette information
lui ferait à coup sûr renoncer à cet achat.
Leur
vie commence donc dans cet univers qui leur est complètement
étranger : tandis que George part à l'Université où il
enseigne l'histoire de l'Art, Catherine, qui a abandonné à
contrecoeur son métier de restauratrice de fresques murales, se
familiarise tant bien que mal avec des lieux qu'elle trouve d'autant
plus oppressants qu'elle a l'impression que la maison est encore
habitée...
Or
nous savons d'emblée, dès les premières pages du roman, que
Catherine sera retrouvée morte dans son lit, assassinée, une hache
enfoncée dans le crâne…
Qui
a pu tuer cette femme douce et généreuse qui ouvrira sa porte aux
enfants Hale, leur donnant à manger, confiant sa fille à l'un d'eux
ou leur proposant de repeindre la façade de la maison pour qu'ils se
fassent un peu d'argent ? Difficile d'ailleurs pour ces jeunes
de reprendre contact avec cette maison qui fut celle de leur enfance
et de leur bonheur...
C'est
dans un très long retour en arrière que l'auteur fera le portrait
minutieux de ce couple, les Clare, qui espère vivre mieux loin de la
ville, dans des paysages qui ressemblent fort aux tableaux de
Frederic Church ou de Thomas Cole, peintres de l'école de l'Hudson
que monsieur George Clare affectionne particulièrement et dont il
parle souvent à ses élèves de l'Université privée de Chosen.
Mais si ce dernier semble heureux de vivre un peu retiré du monde,
Catherine souffre de sa solitude et ce qu'elle va découvrir petit à
petit est loin de la rassurer.
Le
traitement des personnages principaux est particulièrement bien
soigné et leur analyse très détaillée, et il en va de même pour
les personnages secondaires décrits de façon minutieuse, par
petites touches, ce qui leur confère beaucoup d'épaisseur
psychologique.
Au
fond, ce roman interroge sur la complexité des êtres : se
résument-ils à l'image qu'ils donnent d'eux-mêmes, une image en
trompe-l'oeil, ou cachent-ils ce qu'ils sont vraiment jusqu'à ce
qu'un jour la vérité éclate dans la pire des violences ? De
l'ambiguïté des êtres et de leur mystère…
Entre
thriller littéraire (quelle écriture magnifique et quelle
construction au cordeau !) et roman d'analyse, Dans les angles
morts est un texte totalement envoûtant où se mêlent
secrets, non-dits et silences pesants. La mort est là, dans chaque
angle, sous chaque mot. Elle se tient là, tapie, et quand on
s'y attend le moins, elle s'abat violemment sur ceux qui n'ont pas su
la voir venir ou n'ont pas eu le temps de fuir…
Une
vraie tragédie dont nous sont très progressivement dévoilés tous
les rouages, si minuscules soient-ils.
Si
vous souhaitez revivre de belles heures de lecture hors du monde…
partez pour la ferme des Hale… Pas sûr que vous en reviendrez
indemnes !
IL m'a plu, ce roman. Et finalement il m'a pas mal marquée.
RépondreSupprimerOh la la, mais quelle chronique ! Ilest 22H et tu me donnes envie d'aller défoncer la porte d'une librairie pour aller me le chercher ! Je le note !
RépondreSupprimerCe roman est vraiment exceptionnel: surtout, Christelle, n'hésite pas à te le procurer, tu vas te régaler! (et quelle magnifique écriture!)
RépondreSupprimerJe lis ce livre comme on siropte un nectar je prends mon temps j'ai peur de le finir et devoir commencer une autre lecture.
RépondreSupprimermerci pour ce partage "passionnel" que j'ai reçu comme tel, un ressenti de Steinbeck, du texte...du très beau texte
RépondreSupprimerAvec plaisir!
RépondreSupprimerA très vite,
Marie-Laure