Éditions P.O.L
★★★★★ (IMMENSE COUP DE COEUR)
Il
y a quatre ans, nous sommes partis en vacances avec une de mes
grandes copines : Paula. À
cette époque - parce que les choses ont un peu changé - Paula
n'avait ni téléphone portable, ni ordinateur, ni voiture, ni montre
à quartz. Elle refusait de mettre un pied dans un Mac Do, mangeait
bio, luttait contre le nucléaire. Un de mes fils se souvient encore
du jour où, tandis que nous attendions le train, il lui demanda de
bien vouloir tenir quelques minutes son téléphone portable, le
temps qu'il déballe un sandwich.
Elle
refusa.
Tout
net.
Il
était hors de question que Paula tienne en main un appareil risquant
de propager des ondes nocives.
Eh
bien, je me dis maintenant, après avoir lu Arcadie,
que Paula aurait presque pu rejoindre Liberty House, une sympathique
petite communauté d'êtres sensibles allergiques aux ondes
électromagnétiques, aux phtalates, au glyphosate, aux pesticides,
aux sels d'aluminium, aux perturbateurs endocriniens, aux réseaux
sociaux etc, etc… Une petite bande d'énergumènes antispécistes,
amoureux de la nature, du grand air, prenant le temps de vivre, de
raconter leurs rêves au petit déjeuner et de s'adonner aux plaisirs
de l'amour libre.
Elle
aurait rencontré toute une bande d'éclopés de la vie, d'adorables
inadaptés au monde moderne, de semi-fous ou de semi-sages terrorisés
par une époque dont certains aspects sont, avouons-le, pour le moins
effrayants …
Une
secte ?
Oui
et non...
Bichette
(allergique à tout) et Marqui (amoureux de Bichette), parents de la
narratrice, ont littéralement fui leur maison
pour se réfugier dans une bâtisse ancienne au coeur de la pinède,
espèce de zone blanche, de société « idéale » et
utopique coupée du monde et de ses fléaux.
Reçus
à bras ouverts par une espèce de bon gourou généreux et
consolateur, promettant paix, repos et bonheur sans WIFI, ils ne sont
jamais repartis, heureux de cette vie protégée où l'on évolue nu,
sans tabous et où l'on couche avec qui l'on veut du moment qu'il y a
un minimum de réciprocité dans le désir !
Leur
fille, Farah, la narratrice, a grandi à Liberty House, parmi les
arbres et les écureuils, sans téléphone portable, ordinateur ou
télévision. La pauvre ! Contrairement à beaucoup d'ados, il
ne lui restait comme occupations que la lecture, l'observation de la
nature et des hommes (les habitants de Liberty House!), la discussion
et la réflexion. Évidemment, elle a échappé aux diktats de la
mode :
son corps a poussé sans qu'elle cherche à ressembler aux starlettes
du web ni à qui que ce soit d'ailleurs.
À
quinze ans, lucide, perspicace et d'une grande intelligence, elle
analyse avec beaucoup d'humour, de dérision et de distance la
situation hors du commun que ses parents lui ont imposée. Les
portraits qu'elle fait des habitants de Liberty House sont
hilarants : Arcady, le gourou, avec son blouson Sonia Rykiel en
velours matelassé orange, Fiorentina, la cuisinière et « ses
beignets de fleurs de courgettes,
polenta aux cèpes, tourtes aux blettes et à la tomate sorrentine,
flans de pleurotes, tagliatelles aux truffes, ravioles au pesto de
roquette... », Kirsten, la grand-mère LGBT ; Dadah,
son fauteuil roulant à sept mille euros et son maquillage
outrancier ; Epifanio et son « baile sorpresa »,
sans oublier Victor, un brin obèse sous ses chemises à manches
bouffantes et les autres, tous les autres : Nelly, Djilali,
Malika, Daniel et Edo, le cochon truffier. Quelle équipe que tous
ces extravagants à la fois ridicules et follement attachants !
Mais
inévitablement, Farah finit par connaître les joies du collège et
les chants tentateurs des sirènes du monde moderne. Elle s'interroge
sur son corps (qui ne ressemble pas trop à celui de ses petites
camarades) et sur son identité (qui suis-je… fille OU garçon?
L'un ET l'autre ? Doit-on forcément choisir ? Difficile
question du genre ...)
L'intrusion
d'un migrant dans cet éden va avoir des conséquences inattendues
sur Farah, l'amenant à remettre sérieusement en cause la
philosophie profonde de son gourou adoré.
Bon,
je le dis, depuis que j'ai achevé la lecture de ce livre, je le crie
haut et fort sur tous les réseaux sociaux, pour moi, c'est le
meilleur : il est d'une drôlerie irrésistible - j'ai ri,
tellement ri -, il est cinglant et tendre, sarcastique et
bienveillant, tendrement ironique, pénétré de l'air du temps,
humain, tellement humain et, pour couronner le tout, si bien écrit
qu'on se délecte de chaque ligne… Et puis, quelle sensualité,
quelle poésie dans l'évocation de cette nature éblouissante, des
corps qui s'y épanouissent dans une espèce d'osmose parfaite !
Quant
à la fin, magnifique hymne à la liberté et à l'amour, elle est
d'une telle beauté qu'elle vous tord le ventre et vous brouille les
yeux.
Un
grand texte !
Je ne suis pas encore arrivé à l'arrivée du migrant (...j'ai mis sur pause) ceci dit si tout démarre après je continues... Un indice?
RépondreSupprimerNon, non, pas d'indices, sinon que ce roman est génial!
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