Éditions Pauvert
★★★★★ (J'ai beaucoup aimé)
Elle
vient d'accoucher, elle a mal, sa vie a pris soudain un virage en
épingle à cheveux, elle n'a plus aucun repère. Tout est bouleversé
par ce bébé qui hurle jour et nuit. La fatigue la terrasse, la
douleur la ronge, elle a besoin de paroles douces, réconfortantes,
d'entendre qu'elle y arrivera elle aussi, qu'il n'y a pas de raison.
Infirmières et aides-soignantes entrent et sortent de sa chambre.
Elle n'allaite pas ? Elle est sûre ? Elle ne veut pas
essayer ? C'est pourtant tellement bon pour l'enfant !
Pourquoi n'a-t-elle pas de visites ? Elle a des amis, de la
famille ? Est-ce qu'elle pense pouvoir tenir le coup ?
La
narratrice n'a plus que l'écriture pour dire ce sentiment profond de
solitude, d'abandon, cette absence de compassion, d'empathie entre
femmes, entre celles qui auraient dû se serrer les coudes,
s'entraider, se rassurer. Mais non, rien de tout cela. Au contraire.
Elle écrit pour prévenir sa fille, Adèle, pour la protéger de ce que la vie lui réserve. Pour la mettre en garde contre « la haine que les femmes vouent à leur genre. » Peut-être Adèle sera-t-elle ainsi mieux armée pour affronter le monde...
Elle écrit pour prévenir sa fille, Adèle, pour la protéger de ce que la vie lui réserve. Pour la mettre en garde contre « la haine que les femmes vouent à leur genre. » Peut-être Adèle sera-t-elle ainsi mieux armée pour affronter le monde...
Il
faut qu'elle sache, pense-t-elle, ce que les femmes sont capables de
faire aux femmes : « Elles sont méchantes avec toutes
les excuses de la Terre. Tu les entendras répéter les mêmes
sentences, s'adressant à la défaite les unes après les autres,
sans merci, sans relâche. »
Ici,
ce sont les femmes de l'hôpital - même si la narratrice trouve tout
de même quelque réconfort auprès de certaines - mais les plus
dangereuses, ce sont celles de la famille, les mères, les
grands-mères, les tantes.
« Regarde
où tu mets les pieds, Ne réclame
pas, Ne te fais pas remarquer, Tu la vois celle-là ?, Tu l'as
pas volée, Ça
t'apprendra... Qu'est-ce que tu crois ? » Ces
phrases que sa mémoire n'a pas oubliées ont accompagné l'enfance
de la narratrice. « Je suis depuis trop longtemps déjà la
somme de leurs phrases» regrette amèrement celle qui se
souvient encore des vêtements démodés, des moqueries de ses
camarades, des garçons qu'il ne fallait pas fréquenter, des ami(e)s
manqué(e)s, de l'adolescence gâchée.
Et
depuis qu'Adèle est née, la jeune mère sait une chose : sa
fille n'entendra pas ces mots, elle ne sera pas l'héritière de
cette tradition violente et destructrice qui se transmet de
génération en génération dans sa famille.
Ce
texte, qu'écrit la narratrice, cette longue lettre qu'elle adresse à sa fille, est le rempart qui la protégera. Non, Adèle n'aura
pas cette enfance ravagée par une mère froide, d'une exigence,
certes louable sur certains aspects, mais dont on ne retient que la
quasi-inhumanité.
Non,
elle ne fera pas partie des pauvres femmes qui « sont
penchées sur les éviers, la terre, les bites, les bassines, les
mômes, les poules. »
« Une
femme penchée sur un cahier, c'est un homme. C'est un homme et
personne ne l'emmerde. Ainsi, depuis trop longtemps pour pouvoir
désormais en guérir, je conçois ma vie dans une ahurissante limite
qui, presque, m'interdit d'habiter ma propre chair. Mais toi, Adèle,
mon enfant de la fin de l'hiver, tu sauras : une femme penchée
sur son art, c'est naturel. » Elle ne sera pas soumise aux
hommes, elle ne paiera pas pour les autres, elle ne vivra pas avec un
sentiment de culpabilité permanent et un sens aigu du dévouement.
Comment
ne pas transmettre ce que l'on a reçu ? Comment empêcher un
héritage que l'on juge malsain, nuisible ? Comment ne pas
reproduire, perpétuer ce que l'on hait? A-t-on cette liberté, ce
choix ?
Ce
texte puissant, incisif, tendu est un véritable cri du coeur :
les mots sont crus, directs, violents. Ils dénoncent ce qu'au nom de
la tradition, plus ou moins consciemment, les femmes subissent et
font subir à leur tour à leurs filles - pensant même agir pour
leur bien - dans un cercle horriblement vicieux. Or, la narratrice
veut couper court à cela. Elle détruira, par les mots, cette chaîne
infernale et fera don à sa fille d'un immense cadeau : la
liberté.
Je
viens de découvrir un grand auteur dont le propos très engagé,
sans demi-mesure, servi par une écriture vive et nerveuse m'a
profondément touchée.
Un
indispensable !
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