Éditions Rivages
traduit de l'anglais (États-Unis)
par José Kamoun
★★★★★ (chef-d'oeuvre)
Après
ma lecture du Commis, roman que j'ai vraiment beaucoup
aimé, je craignais d'être un peu déçue par des nouvelles :
je pensais qu'un format plus court donnerait forcément quelque chose
de moins puissant. Eh bien, il n'en est rien, loin de là ! Ces
treize nouvelles admirablement traduites par Josée Kamoun ont une
force telle qu'elles acquièrent une dimension quasi mythique.
Elles
mettent en scène de petites gens : un cordonnier et son
ouvrier, des étudiants, des épiciers, un futur rabbin, un tailleur,
un boulanger… En quelques mots très efficaces, l'incipit met en
place leur situation : la vie n'a gâté ni les uns ni les
autres ; les personnages de Malamud manquent d'amour, d'argent,
de chance, de foi aussi car il leur arrive de douter… En effet,
tout se passe comme si la Providence les avait abandonnés. Que
« faire » de Dieu après la Shoah, comment croire qu'il
est encore là pour aimer et protéger ?
Usés
par la vie, ces hommes et ces femmes souffrent physiquement et
moralement. Ils se débattent comme ils peuvent, souvent seuls et
accablés de malheur. Et ceux qui sont censés leur apporter un
peu d'aide ne sont pas mieux lotis qu'eux ! Je pense par exemple
au pauvre agent immobilier sans bureau, Vasco Bevilacqua, qui dans
« La précieuse clef » fait tout ce qu'il peut
pour trouver un appartement convenable à Carl Schneider, doctorant
en études italiennes, venu avec sa famille à Rome pour faire des
recherches.
Certains
d'entre eux d'ailleurs déclinent l'aide qu'on leur propose et il
faut ruser pour tenter de leur donner un coup de main. C'est le cas
d'Eva et de son époux qui refusent de quitter leur épicerie malgré
les conseils de Rosen : « Bon Dieu, lui ai-je dit,
faites n'importe quoi, peintre, concierge, ferrailleur, mais
sortez-vous de cette boutique avant d'être tous transformés en
squelettes. », « Cette boutique, c'est un
enterrement de première classe. Vous allez y laisser votre peau si
vous ne vous sauvez pas tout de suite. » Mais Rosen aura
beau se démener, il arrivera ce qu'il arrivera, comme il l'aurait dit
lui même !
Ils
vivent un tournant de leur existence, rien ne sera plus pareil après,
enfin… c'est ce qu'ils espèrent… Hélas, l'illusion les aveugle
parfois et les place sur des chemins qui ne mènent nulle part. On
retrouve dans ce recueil de nouvelles les thèmes qui hantent
l'auteur : la culpabilité, l'amour, la condition humaine, la
judéité : « qu'est-ce-que sa judéité lui avait
apporté sinon des migraines, des complexes et de tristes
souvenirs ? » s'interroge Henry Levin dans « La
dame du lac », tandis qu'il n'a pas osé avouer qu'il est juif à une
jeune fille qu'il courtise …
« Il se consolait en se disant qu'il était juif et que le juif souffre » pense le futur rabbin Leo Finkle qui dans « Le tonneau magique » a fait appel à un marieur afin de trouver une épouse… qu'il ne trouve pas!
« Il se consolait en se disant qu'il était juif et que le juif souffre » pense le futur rabbin Leo Finkle qui dans « Le tonneau magique » a fait appel à un marieur afin de trouver une épouse… qu'il ne trouve pas!
Ces
nouvelles, extrêmement touchantes, sont toutes pleines d'humanité…
Certaines d'ailleurs ne sont pas dénuées d'humour et de fantaisie
sans pour autant cesser de côtoyer le tragique.
S'il
m'est impossible de vous parler de chacune de ces nouvelles, je peux
vous dire deux mots sur celles qui m'ont particulièrement marquée :
la première « Les sept premières années » met
en scène Feld, un cordonnier souhaitant marier sa fille à un
étudiant nommé Max, un garçon instruit et sérieux qui, dans un
premier temps, donnerait peut-être à Miriam l'envie de fréquenter
l'université et à coup sûr, plus tard, une vie meilleure… Or, un
jour, Feld se sent obligé de renvoyer Sobel, son ouvrier polonais,
pour cause de maladresse… Sous la charge de travail qu'il doit
désormais assumer seul, il finit par aller le rechercher et lors
d'une discussion, en viendra à lui demander pourquoi depuis tant d'années, il accepte de travailler autant d'heures pour
quasiment rien. Cette nouvelle est particulièrement émouvante et
rappelle par de nombreux aspects l'intrigue du Commis.
Je
repense à la nouvelle intitulée « L'ange Levine »
dans laquelle le tailleur Manischevitz a tout perdu : son
commerce dans un incendie, son fils à la guerre et sa fille qui a
fui au bras d'un rustre. Ses propres douleurs au dos relèvent de la
torture. Il ne lui reste que sa femme qui est mourante et ses yeux
pour pleurer.
« Manischevitz
avait traversé ces épreuves en restant passablement stoïque,
presque incrédule devant tout ce qui lui tombait sur la tête, comme
si ces coups durs advenaient, mettons, à une vague connaissance ou
un parent éloigné. Une telle avalanche de misère dépassait
l'entendement. »
Or,
un jour, dans sa salle à manger, Manischevitz voit un ange… noir.
« Qu'est ce que vous faites là ? » lui
demande-t-il. L'autre se présente : il se nomme Alexander
Levine. « Où sont passées vos ailes ? »
s'inquiète le tailleur dubitatif et il ajoute un peu inquiet « Si
Dieu m'envoie un ange, pourquoi un ange noir ? » « C'était à mon tour de descendre » répond
logiquement l'ange Lévine, expliquant qu'il est là pour sauver la femme du
tailleur. Mais ce dernier ne peut s'empêcher de prendre l'ange pour
un imposteur… Et si Lévine était vraiment un ange, un ange noir
envoyé pour secourir le tailleur ? Manischevitz ne devrait-il
pas tenter de le prendre au sérieux ?
« C'était
dur à croire mais n'empêche, si jamais il avait effectivement été
envoyé pour secourir et que lui, dans son aveuglement d'aveugle,
n'avait rien voulu savoir ? L'idée le torturait. »
J'ai adoré cette nouvelle : son côté absurde, son humour, sa
dimension tragi-comique et encore une fois toute l'humanité qui s'en
dégage.
« Lectures
d'été » m'a beaucoup plu : cette nouvelle met en
scène un jeune lycéen qui a arrêté ses études et s'ennuie à
mourir dans la touffeur de l'été new-yorkais. Sans travail ni
occupation, il a un peu honte de cette absence totale d'activité et
lorsqu'un vieux voisin, monsieur Cattanzara, l'interroge sur la façon
dont il occupe ses journées, le jeune homme assure qu'il lit, qu'il
lit même beaucoup. Il ajoute même qu'il a prévu de lire une
centaine de livres pendant l'été. Mais évidemment, il n'en fait
rien et honteux, il en est réduit à se cacher lorsqu'il rencontre
son vieux voisin qui comprend un peu son manège mais continue
néanmoins à l'encourager dans ses lectures… Comment faire pour ne
pas décevoir quelqu'un qu'on aime beaucoup et qui a confiance en
nous ?
La
fin de chacune de ces nouvelles nous invite à penser, à poursuivre
l'histoire, à imaginer une ou plusieurs suites possibles et surtout
à nous interroger sur le sens profond des actes et des paroles des
personnages.
Un
auteur injustement oublié, extrêmement attachant, à redécouvrir
de toute urgence !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire