mardi 27 juillet 2021

Ainsi nous leur faisons la guerre de Joseph Andras

Éditions Actes Sud
★★★★★

Si je n'ai pas tout oublié de ma lecture un peu ancienne de ce petit livre qui a bien failli échapper à mes radars, c'est qu'il m'a marquée. Je précise quand même que je l'ai lu deux fois, une écriture un peu serrée à la Éric Vuillard m'y invitait…

Trois nouvelles donc dont le thème fédérateur est la cause animale. Dans la première, il est question du fameux chien de Battersea : un pauvre croisé terrier de six kilos qui, en 1903, dans une université londonienne, sert à plusieurs reprises de cobaye à une équipe de médecins particulièrement insensible… Les uns rient, les autres fument pendant que la bête souffre. Ce triste spectacle ne fait pas marrer tout le monde : deux femmes présentes dans l'assistance ne lâcheront pas le morceau, elles écriront, contacteront les journalistes, les politiques, se déplaceront, gueuleront. Or, quand on est une femme, à cette époque, on est plutôt invité à se la fermer. Comme si on était un chien.

Non, elles n'ont pas ri, Lizzy Lind-af-Hageby et Leisa K. Schartau, (j'écris leur nom parce qu'elles en ont un) et leurs actions ont conduit à un procès. L'entêtement d'une troisième femme sera à l'origine de la World League Against Vivisection. Ce n'est pas rien. Tiens, d'elle aussi vous allez connaître le nom : Louisa Woodward.

Et le maire de Battersea (ah, Battersea, « une tanière de frondeurs – par paquets des rouges, des républicains, des autonomistes irlandais, des féministes, des opposants aux colonies et au saccage des bêtes, bref, la canaille au grand complet. »), le maire de Battersea donc, suite à tout ce bazar, fait ériger une statue de chien, un bronze et granit rose poli à la mémoire de l'animal mort dans les laboratoires de l'University College. Alors là, c'est la débâcle : manifestations, bagarres, pétages de plomb ont lieu autour de cette statue placée nuit et jour sous surveillance policière, déboulonnée, reboulonnée, mise en pièces.

Une autre sera réinstallée en 1985.

La seconde nouvelle met en scène ce qui se passe en 1984 dans les labos d'un campus californien où l'on teste un sonar électronique sur des macaques. 24 bêtes. On les aveugle et tout le reste. Impossible de tester ça sur de l'humain, ce serait inhumain. Sur le macaque on peut. Mais Val pense qu'on ne peut pas. Elle attend Josh sur un parking. Lui et les autres doivent libérer quelque 700 animaux. Pour le moment, Josh n'arrive pas et Val pense que tout est foutu et que jamais elle ne pourra conduire chez un véto un pauvre petit macaque nommé Britches (nommons ceux qu'on ne nomme jamais) qui n'a jamais vu grand-chose de la lumière ni rien vécu de bien sympathique sur cette foutue terre…

Enfin, c'est l'histoire d'une fuite, d'une course folle et terrible, celle d'une vache et de son veau qui ne veulent pas mourir. Ils se sont barrés, ils ont couru, de toutes leurs forces, sautant ravins et ruisseaux, chemins creux et fossés, deux bêtes en cavale, pour rester en vie, deux bêtes poursuivies par une horde de flics chargés de faire respecter la loi. La mère se prendra 70 balles dans le ventre. Rien que ça. Ce texte, c'est sûr, je m'en souviendrai toute ma vie.

C'est évidemment très fort, très beau, « supportable » si je puis dire (en tout cas, moi j'en ai supporté la lecture) malgré l'horreur du propos.

Indéniablement un grand texte. Un grand texte engagé. Et qui fait sacrément réfléchir.    

                                           




 

1 commentaire:

  1. J'ai découvert l'auteur grâce à ce livre, il a aussi publié un livre passionnant sur la vie du futur Ho Chi Min à Paris autour des années 20. Une écriture épique, fine, très personnelle, engagée. Des textes très écrits qui mériterait d'être dits sur scène. Chaque phrase est ciselée, portée par une énergie intérieure indéniable. Des textes pour lutter, une littérature au service de l'engagement. Un auteur à suivre...

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