Ça y est, je viens de le
terminer ! Quel roman ! Autant dire tout de suite que je n’en ai pas
toujours trouvé la lecture facile mais je me suis accrochée et finalement en ai
été bien récompensée.
La Femme qui avait perdu son âme est une grande fresque historique,
politique et religieuse sur la seconde moitié du XXe siècle qui commence en
Croatie en 1944 pour se poursuivre à Istanbul en 1986 et s’achever en Haïti à
la fin des années 90. C’est au lecteur de reconstituer cette chronologie
volontairement mise à mal par l’auteur. Ainsi, petit à petit, le puzzle prend
forme, on comprend ce que sont les personnages au vu de ce qu’ils ont vécu dans
leur enfance. Cette construction a aussi le mérite de maintenir un certain
suspense jusqu’à la fin de l’œuvre.
Il s’agit donc d’une œuvre totale
à la fois roman d’espionnage, d’amour, d’aventure, tragédie contemporaine qui
met en scène un nombre incalculable de personnages aux identités multiples dans
un nombre impressionnant de lieux, de situations politiques et de croyances
religieuses variées et malheureusement souvent antagonistes.
Au début du roman, Jackie Scott -celle
qui a perdu son âme- (alias Renee Gardner, Dottie Chambers ou Dorothy
Kovacevic) est retrouvée morte sur une route d’Haïti. Qui est-elle
vraiment ? Journaliste, photographe, agent spécial travaillant pour les
fédéraux, âme perdue, ensorcelée vaudou, dealeuse, séductrice ? Elle-même,
si c’est encore possible, et d’autres à la fois dans ce tourbillon d’identités,
de rôles à jouer et de missions à accomplir. Elle est un « caméléon
professionnel…actrice d’un théâtre sans murs, ni limites, ni public ».
Les hommes, tentés par sa beauté,
s’interrogent sur cette femme mystérieuse, que ce soit Thomas Harrington,
avocat, défenseur des droits de l’homme ou Eville Burnette, commando des forces
spéciales.
Ce qui est sûr, c’est qu’elle est
la fille de son père : Stjepan Kovacevic, d’origine croate, témoin dans
son enfance de violences insoutenables commises par les partisans de Tito,
ayant immigré aux Etats-Unis après la guerre, devenu diplomate et agent double
au service du contre-terrorisme, abhorrant le communisme, élevant sa fille à la
dure, de Hong Kong à Istanbul en passant par Rome au gré de ses missions, se
servant d’elle si besoin est, l’aimant trop et mal.
Si ce livre est complexe, c’est
parce qu’il reflète la réalité géopolitique du monde actuel. Le moins que l’on
puisse dire, c’est que les choses ne sont pas simples. Les intérêts des forces
en présence sont multiples, parfois opaques et fluctuants.
Par ailleurs, les personnages du
roman manipulent autant qu’ils sont manipulés. Comme le dit le narrateur au
sujet d’Eville : « …il n’était lui-même pas sûr de savoir ce
qu’il faisait, ni pourquoi ou pour qui. » De même, Harrington est persuadé
que Burnette « était occupé à orchestrer un coup d’Etat, et non pas à
en empêcher un. » Tout est leurre et l’on découvre l’impasse quand on ne
peut plus faire demi- tour.
Le lecteur doit donc tenter de s’orienter dans
ce labyrinthe peuplé « d’agents et d’adjoints, officiels ou secrets… dans
un monde souterrain peuplé de fantômes non identifiables, d’individus qui
officient en pleine lumière, de travailleurs de l’ombre et d’hommes des
cavernes. », ce monde du renseignement s’occupant « des affaires de
l’humanité » pour lesquelles « il n’y a pas de coïncidences,
chaque chose compte. »
C’est incontestablement un grand
roman, touffu, ambitieux, dense, nourri par l’expérience de l’auteur, une
véritable épopée moderne qui permet au lecteur d’y voir un peu plus clair sur
l’origine de l’extrême complexité du monde actuel et les tensions politiques et
religieuses qui sont les siennes.
On en sort un peu secoué,
horrifié par la violence qui semble inhérente à notre monde, emporté par un
style épique éblouissant et abandonnant finalement à regret des personnages
auxquels on s’est attaché, et l’on sent que le passage à un autre livre va
demander un effort d’adaptation. A moins que… l’on ne se replonge dans les
premières pages avec l’œil averti de celui qui sait où il va !
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