mercredi 16 mars 2016

Veracruz d' Olivier Rolin.


Assis au bar El Ideal, calle Morelos, Veracruz, le narrateur attend.
Elle ne viendra pas. Et il le sait.
Il s’était rendu au Mexique pour une conférence sur Proust. C’est à la fin d’une soirée tequila qu’il vit apparaître « le feu follet, la gueule d’amour ». Autrement dit, la passion. « C’était un amour-faucon. Surprise et rapidité…étaient sa loi. » Sa disparition brutale sans autre forme de sevrage laisse un homme perdu, hébété, cherchant un sens à tout cela, observant « les cercles que décrivaient les vautours, leur vitesse, leur rayon, la façon dont ils se croisaient, s’enchaînaient l’un à l’autre ». Afin de comprendre. Mais, les signes ont-ils un sens ?
Un jour, alors que le temps commençait à s’étirer et l’homme à se fondre dans l’alcool, il reçoit, par la poste, quatre récits. Qui les envoie ? Elle ? Peut-être un signe ?
Trois hommes et une femme pensent et s’observent en silence. A travers leur monologue, nous entrons dans l’univers de la tragédie.
A moins que, sans y prendre garde, nous y ayons déjà mis les pieds. Avant, je veux dire, dès le début.
Le temps se resserre brutalement dans cette pièce étouffante. L’action tendue vers un seul but semble soudain figée. 
Deux mots transpirent : amour et mort.
On entend au loin un ouragan qui se prépare, à moins qu’il soit déjà passé. On ne sait plus s’il est dehors ou s’il est là, rampant discrètement vers sa proie.
La femme retient à peine un désir insondable de vengeance : « Me farder moi de leur sang, y tremper mes mains, mes mains si fines, aux doigts qui se recourbent comme des arcs, comme des dards de scorpions, me maquiller d’écarlate, me parer de leur vie finie, me souiller de leur mort- m’ont-ils assez souillée. »
Qui est cette Erinye, ivre de sang et de fureur, cette « dévastation qui approche. » ? Quelle souffrance a-t-elle endurée, muette de douleur, pour cracher un tel venin de haine ? Est-ce cette femme qu’il a aimée ? Se peut-il que ce soit ses mots ? 
Les hommes la regardent, ivres de violence et d’envie. Ils la désirent infiniment, et se taisent. Qui sont-ils ? Quel crime innommable ont-ils commis pour susciter une telle fureur destructrice ? 
La tension dévore ce huis-clos étouffant. On sent l’imminence de la catastrophe. Elle est là, pèse de tout son poids. Impossible d’y échapper.
La tragédie, vous dis-je…
Le texte est d’une beauté époustouflante. Pour ma part, je l’ai lu et relu. C’est nécessaire. Il est court et dense. On ne s’en lasse pas.
Et puis, il cache quelque chose, un message, peut-être le sens de cette passion : vient-elle se loger dans un « ordre des choses », est-elle une réalité qui s’est peu à peu, avec le temps, parée de fiction, une étoile filante venant d’ailleurs et n’allant nulle part ? Une rencontre dénuée de sens et qu’il est vain de chercher à comprendre, laissant le narrateur seul avec ses questions, terriblement conscient qu’ « il n’y aura jamais de paix. ». « Nous voulons toujours que tout ait un sens…. Nous nous épuisons à ce rêve de maîtrise au lieu de vivre tout simplement… Le monde se joue aux dés à chaque instant. Il est un kaléidoscope dont les éclats colorés se recomposent pour former de nouvelles figures. »
La littérature tente alors de lui donner un ordre. Elle écrit le monde, le recompose, l’ordonne, essaie de le traduire avec des mots. Mais après coup et donc trop tard.
« Ce que nous appelons le monde n’existe que comme une fable », les récits sont des mensonges qui proposent un sens et nous rassurent peut-être.
Mais au fond, nous ne sommes pas dupes.
On sait, sans le dire, que le moment merveilleux est passé et a disparu.

A jamais.

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