Assis au bar El Ideal, calle
Morelos, Veracruz, le narrateur attend.
Elle ne viendra pas. Et il le
sait.
Il s’était rendu au Mexique pour
une conférence sur Proust. C’est à la fin d’une soirée tequila qu’il vit
apparaître « le feu follet, la gueule d’amour ». Autrement dit, la
passion. « C’était un amour-faucon. Surprise et rapidité…étaient sa
loi. » Sa disparition brutale sans autre forme de sevrage laisse un homme
perdu, hébété, cherchant un sens à tout cela, observant « les cercles que
décrivaient les vautours, leur vitesse, leur rayon, la façon dont ils se
croisaient, s’enchaînaient l’un à l’autre ». Afin de comprendre. Mais, les
signes ont-ils un sens ?
Un jour, alors que le temps
commençait à s’étirer et l’homme à se fondre dans l’alcool, il reçoit, par la
poste, quatre récits. Qui les envoie ? Elle ? Peut-être un
signe ?
Trois hommes et une femme pensent
et s’observent en silence. A travers leur monologue, nous entrons dans
l’univers de la tragédie.
A moins que, sans y prendre
garde, nous y ayons déjà mis les pieds. Avant, je veux dire, dès le début.
Le temps se resserre brutalement dans cette
pièce étouffante. L’action tendue vers un seul but semble soudain figée.
Deux mots transpirent :
amour et mort.
On entend au loin un ouragan qui
se prépare, à moins qu’il soit déjà passé. On ne sait plus s’il est dehors ou
s’il est là, rampant discrètement vers sa proie.
La femme retient à peine un désir
insondable de vengeance : « Me farder moi de leur sang, y tremper mes
mains, mes mains si fines, aux doigts qui se recourbent comme des arcs, comme
des dards de scorpions, me maquiller d’écarlate, me parer de leur vie finie, me
souiller de leur mort- m’ont-ils assez souillée. »
Qui est cette Erinye, ivre de
sang et de fureur, cette « dévastation qui approche. » ? Quelle
souffrance a-t-elle endurée, muette de douleur, pour cracher un tel venin de
haine ? Est-ce cette femme qu’il a aimée ? Se peut-il que ce soit ses
mots ?
Les hommes la regardent, ivres de
violence et d’envie. Ils la désirent infiniment, et se taisent. Qui
sont-ils ? Quel crime innommable ont-ils commis pour susciter une telle
fureur destructrice ?
La tension dévore ce huis-clos
étouffant. On sent l’imminence de la catastrophe. Elle est là, pèse de tout son
poids. Impossible d’y échapper.
La tragédie, vous dis-je…
Le texte est d’une beauté
époustouflante. Pour ma part, je l’ai lu et relu. C’est nécessaire. Il est
court et dense. On ne s’en lasse pas.
Et puis, il cache quelque chose,
un message, peut-être le sens de cette passion : vient-elle se loger dans
un « ordre des choses », est-elle une réalité qui s’est peu à peu,
avec le temps, parée de fiction, une étoile filante venant d’ailleurs et
n’allant nulle part ? Une rencontre dénuée de sens et qu’il est vain de
chercher à comprendre, laissant le narrateur seul avec ses questions,
terriblement conscient qu’ « il n’y aura jamais de paix. ».
« Nous voulons toujours que tout ait un sens…. Nous nous épuisons à ce
rêve de maîtrise au lieu de vivre tout simplement… Le monde se joue aux dés à
chaque instant. Il est un kaléidoscope dont les éclats colorés se recomposent
pour former de nouvelles figures. »
La littérature tente alors de lui donner un
ordre. Elle écrit le monde, le recompose, l’ordonne, essaie de le traduire avec
des mots. Mais après coup et donc trop tard.
« Ce que nous appelons le
monde n’existe que comme une fable », les récits sont des mensonges qui
proposent un sens et nous rassurent peut-être.
Mais au fond, nous ne sommes pas
dupes.
On sait, sans le dire, que le moment
merveilleux est passé et a disparu.
A jamais.
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