Quel grand livre que ce Grand marin ! C’est une œuvre
essentielle qui vous transporte réellement, qui vous parle des hommes, du sens
de la vie, de la mort, de notre rapport au monde, à l’univers… Bref, UN
GRAND !
Elle, c’est Lili et elle part,
elle quitte Manosque-les-Couteaux. Cela ressemble à une fuite. On n’en saura
pas plus.
Elle va pêcher en Alaska !
La bonne blague, lui dit-on, toi, petit bout de femme, petit gabarit, tu vas
affronter un monde d’hommes, un monde violent où tu risques la mort à chaque
minute. Ah, ah, laisse-nous rire…
C’est pourtant ce qu’elle fait
malgré les « God bless you », les mises en garde : attention
« aux lignes qui s’en vont dans l’eau avec une force qui t’emporterait si
tu te prends le pied, le bras dedans, à celles que l’on ramène qui, si elles se
brisent, peuvent te tuer, te défigurer… Aux hameçons qui se coincent dans le
vireur et sont projetés n’importe où, au gros temps, au récif que l’on n’a pas
calculé, à celui qui s’endort pendant son quart, à la chute à la mer, la vague
qui t’embarque et le froid qui te tue… Embarquer, c’est comme épouser le bateau
le temps que tu vas bosser pour lui. T’as plus de vie, t’as plus rien à
toi. ». Le ton est donné.
Elle embarque à bord du Rebel avec Simon, John, Vick, Jesse,
Jesús, Dave et Jude « l’homme-lion, le grand marin », le taiseux pas
aimable qui fascine, celui qui « travaille dans la vague. ».
Appâter, jeter les palangres à la mer, les
remonter en veillant à ne pas passer par-dessus bord, éventrer les poissons
vite, très vite, encore plus vite, en ayant des yeux derrière le dos, lutter
corps à corps avec la bête qui se débat, briser la glace dans la cale, souffrir
du froid tenace malgré la fièvre, de l’humidité, de la faim, des blessures, de
l’absence de sommeil, tenir debout alors que les yeux se ferment, asperger le
pont d’eau glacée, rincer les cirés et recommencer, jeter les palangres… Et les
cris des hommes, le bruit des machines, de la houle et du vent à peine
supportables…
La terre n’existe plus, c’est un autre
univers. On est au milieu des éléments, petite chose ballottée au gré des
tempêtes, de l’océan qui bouillonne, des vagues violentes.
Le retour sur la terre ferme est
aussi une épreuve, le rythme retombe, on tue le temps en buvant encore et
encore, on attend le prochain départ car c’est en mer que l’on est « dans
la vraie vie », « dans la vie magnifique, luttant au corps à corps
avec l’épuisement,… la fatigue et la violence de l’au-dehors. » L’envie de
repartir est irrésistible : être dans le mouvement, dans « … le souffle,
qui jamais ne s’arrête » et s’épuiser à en mourir : « Et
l’on va donner nos forces jusqu’à en tomber morts peut-être. Pour nous la
volupté de l’exténuement. »
Et quand la pêche à la morue est
passée, on repart pour celle au flétan, au crabe, au saumon… Lili veut être
sûre d’avoir vécu avant de mourir : « Ça me rend folle quand on
m’oblige à rester, dans un lit, une maison, ça me rend mauvaise. Je suis pas
vivable. Être une petite femelle c’est pas pour moi. Je veux qu’on me laisse
courir… J’ai peur des maisons. » Elle veut « vivre
dehors », être une « runaway, une bête coureuse des routes ».
Même son grand marin ne pourra pas la fixer, peut-être parce qu’il en était
incapable lui-même…
Je me suis laissé totalement
embarquer par les mots de Catherine Poulain qui m’ont littéralement transportée,
ravie, dans tous les sens du terme : j’ai pêché auprès de Lili, lancé
violemment les milliers d’hameçons dans une mer en furie, tendu un visage bleui
au vent glacial qui lacérait ma peau, souffert d’imaginer ses mains meurtries
et sa fatigue lancinante rongeant son corps, admiré la beauté infinie de la mer
et des cieux, goûté avec elle « la poche de laitance du
poisson », avalé, enfin, à mon tour, l’océan, dans ce rapport sensuel aux
hommes, aux poissons, à la mer et au vent. Je me suis offerte à la vie…
Quel voyage, vraiment quel grand voyage !
Ce roman m' a fait chavirer d'émotions !
RépondreSupprimerOui, pour moi, c'est vraiment un gros coup de coeur! Je vais essayer de rencontrer cette femme extraordinaire au festival Etonnants Voyageurs de Saint-Malo!
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