dimanche 24 avril 2016

Voyage d'une Parisienne à Lhassa d' Alexandra David-Néel

             

Connaissez-vous Alexandra David-Néel ? Une femme incroyable, passionnée par l’Asie, qui en 1911 à quarante-trois ans décide de partir pour dix-huit mois en Inde, pays qu’elle avait déjà visité à deux reprises, afin d’étudier les grands textes bouddhistes. Finalement, elle restera en Asie quatorze ans ! Elle se rend à Ceylan, Madras, Adyar, Calcutta puis à Darjeeling dans les contreforts de l’Himalaya. Elle rencontre, en avril 1912, le XIIIe dalaï-lama, Thubten Gyatso. De 1914 à 1916, elle vivra au Sikkim, petit état himalayen, C’est là que le prince Sidkéong Tulku Namgyal, fils du souverain du royaume, lui présentera Aphur Yonden, jeune lama, moine érudit, qui deviendra son fils adoptif. Il est âgé alors de quatorze ans et passe pour être la réincarnation d’un chef tibétain. Pour la suivre, il abandonne sa famille.
 Ils se rendent ensemble au village de Lachen où ils  resteront deux ans dans un monastère perché à quatre mille mètres d’altitude en compagnie d’un maître Lachen Gomchen Rinpoché qui leur transmettra son enseignement : elle se perfectionnera en tibétain, traduira des textes sacrés et approfondira sa connaissance du bouddhisme, religion qu’elle pratique depuis longtemps. Elle fera des retraites solitaires et s’initiera à la technique du toumo qui consiste à mobiliser son énergie pour produire de la chaleur.
De là, elle tentera de franchir la frontière du Tibet mais sera expulsée en 1916 par un représentant du gouvernement britannique. Elle ne veut pas rentrer dans une Europe en guerre et continue son périple en Asie : Japon, Corée, Chine puis elle s’installera trois ans au monastère de Kumbum de 1918 à 1921 : elle vient d’avoir cinquante ans.
Son but ? Atteindre Lhassa au Tibet, ville qu’aucun explorateur n’a, à cette époque, réussi à atteindre. Le problème ? L’accès du Tibet est strictement interdit aux étrangers, sous peine de mort. Qu’à cela ne tienne, l’exploratrice tentera cinq fois l’aventure, et échouera entre autres à cause d’un appareil photo qu’elle avait emporté et que l’on découvrira sur elle.
Mais en octobre 1923, elle repart pour « le pays des neiges ». Cette fois, elle décide de se déguiser en mendiante et n’emporte que le strict nécessaire : un peu d’argent, des cartes, un thermomètre, des boussoles, des montres, une toile pour se protéger la nuit, deux revolvers, deux tasses qu’ils cachent sous leurs vêtements. Elle souhaite se fondre parmi les ardjopas, des moines voyageant à pied et visitant les lieux sacrés du Tibet, et se fait passer pour la mère du jeune lama. Elle se teint les cheveux avec de l’encre et du cacao, y ajoute des crins de yack, étale de la braise sur son visage… Elle arrivera à Lhassa dans la cité du Potala en mai 1924, huit mois après, ayant parcouru plus de mille kilomètres à travers des montagnes dont les cols dépassent les sept mille mètres d’altitude, à l’est du Tibet et avec comme seuls vêtements ceux qu’elle porte sur elle ! « Lha gyalo ! Les dieux ont triomphé ! »
 Son récit est absolument incroyable et montre sa volonté inébranlable de parvenir à son but malgré une multitude de risques : mourir de froid, de faim, de soif, d’épuisement, se faire assassiner, dévorer par les bêtes sauvages ou les brigands cannibales. Franchement, on lit ce livre comme un vrai roman d’aventures : on se demande à chaque page comment ils vont se sortir de situations extrêmement périlleuses ! La région est quasi inexplorée, les cartes très approximatives. Ils marchent souvent de nuit pour ne pas se faire arrêter, craignant les pönpos, hauts fonctionnaires contrôlant les frontières. Ils ne doivent surtout pas être repérés comme philings, des étrangers ! Leur nourriture ? Du thé au beurre de yack, de la tsampa (farine d’orge), de la viande séchée et des rognures de cuir provenant de semelles de chaussures quand il n’y a plus rien ! Elle se conduit comme les Tibétains : se mouche avec ses doigts, fait du feu avec des bouses de yack. Régulièrement, Aphur doit, en tant que prophète, dire l’avenir, « consulter le sort » : « il connaît l’art des « mos » (pratiques divinatoires) » et cela donne lieu à des scènes très drôles car ce jeune lama est plein de bon sens. Grâce à cela, ils se sortiront de situations bien difficiles ! Elle connaît l’art d’accroître la chaleur du corps, ce qui lui rend parfois service ! Alors qu’ils sont perdus en pleine montagne et qu’ils risquent de mourir de froid, Alexandra écrit : « je demeurai assise, immobile, savourant les délices de mon isolement dans le calme parfait, le silence absolu de cette étrange contrée blanche : l’esprit détaché de tout, plongée dans une sérénité indicible. » Comme elle le dit, de façon très zen, « en toutes circonstances, lorsqu’on a agi du mieux que l’on peut, se faire du souci est inutile. » C’est noté et on essaiera d’y penser !
Franchement, laissez-vous conduire sur les chemins de Lhassa, au cœur du Tibet interdit… Le dépaysement est garanti !

Pour compléter votre lecture, deux bandes-dessinées viennent de sortir : chez Glénat, dans la collection Explora, de C. Clot pour la conception, C. Perrissin pour le scénario, B. Pavlovic pour les dessins et A. Boucq pour les couleurs, un très bel album qui commence par la fin : l’arrivée en mai 1924 de l’exploratrice à Gyantsé où elle est introduite auprès de David Macdonald, agent officiel de l’empire britannique, qui n’en revient pas qu’une femme ait pu faire un si long périple. S’en suit un long retour en arrière où on la découvre quittant son mari pour quelques mois, pensent-ils. On assistera à l’échange avec le dalaï-lama, la retraite dans l’ermitage du Haut-Sikkim, la rencontre avec Aphur, le départ manqué en 1916 où elle est arrêtée au poste frontière du Haut-Sikkim, on la surprendra dans sa vie quotidienne au monastère de Kumbum pendant trois ans où elle se repose, fait de petites randonnées et s’adonne à des exercices de traduction de la prajna paramita, « la suprême sagesse », texte écrit au IIe siècle, comprenant cent mille versets, puis au vrai départ. Les dessins sont vraiment magnifiques et l’on est littéralement transporté dans ces contrées lointaines. Un dossier historique très précis et des photos extraordinaires complètent  tout ce que la BD nous a appris sur le fabuleux périple de l’aventurière. Un bémol peut-être : pourquoi ne pas avoir repris les traits physiques si particuliers d’Alexandra David-Néel ? Un très beau travail tout de même et un grand plaisir de lecture !

Une autre BD, chez Grand Angle, de F. Capoy (scénario et dessins) et M. Blanchot (couleurs) : Une vie avec Alexandra David-Néel . La vie de qui ? Celle de Marie-Madeleine Peyronnet qui entra en 1959 au service de l’exploratrice alors âgée de quatre-vingt dix ans. Imaginez l’étonnement, que dis-je, la stupéfaction de la jeune femme lorsqu’elle découvre « Samten Dzong » (« Forteresse de la méditation » en tibétain !), maison de l’aventurière à Dignes-les-Bains. Les dessins en noir et blanc évoquent la vie quotidienne à Samten Dzong et les cases en couleur renvoient aux expéditions tibétaines. Les relations entre la jeune femme et la vieille dame sont tendres, parfois tendues, pleines de complicité, d’humour et d’humanité. C’est étonnant de découvrir ces deux univers qui se rencontrent, si éloignés l’un de l’autre et qui pourtant seront extrêmement liés ! J’attends avec impatience le deuxième volume !


                       

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