Éditions Gallimard
Trois destins de femmes, cinq jours.
Cinq jours durant lesquels leur vie va changer, parce qu'il le faut,
parce qu'elles sont vivantes et qu'elles doivent avancer.
Dimanche 7 novembre 1920, tandis que, dans la région
d'Arras, des militaires vont déterrer quatre corps de soldats dont
l'un deviendra le Soldat inconnu que toute l'Angleterre attend, à
Londres, Hettie, danseuse de compagnie à l'Hammersmith Palais,
propose pour six pence une danse. Sur un ragtime endiablé, elle
glisse sur la piste avec des hommes profondément meurtris par la
guerre qui tentent d'oublier leurs traumatismes dans l'alcool et la
musique. Il leur manque un bras, une jambe. Ce sont les blessures
visibles... Ils sont revenus eux, d'autres sont morts là-bas. Ils
doivent s'estimer heureux. Pas facile après ce qu'ils ont vu.
L'horreur de la guerre…
Evelyn, employée au bureau des pensions de l'armée, doit aller
déjeuner chez ses parents dans l'Oxfordshire. Dans le train, elle
pense à son fiancé, Fraser, qui n'est pas revenu. Elle va avoir
trente ans, elle doit accepter de l'avoir perdu. Refaire sa vie :
elle s'y refuse.
Ida reçoit la visite d'un jeune homme, un colporteur qui veut lui
vendre des lavettes. Elle n'en a pas besoin. Le visiteur la regarde
silencieusement. Le malaise s'installe, elle n'aurait pas dû lui
ouvrir. Tout à coup, l'inconnu prononce un nom « Mickaël ».
Elle se retourne. Pourquoi a-t-il prononcé le nom de son fils, mort,
là-bas, au front, le nom de celui qu'elle attend encore, qu'elle
croit voir partout et dont elle ne peut faire le deuil ?
A-t-elle rêvé, encore une fois ? « Tu n'es pas une
véritable épouse, lui lancera son mari, tu es un fantôme. Tu n'es
rien d'autre qu'un putain de fantôme. »
Dans ce roman d'une maîtrise exceptionnelle tant dans l'écriture
que dans la peinture des personnages et d'une époque, chacun semble
être « à côté de la plaque » pour reprendre une
expression d'Evelyn parlant à son frère. La guerre est passée par
là et personne ne parvient à s'en remettre. Chacun vit comme un
fantôme, avance tel un somnambule, incapable de sortir de ce
terrible cauchemar qu'est la perte de ceux qu'on a aimés. Rien ne
leur paraît réel, ils ne sont plus qu' « une coquille
vide et silencieuse . » Hettie, en colère, criera : «
La guerre est terminée, pourquoi ne peuvent-ils donc pas tous passer
à autre chose, bon sang? »
Impossible. Marqués à vie, courant après des ombres, marchant en
équilibre au bord d'une fosse où gisent un million d'hommes...
Exprimer ce que l'on ressent est déplacé, ça ne se fait pas.
Alors, il ne reste que le silence et la souffrance, le chagrin des
vivants (quel titre magnifique!)
Parce que, dans tous les cas, personne ne sort vainqueur, « c'est
la guerre qui gagne et elle continue à gagner encore et toujours . »
Une œuvre fascinante, une prose subtile et sensible où les silences
et les non-dits expriment ce que les personnages ne peuvent traduire
en mots, enfermés qu'ils sont dans leur douleur, leur culpabilité.
Heureusement, certaines paroles sauront apaiser les âmes torturées
qui pourront peut-être enfin se tourner vers un avenir qu'elles
mettront encore du temps à construire…
Wake, le titre anglais, exprime l'éveil, l'amorce d'une renaissance,
la petite lumière encore ténue au fond du couloir, celle que l'on
voit à peine, mais qui est bien là...
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