jeudi 22 décembre 2016

Rêver de Franck Thilliez


Éditions fleuve noir

Pauvre famille (la mienne) qui a vécu trois jours (de vacances) avec un être (moi-même) absent. Totalement absent. Là mais pas là. Ici mais ailleurs. Où donc alors ? Eh bien... aux côtés d'Abigaël Durnan, l'héroïne du dernier roman de Franck Thilliez : Rêver !
Que je vous parle d'elle d'abord : dans le prologue bien mystérieux où nous la découvrons, elle se pose la question suivante : « Alors, lavoir en flammes, ou rêve d'un lavoir en flammes? ».
Pourquoi cette question, me direz-vous ? Parce que notre éminente psychologue au service de la police est narcoleptique . Concrètement, cela signifie que lorsqu'elle a réuni toute son équipe de dix gendarmes pour un dernier bilan concernant l'enquête sur les enlèvements d'enfants, elle tente soudain de réprimer quelques bâillements et finit par quitter la table de réunion un petit quart d'heure pour … aller dormir !
Les gars de la section de recherche sont habitués, ils la surnomment « Tsé-Tsé » et attendent sagement son retour ! Évidemment, cela fait sourire mais vu ses compétences, on préfère ne rien dire. Une fille comme elle, on ne peut vraiment pas s'en passer : en trois ans, elle les a aidés à résoudre six affaires de disparitions et de meurtres...
Et pour l'enquête en cours, le temps presse : un homme qu'ils ont surnommé Freddy par référence à Freddy Krueger, le croquemitaine, a enlevé trois enfants. Alice, Victor et Arthur ont disparu et cela fait neuf mois que cette affaire fait les gros titres de la presse. La tension est palpable : il faut des résultats. Impossible de trouver un point commun entre ces enfants. L'enquête piétine lamentablement.
En plus, à l'horreur des enlèvements, Freddy ajoute une insoutenable mise en scène : il fabrique un épouvantail avec les vêtements lacérés de coups de griffes et tachés de sang de sa victime précédente. La douleur des familles est insondable. Il faut agir et vite.
Alors, lorsque le père d'Abigaël contacte sa fille pour lui proposer de l'emmener avec Léa, sa petite-fille au Center Parcs d'Hattigny, on ne peut pas dire que notre enquêtrice soit très enthousiaste : elle aurait préféré rester à réfléchir devant les photos des enfants qu'elle a punaisées sur le mur pour faire le point, mieux visualiser la situation. Mais bon, elle voit si rarement son père qu'elle préfère ne rien dire, demande à sa fille de faire sa valise et, alors que la voiture démarre, ne tarde pas à s'endormir… Et là, c'est le terrible accident, l'horreur, le pire très certainement ...
Impossible de lâcher un tel roman, impossible de ne pas suivre Abigaël dans sa lutte acharnée contre sa maladie, la narcolepsie, qui la fait sombrer régulièrement dans le sommeil, l'amenant même à confondre rêve et réalité. « Pour la plupart des gens, le rêve s'arrête au réveil. Mais pour moi, distinguer le rêve de la réalité est devenu chaque jour plus compliqué. Car ces derniers temps, même éveillée, je dois sans cesse m'assurer que je ne rêve pas. Etre bien certaine que, ce que mes yeux voient, ce que mes oreilles entendent EST la réalité. » A cela s'ajoutent de terribles pertes de mémoire, des crises de cataplexie régulières (« pertes instantanées du tonus musculaire à n'importe quel moment de la journée, sans altération de la conscience ») et parfois même des hallucinations hypnagogiques. Quand des images de rêves viennent se superposer à la réalité...
Va-t-elle pouvoir échapper à la folie et mener correctement son enquête dans ces conditions ? L'empathie que nous ressentons pour cette femme en détresse nous lie pieds et poings à ce roman labyrinthique et vertigineux dont la construction non chronologique brouille nos repères, accentue et multiplie nos doutes, nos interrogations. Comme Abigaël, les nerfs à vif, nous tentons de reconstituer le puzzle, pièce par pièce, plongés dans un univers où le réel et le rêve cohabitent pour mieux nous perdre ...
Pas facile de reprendre contact avec le monde qui nous entoure après une lecture si haletante qui, contrairement à ce que vit la pauvre Abigaël, m'a tenue parfaitement éveillée et dans une tension extrême bien tard dans la nuit…

Une vraie réussite!

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