Éditions de La Table Ronde
★★★★☆ (J'ai beaucoup aimé)
Si
vous êtes angoissé(e) par ce mois d'août qui se fait la malle à
grands pas, j'ai une solution ! Plongez-vous dans le merveilleux
livre d'Anne Vallaeys : Hautes solitudes Sur les pas des
transhumants. Je vous promets un
VRAI voyage, une VRAIE route que vous allez suivre pas à pas en
admirant le paysage et ce, sans souffrir (contrairement à l'auteur
et sa coéquipière, Marie). La langue poétique, colorée, pleine
d'images extraordinaires et de mots rares d'Anne (je l'appelle par
son prénom, j'ai fait la route avec elle...) m'a transportée de
joie. Tous vos sens seront en alerte !
J'ai
dégusté un chapitre par jour de ce délicieux journal de voyage,
une étape par jour pour moi aussi, sur les pas d'Anne et de Marie,
observant les plantes, les fleurs, les pierres, les arbres, les bêtes
et les gens…
Si
vous saviez comme j'en ai goûté des couleurs et des parfums,
comme j'en ai imaginé des paysages brûlant sous le soleil:
explosion des sens… Je vous le disais : un beau voyage qui
fera un pied de nez à votre mois d'août bientôt en berne.
Allez,
on y va, vous me suivez ?
Le
livre s'ouvre sur une carte : à l'extrême gauche, Arles.
Puis : Aureille, Salon-de-Provence, Éguilles, Aix-en-Provence,
Rians (attention, on remonte…), Vinon-sur-Verdon, Valensole (on
n'est pas loin de Manosque - un salut à mon ami Giono),
Digne-les-Bains (ça va toujours ? - coucou à Alexandra
David-Néel, mon exploratrice préférée), on continue à grimper
jusqu'au Laverq. Voilà le trajet que se sont proposé de faire Marie
et Anne : marcher sur les pas des transhumants. Trois cent
quatre-vingts kilomètres. Far la routo, dit-on en piémontais
comme en provençal, marcher dans les anciennes carraires, les
routes que les bergers suivaient avec leur bétail. « J'aime
la rudesse roulée du mot carraire, les rugosités qu'il inspire,
vent, ciel, dégagement, horizon. » confie Anne. La grande
transhumance… Partir sur les traces des anciens...
Ils
sont nombreux à regarder passer ces deux filles qui n'ont peur de
rien, à les envier, à être tenté de tout lâcher pour faire un
petit bout de chemin avec elles...
« Que
sont devenues les carraires ? » s'interroge Anne,
penchée sur ses cartes d'état-major, s' « efforçant
de décrypter l'improbable tissage de courbes, de maillages, de
treillis hachurés ». Des chemins devenus « rébus
intimes, minuscules ».
Pour
les comprendre, les voir, il fallait « ressentir la trace
sous les pas, éprouver la terre à mes pieds, la
caresser des yeux, pour de vrai. » confie l'auteur,
« donner forme, réalité, épaisseur, et continuité
à la Grande transhumance…
Lever l'ancre, hisser la voile. Simplement. Marcher aussi loin que
possible, au rythme des heures puisqu'ici les kilomètres n'ont aucun
sens. Emprunter un fil de crête, quand, d'un hasard l'autre, les
éléments basculent, quand l'équilibre, le ciel l'imposent. Alpes,
nourrices des Provences. Savourer cette orgie de lieux-dits, de
mythes et de légendes. Puis, le reste, tout le reste. Teintes,
couleurs, l'eau, l'air, les arbres… « Aller prendre la nature
sur le fait », une recommandation de Darluc dans Histoire
naturelle de Provence. »
Oh,
je sens que je n'aurais pas grand-chose à ajouter pour que vous
plongiez tête la première dans votre placard à godasses à la
recherche de vos bonnes grosses grolles encore crottées…
Donc,
voilà le projet des filles : « retrouver, identifier
dans l'espace l'empreinte de la grande carraire d'antan . »
Autant
vous dire que cette belle aventure ne s'improvise pas vraiment, qu'il
faut rencontrer des « passionnés de grands chemins »,
ceux qui veulent « ressusciter la routo » et ils
sont nombreux à la Maison de la Transhumance à arpenter de long en
large les moindres parcelles de ces routes afin de dessiner le tracé
de la Grande Carraire des Provences.
Et
l'aventure commence : inénarrable… Il faut partir tôt (il
fait très très chaud - du feu), marcher beaucoup beaucoup (et ça
monte aussi beaucoup, beaucoup), ne pas se tromper de chemin, ne pas
se perdre, ne pas craindre de franchir un domaine privé surveillé
par des chiens pas forcément aimables, ne pas sursauter à la
moindre petite bête (sans parler des plus grosses – chevreuils,
sangliers, loups…), ne pas geindre parce qu'on a mal aux pieds, au
dos, à la tête, parce qu'on n'y voit plus rien, qu'on a les doigts
gonflés, qu'on ne peut plus mettre un pied devant l'autre… Et je
vous passe les pluies, les orages (en montagne, hum, hum…) Tiens,
vous avez rangé vos chaussures ?
Mais
à côté de ça, la splendeur des paysages, et là, avec les mots
d'Anne, vous les verrez encore plus beaux qu'ils ne sont !
Quelle écriture magique, magnifique, des mots comme sortis d'un
chapeau de magicien : termes d'architecture, de géographie,
d'histoire, noms de plantes et de fleurs… Je me suis régalée de
mots rares aux sonorités évocatrices agrémentés de citations: ici
Stevenson, là Whitman, de rencontres avec les gens du pays :
Louis, Virginie, Sylvain, André, Gilbert, Jean-Claude,
Geneviève, autour d'un petit vin et d'un fromage de chèvre : « Pas
éleveur, berger ! lance Geneviève, « Éleveur, j'aime
pas, ça fait trop élevage. Chez nous, on a toujours gardé à bâton
planté, comme on dit dans le métier. Pas de clôture ! »
et d'ajouter : « Les noms qu'on donne aux brebis,
agnelles, agneaux, bessons, tardons, anouges, fèdes, arets, moutons,
ces mots-là disent beaucoup plus… On doit surveiller l'estropiée
qui s'écarte un peu trop, la berque qui a cassé ses dents dans les
cailloux, la mère qui repousse son agneau. Soigner les malades,
percer les gonflées, voilà tout un travail qu'il faut aimer.
Ҫa n'est
pas de l'élevage, mais de la connaissance. »
Ils
sont devenus rares ces bergers, certains sont vieux. Le métier est
difficile, il n'attire pas les jeunes… Magnifiques portraits
d'hommes et de femmes…
Allez,
encore un peu d'ailleurs, ça ne peut que nous faire du bien… et
puis, comme dit Marie : « La marche conduit au
paradis, pas vrai ? » « C'est sûr, lui
répond un ami, mais faut avancer longtemps. »
On
y va ?
(Chiche ?)
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