Éditions Julliard
★★★☆☆ (J'ai bien aimé)
Alors
là, c'est typiquement le genre de roman qu'on adore ou qu'on
déteste, un livre d'atmosphère, à la Duras ou à la Modiano. Je
l'ai pour ma part, malgré peut-être quelques longueurs, trouvé
envoûtant et mystérieux et je sais qu'il me restera longtemps des
images de villages du Nordeste brésilien battus par les vents, de
terres arides et brûlées, de maisons coloniales vides et de
végétation pourrissante, d'échanges à demi-mots entre des êtres
qui ne sont plus que l'ombre d'eux-mêmes, d'errances et de
désespérances.
Ils
sont trois : la femme, Louise Fabre, pianiste française
expatriée, devait rejoindre son mari à São
Paulo mais elle n'est pas partie et loge encore chez son ancien
professeur de piano - une femme, mais je ne sais pas encore bien me
situer par rapport à l'écriture inclusive : comprenez ancienne
professeure - qui
habite une maison de pêcheur sur une falaise face à la mer. Son
fils, Luca, vit loin d'elle, en France, et son absence est pure
souffrance.
Il
y a aussi Antoine Delacourt : un homme qui « voyage
pour de vrai », pensent ses amis, un ingénieur en
informatique qui reste plusieurs mois à l'étranger quand il part.
De ce qu'il a vu au Bangladesh, à Dacca, après un tremblement de
terre, il ne se remettra certainement jamais. « C'est un
homme qu'il faut aller chercher dans ses absences. Il n'a pas les
moyens d'être là... » pense-t-on de lui.
Un
ami d'enfance, Charles, producteur de documentaires de voyages, lui
propose de faire des repérages dans la région du Sertão,
« une région à l'intérieur du Brésil, à l'écart de
tout ». L'Alliance française de Recife a même
trouvé un guide qui parle français et connaît bien le coin. Alors,
bourré d'anxiolytiques, Antoine est parti, sans penser, plutôt « en
dehors » de ce voyage dont il est plus spectateur qu'acteur. Et
maintenant, il attend dans une maison coloniale d'Ubatuba do Norte
que le guide lui fasse signe. Il boit la cachaça qu'il trouve
au dépôt-bar au bout de la rua Baixo. Au fond, il n'attend plus
rien : « À Ubatuba do Norte, Antoine Delacourt
n'attend plus la suite, il n'y a plus l'histoire de l'homme
d'après. », « Cette nuit, dans la spirale de ses
songes, il courait derrière un mot. Un seul s'était enfui, ouvrant
une brèche par où les autres s'étaient engouffrés à leur tour.
Il n'existait aucun décor précis, seulement une couleur grise,
d'aube flottante. Quel était ce mot ? De quelle histoire
était-il la clé, ou la somme ? Il faudrait qu'un jour, il
réussisse à peler ses rêves, qu'il cherche dans les couches les
plus anciennes. »
Et
puis, il y a Everton, le guide, Everton Dos Santos qui s'est lancé
dans l'élevage de
crevettes près de Cruz das Almas mais il vient d'apprendre qu'on ne
lui installera pas gratuitement l'électricité, nécessaire au
moteur de la pompe, il ne pourra jamais payer et ses bestioles vont
crever une à une dans une eau non brassée et sans oxygène.
Deviendra-t-il aussi pauvre que son père Guillermo, que sa mère
Jessica, que son grand-père Zezim, ces hommes et ces femmes du
Sertão vivant dans
« l'aridité extrême, le bétail qui mourait,
la dureté des grands propriétaires » et qui
connaissaient, au quotidien, la faim, lancinante, obsédante et
mortelle ? Il lui faudra se rapprocher de ses origines, savoir
d'où il vient, de quels flagelados il est issu pour
comprendre ce qu'il est et être capable d'avancer.
Lorsque
ces trois êtres se retrouvent pour ce voyage commun, espèce de
quête des origines, de descente en eux-mêmes, dans le silence de
leurs souffrances intimes profondément enfouies, dans la chaleur
intenable des routes cabossées et du pick-up déglingué,
s'exprimera progressivement leur impossibilité de vivre, d'être ce
qu'ils sont sans un retour nécessaire sur leur passé, sur des
choses qui n'ont jamais été exprimées et qui sont là, en eux, et
qu'ils devront exhumer pour continuer à vivre.
Peut-être
que ce voyage leur donnera la possibilité de retrouver une certaine
forme de sérénité, voire de renaissance, à travers les rencontres
qu'ils feront et les lieux qu'ils traverseront.
Il
y a quelque chose du silence d'une tragédie dans ce texte : on
ne sait pas si le pire surgira soudain de l'intérieur des êtres ou
des hommes qu'ils rencontreront, des cangaçeiros, bandits des
grands chemins, prêts à tuer pour manger et réparer les
injustices.
Je
pense que l'auteur connaît très bien les régions dont il parle car
on sent vraiment une intimité très forte avec les espaces décrits,
leur histoire et les mœurs des gens qui y vivent.
Si,
comme je le disais au début de l'article, Être,
tellement peut enthousiasmer ou irriter, il n'en reste pas
moins un texte d'une qualité littéraire indéniable :
l'évocation des ces âmes en peine en quête d'un peu de paix
intérieure dans ce Brésil de terres desséchées est vraiment
splendide : la langue est poétique, sensuelle, à la fois douce
et violente, dense et silencieuse, elle nous prend, nous saisit. La
tension est là, palpable à chaque page, contenue dans chaque
silence. La phrase mime la musique
du vent, des notes de piano qui s'égrènent, la musique
des mots fragiles et meurtris, à peine capables de traduire les
émotions, les douleurs, les plaintes. Elle dit les
silences, les soupirs.
Je
ne peux que vous inviter à vous y plonger, peut-être même à vous
y perdre…
très bel article pour un très beau livre
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