Éditions Actes Sud
★★★☆☆(J'ai bien aimé)
Allons
à l'essentiel : l'affaire Patricia Hearst m'a passionnée.
Février
1974, cette jeune fille, issue d'une famille richissime, est enlevée
par un groupuscule révolutionnaire : le SLA (Armée de
Libération Symbionaise), une bande de gamins idéalistes (ils
ont entre 23 et 29 ans) qui veulent que les gens aient à manger.
C'est tout simple.
Ils demandent au père de Patricia de fournir des
repas à ceux qui ont faim. Le père s'y colle. Mais pas assez selon
sa fille qui le lui reproche : tu peux faire mieux, espèce de
gros lard, tu as plein de fric. Bon, c'est moi qui traduis ses
paroles mais en substance, c'est ça. On le voit, Patricia dite Patty
partage les revendications de sa bande de ravisseurs à peine plus
âgés qu'elle. Elle les a faites siennes et attend une promesse :
« que chacun... soit toujours sûr d'être nourri, soigné,
logé, instruit et vêtu… » CQFD.
Que
lui est-il arrivé ? L'a-t-on droguée ? Lui a-t-on fait un
lavage de cerveau ? Est-elle devenue folle ? Ou alors,
prenons les choses dans l'autre sens : s'est-elle sentie ENFIN
libre, libre de penser, d'exister, de VIVRE même, de faire autre
chose que d'être la petite mijaurée soumise qui se la ferme,
bientôt épouse et mère de famille empêtrée dans sa petite vie
irrespirable ? Et si cet enlèvement était la bonne occase pour
se barrer, prendre son destin en main, revendiquer, lutter,
exister ?
Elle est ravie dans tous les sens du terme, celle qui
crie haut et fort à la face d'une Amérique médusée : « Je
suis VIVANTE! ».
Il
y en a eu d'autres, des comme elles, des qui n'ont pas voulu rentrer
parce qu'enfin la vie devenait intéressante : Mercy Short et
Mary Jamison, enlevées toutes les deux par des tribus indiennes en
1690 et en 1753 et qui n'ont jamais voulu retrouver le bercail :
elles ont préféré à leur petite vie pépère et mortelle aller là
où la route était moins lisse et leur destin moins étriqué. Elles
ont fait un choix et ont pris soudain le chemin de traverse.
Que
répond Patricia lorsqu'à son procès on lui demande pourquoi elle
n'a pas profité des occasions qu'elle a eues de fuir, que
répond-elle ? « Et je serais allée où ? »
Tout est là, dans ces trois mots : quel autre lieu que celui où
je suis me donnera le droit d'exister, le droit d'être ce que je
suis vraiment, le droit de donner un semblant de sens à ma vie ?
Je
me laisse aller à imaginer le nombre de femmes comme cela qui, si
l'occasion se présentait, même une minuscule occasion, fausseraient
bien gentiment compagnie à leur petite famille pour aller voir du
pays. Ciao les gars, à un des ces jours si j'y pense...
Heureusement
pour notre société, pour l'ordre des choses, ça n'arrive pas
tous les jours ! En tout cas, ça laisse rêveur. Une petite
étincelle et BOUM, c'est la métamorphose : je troque mon petit
gilet gris, mes perlouzes et mes chaussures vernies contre une veste
treillis, des rangers et un fusil semi-automatique. Je pose mon
livre, ma tasse de thé et ma raquette de tennis et j'attaque une
banque. Qui suis-je ? Qui est-on, au fond ? Vertigineux…
J'ai
beaucoup aimé dans le livre de Lola Lafon l'évocation de ces
femmes « qui, le soir, depuis leur chambre d'enfant, rêvent
aux échappées victorieuses, elles monteront à bord d'autocars
brinquebalants, de trains et de voitures d'inconnus, elles fuiront la
route pour la rocaille » - pour la racaille?!! - , j'ai
adoré le portrait qui est fait de Patricia Hearst, son évolution,
ses fascinantes bandes-audio (sont-ce les vraies ???), l'évocation de
son procès. Tout ça m'a vraiment passionnée.
EN
REVANCHE… je n'ai rien compris au choix narratif que j'ai trouvé
tout simplement catastrophique : je m'explique - si j'y arrive
parce que j'avoue que là, j'ai un peu ramé !
Donc, Lola Lafon
(l'auteur – re ou trice, je ne sais plus...) imagine qu'une jeune
universitaire américaine féministe, Gene Neveva, arrive en 1974
dans le Sud-Ouest de la France pour enseigner au collège des Dunes.
Elle a travaillé sur ces femmes qui ont décidé de rester vivre
avec leurs ravisseurs. Elle recherche une secrétaire car elle est
chargée d'intervenir dans le procès de la jeune Hearst et doit
constituer tout un dossier en sa faveur. Elle recrute donc une jeune
fille, Violaine, qui l'aide à décortiquer toute la doc qu'elle a
accumulée. Évidemment, elle va éveiller la naïve Violaine, lui
ouvrir les yeux sur les réalités de ce monde et lui apprendre à
penser - comme elle, bien sûr !.
Le
livre de Lola Lafon s'ouvre sur un « VOUS » qui s'adresse
visiblement à l'Américaine. Mais qui parle ? Qui est la
narratrice ? En fait, tenez-vous bien : c'est une voisine
de Violaine - Lola ? - qui plus tard, raconte ce qui s'est passé
dans ce village des Landes et ce que sont devenues la prof de fac
(l'Américaine) et Violaine… Ouf !
Quel intérêt ?
Pourquoi cette complexité inutile, cette construction doublement
impossible ? Qu'est ce que ça apporte au récit ? Montrer
des mises en abyme ? Comment Violaine devient l'héritière de
Patty Hearst et de Gene Neveva ? Comment se transmettent les
idées, naissent les révoltes et les révolutions ? Mais toutes
les adolescentes américaines de l'époque étaient devenues des
Patty, non ? A quoi bon cette démonstration un peu pesante ?
Il suffit de lire l'histoire de Patty, de découvrir les
transcriptions des incroyables bandes enregistrées qu'elle envoyait
à ses parents pour avoir envie de se lever et de marcher sur ses
pas ! En pensée… au moins (je rassure ma famille!)
Et
ce VOUS qui nous colle aux bottes, je l'ai trouvé vraiment
insupportable ! Qui « vous » ? Moi ? Mais
qui parle ? Difficile d'y voir clair. Dommage. Non je n'ai pas
trouvé ce procédé de narration judicieux. Mais bon, le reste, je
l'ai avalé cul sec. Et puis, j'aime bien aussi l'écriture de Lola
Lafon, elle est dynamique, vivante, très punchy.
Allez,
tout ça se lit bien quand même, regardons la moitié pleine du
verre !
J'ai beaucoup aimé mais il est vrai que souvent le "vous" a pu gêner
RépondreSupprimerOui, c'est vrai, ce n'était pas une bonne idée ce "vous" d'autant qu'on ne sait pas trop au début qui parle... Une narration plus simple aurait gagné en force, je pense. La démonstration ici est un peu appuyée. Mais bon, j'ai lu ce roman avec plaisir tout de même et cette Patricia Hearst, quelle femme! Son histoire est incroyable et les enregistrements qu'elle envoie à ses parents m'ont fascinée. Rien que pour ça, je conseillerais la lecture de ce roman, très bien documenté.
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