dimanche 26 novembre 2017

Summer de Monica Sabolo


 Éditions JC Lattès
★★★★☆ (J'ai beaucoup aimé)

Finalement, peut-être le personnage principal de ce roman est-il le lac de Genève : il est là, large, somptueux, changeant constamment de couleur, jouant de ses reflets, comme un appel vers les profondeurs, mystérieuses et envoûtantes, pleines de monstres repoussants.
Est-ce vers ces abîmes qu'a été si soudainement engloutie Summer ? Longtemps, on a pensé que l'on retrouverait son corps bercé par des vaguelettes argentées, ses longs cheveux blonds emmêlés dans les roseaux. Summer Wassner, dix-neuf ans, une adolescente lumineuse et d'une folle beauté, disparut lors d'un pique-nique entre amis. C'était l'été, le bonheur, l'insouciance, la sensualité, l'adolescence. « Ma sœur ressemblait pour de vrai à une reine de beauté de feuilleton américain, ces filles saines, aux jambes élastiques, avec des dents blanches irréelles, et dans leurs yeux une lueur insaisissable évoquant le chagrin ou le mal. Ces filles qui ont des rêves trop grands pour elles, ou qui font naître une douleur, quelque chose qui ressemble à du ressentiment, dans le coeur des garçons, et qui finissent dans le coffre d'un 4X4, au fin fond d'une forêt. » 
Benjamin, son frère cadet, ne s'en est jamais remis. Vingt-quatre ans auparavant, dans la belle maison au bord du lac, les parents de Summer furent pétrifiés : ils cherchèrent, attendirent, guettèrent le moindre mouvement. Les nombreux amis accoururent pour les aider, les plaindre, pleurer. Rien. Summer avait disparu. Définitivement, semblait-il.
 Alors les années passèrent, autant de saisons, plates et lentes, floues et sans saveur. Aucune ne rapporta Summer et le malaise de Benjamin, âgé maintenant de 38 ans, se fait chaque jour de plus en plus profond, gagnant tout son être, l'empêchant de vivre, de respirer, d'aimer, de grandir, de devenir un adulte.
 Lui qui aimait tant ses parents, sa sœur, les plaçant bien au-dessus de lui même, ayant la vague impression qu'au fond, il ne les méritait pas, comme si sa place n'aurait jamais dû être parmi des êtres si beaux, si pleins de charme et à qui tout réussit, Benjamin, tant d'années après, vit hanté par des cauchemars d'où il émerge tétanisé, tendu, vaincu. 
Oui, il fallait l'admettre, Summer avait définitivement disparu. Elle ne reviendrait plus. Elle était morte, c'était certain. Il avait beau se repasser en boucle les images déjà anciennes de ce pique-nique, il ne trouvait rien qui puisse le mettre sur la voie, rien qui le conduise à sa sœur. « On finit toujours par retrouver les gens, ils laissent des traces. » avait confié l'inspecteur Alvaro Aebischer au moment de l'enquête.
 Pourtant, Summer n'en avait laissé aucune. Elle s'était soigneusement évaporée, volatilisée. Le silence régnerait dorénavant pour toujours dans cette belle villa face au lac où tous semblaient cacher quelque chose et ne vivre que pour les apparences, à la surface des choses, comme s'ils craignaient de plonger en eux-mêmes et d'être incapables de refaire surface.
Un roman tout en atmosphère, en attente, en silences dont l'intérêt, me semble-t-il, est lié au point de vue choisi par l'auteur pour raconter les événements : en effet, le narrateur, Benjamin, est un être à part, profondément dépressif, timide, fragile et d'une extrême sensibilité ; du coup, on doute de sa juste vision des choses, de sa capacité à interpréter le réel. Benjamin souffre de sa difficulté à comprendre ce qu'il voit, à mettre des mots sur ce qu'il sent, sur ce qu'on lui cache depuis toujours. Il erre en lui même comme dans la vie, dépossédé de la personne qu'il aime le plus au monde et son existence ressemble à une espèce de flottement dans une eau trouble et nauséabonde dont il ne parvient pas à s'extraire pour regagner le bord.
 Il coule lentement, s'enfonce, est tiré vers le tréfonds où se trouve peut-être cette sœur, cette Ophélie aux cheveux dansants, ce soleil qui lui manque et dont l'absence le maintient en profondeur. Pendant combien de temps parviendra-t-il à vivre ainsi, en apnée ? N'est-il pas, lui aussi, en train de disparaître, d'être englouti ? A moins qu'une force inattendue le tire de là et le pousse à s'en sortir...
C'est un texte fascinant que nous offre là Monica Sabolo sur le thème de la famille, des rapports entre ses membres, de ses secrets, une œuvre pleine de poésie, de métaphores aquatiques à la fois sensuelles et mystérieuses, porteuses de vie et de mort. 
Et ce lac… si beau et si terrible, presque menaçant, symbole des profondeurs opaques de la psyché humaine où Benjamin, tel un fantôme, patauge et s'enlise depuis son jeune âge, tentant de se relever pour vivre enfin...

Une belle lecture, magnétique et envoûtante.

                          

1 commentaire:

  1. Très belle critique qui donne vraiment envie de découvrir ce livre et son atmosphère aquatique...
    Malheureusement, je l'ai lu et il m'a profondément ennuyée au point que j'ai failli l'abandonner... Mais j'aurais eu tort car dans la dernière partie, le récit sort enfin des remous du lac pour s'animer un peu...

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