Alma éditeur
★★★★☆ (J'ai beaucoup aimé)
Impression
de mots et de phrases trop longtemps retenus et qui soudain
jaillissent, claquent et griffent. Pas de douceur, pas de nuances
dans ce roman. On n'en est plus là, il y a urgence maintenant. « Le
temps de la négociation était révolu. Il fallait militer comme on
tue : sans ambages, industriellement. »
Militer
pour quelle cause ?
La
cause animale.
Encore
hier matin, à la radio, j'entends que des activistes vont être
jugés pour avoir vandalisé des boucheries. Ils passent à l'action.
Sont prêts à tout ou presque.
Les
vidéos, dans les abattoirs, on les a vues. Elles sont insoutenables.
Le traitement que nous infligeons aux bêtes est monstrueux,
innommable, inhumain. En un mot : indigne. Nous n'avons aucun
respect pour des êtres sensibles et qui souffrent. Nous nous gavons
de leur viande largement au-delà de nos besoins et au détriment de
notre santé. Un comble.
Nous
éradiquons des espèces sans aucun remords. Notre pollution se
charge de faire disparaître ceux que nous ne tuons pas avec nos
fusils ou nos filets de pêche. Des oiseaux, il n'y en aura bientôt
plus. Merci les néonicotinoïdes. Un article du Monde daté du 20
mars 2018 commençait en ces termes : « Le
printemps risque fort d'être silencieux ». Des abeilles,
bientôt, nous ne parlerons plus. « J'm'en fous,
j'n'aime pas le miel » m'avait rétorqué un gamin de
treize ans l'an dernier. Il a l'excuse de sa jeunesse. Nous vivons
dans une espèce d'inconscience volontaire, heureux de nos oeillères
qui nous rendent la vie bien confortable. Après nous, le déluge.
Face
à la catastrophe écologique dont on subit les retombées au
quotidien, face à des modes de vie qui sont inacceptables, face à
la souffrance animale, je peux comprendre que certains commencent à
s'énerver, à perdre patience, à ne plus avoir envie de causer.
A
quoi bon le bla-bla, les sommets de ci ou de ça ? La prise de
conscience doit d'abord être individuelle et mise en pratique au
quotidien. Nous en avons les moyens, notre arme est d'abord notre
porte-monnaie. N'achetons pas ce qui empoisonne, ce qui détruit, ce
qui fait souffrir. Renonçons à notre consommation effrénée. Elle
ne nous rend pas heureux, bien au contraire.
Ceci
est à notre mesure et en notre pouvoir.
Bref,
passons à l'action.
Vous
le voyez, je suis mal placée pour parler du livre de Camille Brunel.
Parce que son urgence, son impatience, son exaspération sont
miennes. Je les vis au quotidien, je n'en peux plus des atermoiements
des uns, des autres, des grands discours suivis de renonciations. Ils
m'insupportent. Je suis maintenant pour l'action, individuelle
d'abord, collective après et quotidienne toujours.
Les
mots de Camille Brunel, son roman et sa magnifique postface m'ont
parlé, évidemment.
Parce
qu'il y a beaucoup de choses que je ne supporte plus depuis
longtemps, que ma patience finit par avoir des limites et que ces
limites sont atteintes.
Alors ?
Oui, j'ai aimé ce texte, son extrémisme, sa parole dure, violente
et sans concession, son impatience. Ils lui seront reprochés, sans
doute. Il répondra que c'est une fiction, un roman. L'autoportrait
qu'il fait de lui vient nuancer après coup ce terme « roman »
inscrit sur la couverture. « Je me sens très embarrassé
pour l'espèce humaine. Elle est indigne de son barda cognitif et
elle le sait bien. Ses sœurs, apparues à peu près en même temps
qu'elle sur le dernier demi-million d'années, disparaissent les unes
après les autres ; pourtant elle continue de les manger,
s'imaginant être la plus grande. A la fois l'aînée et la cadette,
comme si être la plus jeune signifiait être la plus parfaite. « La
guérilla des animaux », c'est l'histoire de cela : de
l'erreur mondiale de l'anthropocentrisme, et de la violence qui s'en
suit. »
Ce
bouquin, il le sort de ses tripes, il l'a tenu au chaud quelques
années et sa colère est là, bouillonnante, brûlante, pleine de
fureur et d'exaspération.
La
guérilla des animaux est l'histoire d'un homme, Isaac
Obermann, espèce de justicier des temps modernes - que d'aucuns
trouveront idéaliste (ah bon…) -, qui va parcourir le monde pour
tenter de protéger les animaux : « Mon animalisme est
farouche et cruel» «... il est temps de riposter. Aussi
violemment que nous avons été attaqués. C'est-à-dire très, très
violemment. » C'est dit. Il y a urgence. Parfois, Isaac
prendra le temps de convaincre par la parole. C'est important aussi.
« Les
dauphins n'ont jamais été des animaux. D'ailleurs les animaux
n'existent pas. Ce sont, dans d'autres corps, des intelligences
similaires aux nôtres - exactement similaires… L'anatomie varie.
Pas l'intelligence. »
Appelons
cela l'antispécisme.
Le
roman est engagé, sa dimension épique en fait un
récit d'aventures qui se passe aux quatre coins du globe là où les
animaux crèvent. Un peu partout donc. Le registre tragique n'est
jamais loin non plus… comme si soudain les dieux en colère
allaient s'abattre sur les hommes et les punir de leur trop grande
hybris. Pour qui se prennent-ils ces hommes ? Les plus
beaux, les plus forts, les plus intelligents ? Misère. Ils
seront punis.
Ce
roman a des défauts, c'est vrai. Mais franchement, on s'en fout. Et
je n'ai pas envie d'en parler. Le propos prime, vous explose à la
figure, vous tire de votre léthargie et l'écriture, puissante,
serrée, mordante, saisit par sa force et sa détermination. Le
message est clair : nous ne conserverons notre humanité et
notre dignité que si et seulement si nous acceptons de respecter les
animaux en les traitant comme des égaux.
« L'humain
vit comme un rat et s'imagine plus digne que le rat. Il prive les
animaux de leur bonheur pour en tirer le sien - et ça ne marche pas.
Il cherche l'amour, le plaisir et le divertissement, se persuade
qu'il les a obtenus. Il a remplacé Dieu par la certitude que le
monde obéit à un ordre qui ne peut pas lui vouloir tant de mal que
ça. Moi, je l'ai remplacé par les animaux. C'est un sacré aimable
et fragile. Né près des villes,j'ai étudié les lettres, reçu une
modeste éducation religieuse (protestante), regardé beaucoup de
films, fréquenté beaucoup de gens pendant des années où j'étais
critique de cinéma, mais rien ne m'a jamais apporté autant de
bonheur que de voir des marsouins approcher mon zodiac en Écosse, de
voir une baleine à bosse faire surface devant mon kayak en
Colombie-Britannique. Que de sentir le museau de ma chatte, Padmé,
venir renifler mes lèvres ; ou d'être survolé par des
flamants roses ou des grues, en Camargue ou au Der. Ce bonheur, qui
est le comble de l'existence, n'a rien à voir avec mon espèce, ni
ma pensée conceptuelle. C'est la vie, sans la violence. C'est ce
qu'il me faut. On a tendance à sacraliser la violence, au point de
justifier les abattoirs. C'est vraiment surestimer la vertu des
traumatismes. »
Un
texte nécessaire et puissant.
(roman lu dans le cadre des 68 premières fois)
Tu prêches une convaincue ;) alors je rajoute ce roman à ma liste. As-tu lu Règne animal de Jean-Baptiste Del Amo ? Ou dans un tout autre genre Antispeciste d'Aymeric Caron (j'ai adoré, mais je ne suis pas objective, je suis secrètement amoureuse de cet homme hihi) ?
RépondreSupprimerCoucou Mylène,
RépondreSupprimerMerci pour tes messages! J'espère que tu vas bien!
Oui j'ai lu et adoré Règne animal, livre que j'ai chroniqué d'ailleurs... Quelle magnifique écriture! En revanche, je n'ai rien lu d'Aymeric Caron... je note!