Éditions Aux Forges de Vulcain
★★★★★ Excellent!
Connaissez-vous
la Douvre intérieure ? N'êtes-vous pas passé, cet été, en
rentrant de vacances, par cette région « faite de hameaux »,
« le centre mou de la France » dont Chantaume est la
capitale ? Non, ça ne vous dit rien ? Et pourtant, quelle
belle région : du vert, du vert à perte de vue, des vallons,
quelques maisons ici et là… Ah, on respire là-bas, loin de
Paris !
Bon,
c'est vrai, il ne s'y passe pas grand-chose, comme si l'Histoire
avait oublié cet espace et ces gens qui vivent hors du temps…
C'est une certaine Barbara Vauvert qui a hérité, on ne sait
comment, du titre de préfète de la Douvre : au lieu de s'en
plaindre, elle a pris son ouvrage à coeur. Très vite, elle s'est
mêlée au peuple, est allée parler aux habitants de ces terres du
bout du monde pour tenter de connaître leurs besoins, leurs craintes
pour l'avenir, leur façon de voir les choses. Elle a compris qui ils
étaient, a voulu connaître leur nom, l'a fait et à merveille. Elle
a su se faire aimer et elle a des projets pour eux.
Elle
n'est pas la seule : un certain Arthur Cann, une espèce de
philosophe écolo, veut se servir de ce territoire pour mettre en
œuvre une entreprise qui lui tient à coeur : il s'agit de
créer un « vaste incubateur à ciel ouvert, un
lieu d'expérimentation grandeur nature du monde à
venir, à la fois numérique et écologique, enraciné et connecté »,
un espace « agricole numérique autosuffisant. »
Imaginez :
« une mutualisation des biens et des services », chaque
ferme produisant sa ressource d'énergie. Bon, pour cela, il faut une
connexion ultra-haut débit, des panneaux solaires, des éoliennes…
Pourquoi ce territoire ? Eh bien parce que selon Arthur, « le
système n'a pas de prise sur ces gens de la Douvre, il glisse
miraculeusement comme sur les plumes d'un oiseau. Ils ont beau vivre
avec leur temps, la vérité est qu'ils n'ont jamais donné leur
consentement à ce que les autres ont fait du monde. À leur manière
invisible et taiseuse, ils n'ont cessé de résister. »
Donc,
la Douvre est « comme l'Arche de Noé de notre temps, celle
qui a survécu au déluge intellectuel et moral qui a dévasté le
reste du pays. » Un espace protégé, pur d'une certaine
façon. Un lieu à l'état de nature qui ne serait pas dépravé par
la société ou la politique. D'ailleurs, selon Arthur Cann, dans cet
espace autogéré, les hommes politiques n'ont plus de place. Il faut donc se débarrasser de ces gens-là.
CQFD
Barbara
et Arthur vont-ils s'entendre ? Là est la question !
Mais,
là-haut, à Paris, cette préfète adulée par le peuple inquiète
un peu les technocrates bien assis sur leur pouvoir… Alors qu'elle
est plébiscitée par les habitants de la Douvre et accomplit un
travail admirable, elle apprend par un simple coup de fil du ministre
qu'elle est VIRÉE. Ciao bella, à une autre fois !
Eh
oui, les gens brillants gênent aux entournures dans les hautes
sphères…
Pas
de souci, répond-elle, très pro. Mais décidée à ne pas se
laisser faire.
À
Paris, une momie surnommée La Vieille tient lieu de présidente et
termine tranquillou son troisième septennat et un certain Claude,
gouverneur ou commandeur, appartenant aux hautes sphères politiques,
souhaite la renverser au plus vite pour profiter d'un fauteuil bien
au chaud.
En
attendant, il tente de faire peur aux grands bourgeois parisiens en
leur expliquant « qu'il n'y a de pouvoir que s'il y a des
gens pour obéir... Retirez cette obéissance, cette
soumission, et tout s'écroule comme un château de cartes.
L'organisation du pays peut être aussi sophistiquée et complexe que
l'on puisse imaginer, cela ne change rien : si, à un moment
donné, ceux qui le font fonctionner ne le veulent plus, c'est fini.
Game over, hé, hé. »
« À
tout moment, les gouvernés peuvent retirer leur consentement. Mes
chers amis, n'est-ce pas effrayant de penser que l'ordre social -
notre propre tranquillité - est ainsi suspendu au bon vouloir, au
caprice de tous ces individus dispersés et qui n'ont pas, pour la
plupart, tout leur bon sens ? » Claude évoque donc
des « défections spontanées. »
« Ce sont des gens sans histoire, des gens normaux,
des gens qui, croyez-le bien, ne brillent pas par leur originalité…
tout d'un coup… qui partent en vrille. Du jour au
lendemain, ils cessent d'obtempérer. Ils refusent obstinément de se
plier à la moindre consigne, de quelque autorité qu'elle vienne.
« Vous me ferez cette note pour demain » -
c'est non. « Chéri, tu
veux bien tondre la pelouse ? - c'est encore non. « Seriez-vous
assez aimable pour me rendre la monnaie ? » - c'est
toujours non... Il n'y a pas de conjuration, en aucun cas ils ne se
sont passé le mot. Et pourtant, aux quatre coins du pays, ils se
comportent exactement de la même manière. C'est tout à fait
étonnant. » Les bourgeois s'affolent. Et Claude espère
bien un jour ou l'autre récupérer leurs voix… En attendant, on
lui a demandé de débarrasser la Douvre intérieure de la jolie
préfète charismatique : naïf, il n'imagine même pas les
conséquences de son coup de balai… Car les Douvriens, s'ils se
sont tus pendant des siècles, pourraient bien soudain avoir leur mot
à dire.
Donc,
d'un côté, le dangereux binôme Cann/Vauvert (et derrière la
charismatique Vauvert, le peuple, ne l'oublions pas!), et de l'autre
la clique magouilles-politiciennes-à-gogo des hauts fonctionnaires
véreux qui jouent les uns avec les autres, se manipulant constamment
à tel point qu'on ne sait même plus qui est la marionnette de
l'autre !
Je
n'avais lu que quelques pages de ce roman pour le moins prémonitoire
et fort documenté sur les rouages de l'État que je m'interrogeais
déjà sur l'auteur de cette fable corrosive à la Voltaire :
« d'où » écrivait-il , cet auteur qui
semblait si bien renseigné sur les méandres du pouvoir, les coups
bas, les ruses politiciennes et tout le tralala, jusqu'à quasiment
se faire prophète puisqu'il ne vous aura pas échappé que certains
termes rappellent les révoltes actuelles des gilets jaunes ?
J'étais
bluffée !
Le
livre est sorti en janvier, les premières manifs datent du 17 nov…
Mais QUAND a-t-il été écrit, ce texte ??? Même si la
situation n'est évidemment pas la même, certains mots de ce livre
sont tellement en phase avec l'actualité, tellement prémonitoires,
que c'en est sidérant ! Moi je crois que ce gars-là a de
véritables talents de prophète et à mon avis, il ne faut pas le
lâcher, il peut servir !
Au
fait, sachez quand même que Jean-Baptiste de Froment est normalien,
agrégé de philo, camarade d'hypokhâgne
et de khâgne
d'Emmanuel Macron, qu'il était conseiller à
l'Élysée sous Nicolas Sarkozy et qu'il est maintenant élu au
Conseil de Paris. Bref, il a vécu tout ça de l'intérieur, connaît
très bien la machine politique. N'empêche, prendre la liberté
d'écrire un texte aussi corrosif sur la sphère politique :
BRAVO !
Cette
satire distille vraiment un humour décapant ! Assurément, il
faut « en être » pour percevoir de manière aussi aiguë
tous les travers des hommes politiques, leurs basses manœuvres
machiavéliques, leurs hypocrisies de courtisans, leur ego
surdimensionné. Très loin d'eux un éventuel dévouement pour la
nation, en tout cas…
Un
livre désopilant (certains passages sont de VRAIES scènes
d'anthologie !) et en même temps bien sombre sur un monde
politique très éloigné (physiquement et intellectuellement) des
préoccupations profondes du peuple. Bien sûr, on est dans la
caricature, l'outrance, bien sûr, bien sûr... mais l'on sent qu'au
fond (et c'est ça qui est terrible!), on n'est peut-être pas si
éloigné que ça du réel…
Courage
fuyons !
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