Éditions P.O.L
★★★★★★ (subtil, poétique et plein de sagesse)
Par
ces belles journées ensoleillées, êtes-vous un « bosatto »
(« un être assis paresseusement et qui ne fait pas ce qu'il a
à faire ») ? Contemplez-vous le « komorebi »
(« le soleil qui filtre à travers les arbres et les jeux de
lumière sur le sol ») ?
Je
dois avouer que je raffole de ces mots japonais dont il n'existe
aucun équivalent dans notre langue comme par exemple le fameux
« tsundoku » qui consiste à empiler des livres
sans forcément les lire... J'aime beaucoup aussi la notion
d'« irusu », le fait de prétendre être absent quand
quelqu'un frappe à notre porte… (On ne fait jamais, ça, nous...)
Ou encore (celui-ci est excellent !), savez-vous ce qu'est une
« nito-onna » ? C'est une femme qui consacre
tellement de temps à son travail qu'elle n'a même plus le temps de
repasser ses chemises et donc ne porte que des hauts tricotés. (No
comment...)
Eh
bien, pour en venir à notre livre, sachez que derrière ce titre un
peu mystérieux de « Nagori », se cache une
définition toute poétique : il s'agit, en effet, de « la
nostalgie de la saison qui vient de nous quitter »,
sous-titre de ce petit livre qui m'a littéralement enchantée !
Vraiment, j'en ai dégusté chaque page, j'ai souligné une quantité incroyable de pensées, de réflexions, d'anecdotes. D'ailleurs, j'aurais bien du mal à définir ce genre de texte qui se situe entre l'essai et la poésie. L'écriture est simple mais ce qui est dit vous saisit : je n'ai cessé de me demander « Tiens, effectivement, pourquoi n'y ai-je pas pensé avant, pourquoi ne me suis-je jamais fait cette remarque ? » Et même les constats apparemment les plus banals vous invitent à reconsidérer votre quotidien, vos habitudes, le monde qui vous entoure et, bien sûr, Nagori vous initie de façon extraordinaire à la pensée japonaise. Quelle richesse !
Vraiment, j'en ai dégusté chaque page, j'ai souligné une quantité incroyable de pensées, de réflexions, d'anecdotes. D'ailleurs, j'aurais bien du mal à définir ce genre de texte qui se situe entre l'essai et la poésie. L'écriture est simple mais ce qui est dit vous saisit : je n'ai cessé de me demander « Tiens, effectivement, pourquoi n'y ai-je pas pensé avant, pourquoi ne me suis-je jamais fait cette remarque ? » Et même les constats apparemment les plus banals vous invitent à reconsidérer votre quotidien, vos habitudes, le monde qui vous entoure et, bien sûr, Nagori vous initie de façon extraordinaire à la pensée japonaise. Quelle richesse !
Le
thème central du roman est celui de la saison, autrement dit, de la
temporalité. L'on entend souvent qu'il faut consommer des produits
de saison, ce dernier mot
étant bien compliqué à définir ! Dans certains pays,
il y en a deux, ailleurs on peut en compter plus de vingt, ailleurs
encore, il n'y en a aucune ! Et puis, vous la connaissez, vous,
la saison de la banane, celle du kiwi ou du gingembre ? Ces
produits de consommation courante n'auraient-ils pas de saison ?
La notion de saison est donc bien relative...
On a
tendance à oublier qu'il n'y a encore pas si longtemps, les gens
dépendaient des saisons, de ce que la météo leur réservait :
un printemps trop froid ou de fortes pluies et ciao la récolte !
Et la famine s'installait durablement... Dorénavant, on va chercher
ailleurs ce qu'on ne produit plus, on est donc moins dépendant des
saisons.
Et
puis, il faut réaliser que de nos jours, se mélangent dans nos
assiettes des produits à la fois de temporalités différentes (de
« saison » et « hors saison »)
mais aussi d'origines géographiques différentes, ce qui était
impensable encore au début du XXe siècle. Étrange, non, quand on y
pense ?
Pourquoi
au fond, sommes-nous tellement attachés à cette notion de saison ?
Peut-être parce que nous avançons de façon linéaire vers la mort
tandis que les saisons ont ce caractère cyclique qui nous rassure,
elles sont liées « au renouveau, à la renaissance »
et selon l'auteur « si l'on est mal à l'aise avec les
produits « sans saison » ou « hors saison »,
c'est qu'ils désactivent la sensation du temps cyclique ; du
coup, la seule temporalité qui demeure est le temps linéaire, qui
marche vers la mort. » D'ailleurs, les Japonais sont très
attachés au temps cyclique : la poésie japonaise, notamment
le haïku, utilise des « mots de saison » :
beaucoup de mots sont en effet étroitement reliés à une saison et
paraît-il qu'il en existe des dictionnaires entiers !
Au
Japon, on considère qu'un aliment peut-être consommé à trois
stades : hashiri (le primeur), sakari (la pleine
saison) et nagori (l'arrière-saison) ; le fruit de
nagori est le dernier que l'on goûte, il faudra attendre
l'année d'après pour le déguster, si l'on est vivant !
Il
porte en lui beaucoup de nostalgie : l'étymologie du mot
se rapporte au nami-nokori, le « reste des vagues »,
qui désigne « l'empreinte laissée par les vagues après
qu'elles se sont retirées de la plage. » Je vous le
disais, tout est poésie dans ce petit recueil… « Le goût
de nagori annonce déjà le départ imminent du fruit, jusqu'aux
retrouvailles l'année suivante. On le déguste précisément, comme
si l'on voulait faire durer le goût le plus longtemps possible dans
le palais. Puis peu à peu, le goût se dissipe, comme le son de la
cloche. On accompagne son départ, on sent que le fruit, avec son
goût, s'est dispersé dans notre propre corps. On reste un instant
immobile, comme pour vérifier qu'en se quittant, on s'est aussi
unis. »
Mais
l'humain est allé parfois jusqu'à effacer cette temporalité
circulaire, par exemple lors de l'accident nucléaire de
Fukushima : « On ne pourra plus cueillir
les herbes printanières pour les déguster, les fruits ne seront
plus comestibles, et les oiseaux qui s'en nourrissent seront
contaminés. » Nous nous sommes coupés de cette nature qui
nous enchantait. En effet, cet accident nucléaire introduit une
troisième temporalité qui annule les deux précédentes car il
faudra des dizaines et des dizaines d'années pour que la
radioactivité cesse et que l'on puisse de nouveau apprécier les
bienfaits de la nature. D'une certaine façon, le cycle des saisons
s'est interrompu à Fukushima : on peut voir mais sans toucher
ni manger...
Nagori
est un petit livre de sagesse qu'il faudrait toujours avoir
avec soi pour y lire quelques phrases : il nous apprend à voir
le monde d'un œil nouveau, à renouer avec ce qui nous entoure et
surtout, il nous invite à goûter au temps et à la vie.
Pour
finir, je ne résiste pas au plaisir de vous initier à un mot
magnifique dont parle Ryoko Sekiguchi dans son livre : il s'agit
de la coutume de l'o-miokuri qui « consiste à raccompagner
la personne qui s'en va » jusqu'à ce qu'on ne la voie
plus : « Omiokuri, c'est « raccompagner (okuru) du
regard (mi) » ».
Comme c'est beau…
Une
dernière chose : je suis abonnée au compte Instagram de Ryoko
Sekiguchi et franchement… je me régale !
Oh la la, mais qu'est-ce que tu parles bien de ce roman que je note illico presto ! Et, dans la foulée, je viens aussi de m'abonner au compte Instagram de l'auteur - merci !
RépondreSupprimer...et moi aussi, je raffole des mots japonais intraduisibles ! :-)
RépondreSupprimerOh, je pense qu'il va te plaire... Tiens-moi au courant!
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