samedi 6 avril 2019

Une femme en contre-jour de Gaëlle Josse


Éditions Noir sur Blanc
★★★☆☆


Vivian Maier… Est-ce bien utile de présenter cette nourrice qui passait son temps à photographier les gens qui se trouvaient sur son chemin tandis qu'elle marchait au hasard des rues de NewYork puis de Chicago, un œil sur les gamins qu'elle gardait, l'autre sur le monde agité et fou de la rue ?
Plus de cent cinquante mille photos prises, la plupart non développées.
Qui était-elle ?
Je la découvre en juillet 2014 lors de la sortie du film de John Maloof et Charlie Siskel : Finding Vivian Maier. Plus exactement, je reste fascinée par l'affiche du film placée dans un panneau en verre derrière le stop à la sortie du collège où je travaille. L'affiche retient mon regard. Très vite, son histoire me fascine ; ses photos, et notamment ses autoportraits dénués d'expression, me saisissent. Je commence à rassembler tout ce que je trouve à son sujet. Pas grand-chose encore mais ce pas grand-chose me suffit. Je m'en délecte. Il est de plus en plus question d'elle dans les journaux. Ma collection s'agrandit. Lorsque je tombe sur un autoportrait, je jubile et m'en repais.
Et puis l'année dernière, avec les enfants, nous allons à New York. Je me rends compte qu'arpentant les rues, je pense à elle à chaque moment, m'amuse à me photographier « à la manière de ». Je joue à elle. Vers la fin du séjour, au pied du pont de Brooklyn, nous tombons par hasard sur une librairie. Et là, pour la première fois, je découvre des livres entiers sur elle. Je ne décolle pas. Mais ils sont chers et ne sais pas choisir. Je photographie quelques pages (oui, c'est mal) pour ajouter quelques clichés à ma collection. Et puis Paris, janvier 2019, galerie Les Douches, rue Legouvé dans le 10e, je découvre pour la première fois ses photos grandeur nature… Et là, je m'achète un premier album : ses autoportraits. A chaque page, tandis qu'elle se cache dans un reflet de miroir ou de vitre, je m'abîme dans une contemplation que peu d'oeuvres d'art ont suscitée chez moi.
Pourquoi est-ce que je vous raconte tout cela? Eh bien parce que lorsque j'ai su que Gaëlle Josse avait écrit un texte sur Vivian Maier, j'ai eu peur de l'effet produit par cette fusion, c'était pour moi comme si deux géantes s'étaient donné rendez-vous. J'aime beaucoup beaucoup les romans de Gaëlle Josse, Une longue impatience m'a touchée au coeur et je n'oublierai jamais certaines scènes de ce texte.
Bref, deux grandes allaient se rencontrer… Qu'est-ce que tout cela allait produire ? Comment Gaëlle Josse allait-elle « s'emparer » de cette femme tellement étrange qu'est Vivian Maier ? Par quel « bout » allait-elle la prendre, en parler, NOUS en parler ? Comment s'approcher d'une femme qui demeure un mystère et sur laquelle les témoignages sont extrêmement divergents et très lacunaires ?
L'auteure a choisi de raconter la vie de Vivian Maier, son enfance pas particulièrement heureuse, des parents plutôt défaillants, un long séjour en France puis un retour aux États-Unis, New-York puis Chicago. Il est indiqué en anglais au début du livre : « this is a work of fiction ».
J'avoue que cette précision m'a troublée. Est-ce que pour autant je lisais un roman ? Le mot n'était écrit nulle part. Une biographie romancée ? Pourquoi ne pas choisir l'un ou l'autre ?
Si je connaissais certains pans de la vie de la photographe, son séjour en France demeurait pour moi un peu flou.
Certes, je comblais mes manques mais étrangement, au lieu de m'approcher de Vivian Maier, j'avais la pénible impression de m'éloigner d'elle, comme si toutes ces histoires de famille ne me parlaient pas vraiment de cette femme ; comme si elles étaient là pour remplir un vide, une incapacité fondamentale dans laquelle nous nous trouvons de dire qui Vivian Maier est vraiment.
J'avais envie de la retrouver adulte telle qu'elle est sur ses autoportraits, partir, pour aller vers elle, non de sa famille mais de son œuvre, de ses photos. Recentrer sur l'essentiel : son obsession, son travail. Or, il m'a semblé que le texte passait peut-être trop rapidement là-dessus : « elle travaille sa technique photographique » p 100, oui mais comment ?, que fait-elle précisément ?, note-t-on un changement important, une évolution particulière concernant son travail à ce moment précis ? Et si oui, lequel ? J'aurais eu envie que l'on explore davantage son art de photographe. Cela me manque. Sa vie, on commence à la connaître ; en revanche, j'aurais préféré que le regard de Gaëlle Josse s'attarde sur les photos de Vivian Maier, sur sa façon de voir le monde, les gens, les lieux, sur ses cadrages, ses autoportraits fragmentés (Comment Gaëlle Josse comprend-elle cette femme à l'aune de ce qu'elle a produit ? Quel sens l'auteure donne-t-elle à ces incroyables autoportraits tout en tension?) J'ai finalement eu le sentiment que le texte tournait autour de Vivian Maier sans jamais l'atteindre vraiment. Peut-être aurait-il fallu l'attaquer « de face » et non la contourner : les photos sont citées parfois, trop peu souvent. C'est là que j'attendais Gaëlle Josse, dans une espèce de face à face, yeux dans les yeux : je vais dire ce que je vois quand je TE vois. Je vais dire comment je t'imagine derrière ton Rolleiflex quand tu prends telle ou telle photo. Je vais dire comment je te devine sur les trottoirs, seule ou avec les mômes que tu gardes, avec ce monde autour de toi.
Peut-être même un « je » aurait-il été envisageable, l'auteure se plaçant dans le corps et l'esprit de cette femme. Un roman ? Oui, je crois que c'est ce que j'aurais aimé dans le fond et je pense aussi que c'est de cette façon que le talent de l'auteure se serait vraiment révélé. Parce que c'est vrai, si je n'ai pas trouvé Vivian Maier, j'ai un peu perdu Gaëlle Josse. Je ne la retrouve pas dans ce texte qui m'a semblé parfois un peu « scolaire ». L'auteure est comme bridée par ce récit biographique dans lequel elle n'est pas, qui la tient en dehors de ce qu'elle écrit. Et j'aurais voulu qu'elle soit dedans, que la collusion ait lieu entre l'auteure et son « personnage ». Tant pis si on est dans la fiction, tant pis si on se plante et qu'on passe un peu à côté d'une vérité à laquelle, de toute façon, on n'accédera jamais. Gaëlle Josse redonnant vie à Vivian. La langue de Gaëlle Josse incarnant le mystère Vivian Maier. Oui, finalement c'est ce que j'attendais… et sans doute cela m'a-t-il rendue moins réceptive au projet effectif de l'auteure. Promis, la prochaine fois, j'essaierai de ne pas écrire l'oeuvre à l'avance...

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