Éditions Noir sur Blanc
★★★☆☆
Vivian
Maier… Est-ce bien utile de présenter cette nourrice qui passait
son temps à photographier les gens qui se trouvaient sur son chemin
tandis qu'elle marchait au hasard des rues de NewYork puis de
Chicago, un œil sur les gamins qu'elle gardait, l'autre sur le monde
agité et fou de la rue ?
Plus
de cent cinquante mille photos prises, la plupart non développées.
Qui
était-elle ?
Je
la découvre en juillet 2014 lors de la sortie du film de John Maloof
et Charlie Siskel : Finding Vivian Maier. Plus
exactement, je reste fascinée par l'affiche du film placée dans un
panneau en verre derrière le stop à la sortie du collège où je
travaille. L'affiche retient mon regard. Très vite, son histoire me
fascine ; ses photos, et notamment ses autoportraits dénués
d'expression, me saisissent. Je commence à rassembler tout ce que je
trouve à son sujet. Pas grand-chose encore mais ce pas grand-chose
me suffit. Je m'en délecte. Il est de plus en plus question d'elle
dans les journaux. Ma collection s'agrandit. Lorsque je tombe sur un
autoportrait, je jubile et m'en repais.
Et
puis l'année dernière, avec les enfants, nous allons à New York.
Je me rends compte qu'arpentant les rues, je pense à elle à chaque
moment, m'amuse à me photographier « à la manière de ».
Je joue à elle. Vers la fin du séjour, au pied du pont de
Brooklyn, nous tombons par hasard sur une librairie. Et là, pour la
première fois, je découvre des livres entiers sur elle. Je ne
décolle pas. Mais ils sont chers et ne sais pas choisir. Je
photographie quelques pages (oui, c'est mal) pour ajouter quelques
clichés à ma collection. Et puis Paris, janvier 2019, galerie Les
Douches, rue Legouvé dans le 10e, je découvre pour la
première fois ses photos grandeur nature… Et là, je m'achète un
premier album : ses autoportraits. A chaque page, tandis qu'elle
se cache dans un reflet de miroir ou de vitre, je m'abîme dans une
contemplation que peu d'oeuvres d'art ont suscitée chez moi.
Pourquoi
est-ce que je vous raconte tout cela? Eh bien parce que lorsque j'ai
su que Gaëlle Josse avait écrit un texte sur Vivian Maier, j'ai eu
peur de l'effet produit par cette fusion, c'était pour moi comme si
deux géantes s'étaient donné rendez-vous. J'aime beaucoup beaucoup
les romans de Gaëlle Josse, Une longue impatience m'a
touchée au coeur et je n'oublierai jamais certaines scènes de ce
texte.
Bref,
deux grandes allaient se rencontrer… Qu'est-ce que tout cela allait
produire ? Comment Gaëlle Josse allait-elle « s'emparer »
de cette femme tellement étrange qu'est Vivian Maier ? Par quel
« bout » allait-elle la prendre, en parler, NOUS en
parler ? Comment s'approcher d'une femme qui demeure un mystère
et sur laquelle les témoignages sont extrêmement divergents et très
lacunaires ?
L'auteure
a choisi de raconter la vie de Vivian Maier, son enfance pas
particulièrement heureuse, des parents plutôt défaillants, un long
séjour en France puis un retour aux États-Unis, New-York puis
Chicago. Il est indiqué en anglais au début du livre : « this
is a work of fiction ».
J'avoue
que cette précision m'a troublée. Est-ce que pour autant je lisais
un roman ? Le mot n'était écrit nulle part. Une biographie
romancée ? Pourquoi ne pas choisir l'un ou l'autre ?
Si
je connaissais certains pans de la vie de la photographe, son séjour
en France demeurait pour moi un peu flou.
Certes,
je comblais mes manques mais étrangement, au lieu de m'approcher de
Vivian Maier, j'avais la pénible impression de m'éloigner d'elle,
comme si toutes ces histoires de famille ne me parlaient pas vraiment
de cette femme ; comme si elles étaient là pour remplir un
vide, une incapacité fondamentale dans laquelle nous nous trouvons
de dire qui Vivian Maier est vraiment.
J'avais
envie de la retrouver adulte telle qu'elle est sur ses autoportraits,
partir, pour aller vers elle, non de sa famille mais de son œuvre,
de ses photos. Recentrer sur l'essentiel : son obsession, son
travail. Or, il m'a semblé que le texte passait peut-être trop
rapidement là-dessus : « elle travaille sa technique
photographique » p 100, oui mais comment ?, que
fait-elle précisément ?, note-t-on un changement important,
une évolution particulière concernant son travail à ce moment
précis ? Et si oui, lequel ? J'aurais eu envie que l'on
explore davantage son art de photographe. Cela me manque. Sa vie, on
commence à la connaître ; en revanche, j'aurais préféré que
le regard de Gaëlle Josse s'attarde sur les photos de Vivian Maier,
sur sa façon de voir le monde, les gens, les lieux, sur ses
cadrages, ses autoportraits fragmentés (Comment Gaëlle Josse
comprend-elle cette femme à l'aune de ce qu'elle a produit ?
Quel sens l'auteure donne-t-elle à ces incroyables autoportraits
tout en tension?) J'ai finalement eu le sentiment que le texte
tournait autour de Vivian Maier sans jamais l'atteindre vraiment.
Peut-être aurait-il fallu l'attaquer « de face » et non
la contourner : les photos sont citées parfois, trop peu
souvent. C'est là que j'attendais Gaëlle Josse, dans une espèce de
face à face, yeux dans les yeux : je vais dire ce que je vois
quand je TE vois. Je vais dire comment je t'imagine derrière ton
Rolleiflex quand tu prends telle ou telle photo. Je vais dire comment
je te devine sur les trottoirs, seule ou avec les mômes que tu
gardes, avec ce monde autour de toi.
Peut-être
même un « je » aurait-il été envisageable,
l'auteure se plaçant dans le corps et l'esprit de cette femme. Un
roman ? Oui, je crois que c'est ce que j'aurais aimé dans le
fond et je pense aussi que c'est de cette façon que le talent de
l'auteure se serait vraiment révélé. Parce que c'est vrai, si je
n'ai pas trouvé Vivian Maier, j'ai un peu perdu Gaëlle Josse. Je ne
la retrouve pas dans ce texte qui m'a semblé parfois un peu
« scolaire ». L'auteure est comme bridée par ce récit
biographique dans lequel elle n'est pas, qui la tient en
dehors de ce qu'elle écrit. Et j'aurais voulu qu'elle soit
dedans, que la collusion ait lieu entre l'auteure et son
« personnage ». Tant pis si on est dans la fiction, tant
pis si on se plante et qu'on passe un peu à côté d'une vérité à
laquelle, de toute façon, on n'accédera jamais. Gaëlle Josse
redonnant vie à Vivian. La langue de Gaëlle Josse incarnant le
mystère Vivian Maier. Oui, finalement c'est ce que j'attendais… et
sans doute cela m'a-t-il rendue moins réceptive au projet effectif
de l'auteure. Promis, la prochaine fois, j'essaierai de ne pas écrire
l'oeuvre à l'avance...
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