Éditions Gallimard
★★★★★ (J'ai beaucoup aimé)
Modiano
me fait toujours l'effet d'un auteur qui serait resté enfermé
quelques décennies dans une boîte très hermétique que l'on aurait
enfin ouverte. Rien de ce qui fait le XXIe siècle ne concerne ses
romans: pas de traces de téléphones portables, d'ordinateurs ou de
réseaux sociaux… Non, chez Modiano, on cherche un nom dans le
Bottin, on écrit des lettres avec de l'encre bleu Floride, on parle
de dancing et de bureau des PTT, de magnétophone et de télégramme…
Les
gens sont aimables ou méfiants, habitent ou ont habité Paris (ils
peuvent aussi être absents momentanément de Paris, ce qui est
toujours vaguement inquiétant ou risqué) et s'appellent comme on ne
s'appelle plus : Gérard Mourade, Noëlle Lefebvre ou George
Brainos...
Généralement,
l'un d'entre eux a disparu et un narrateur le recherche. Pourquoi ?
On ne sait pas vraiment et lui non plus dans le fond. S'ensuit une
espèce d'errance essentiellement parisienne, dans un périmètre
assez limité et une chronologie relativement vague. On a toujours
l'impression que le narrateur souffre d'une myopie prononcée qui
l'empêche de voir au-delà d'une certaine distance (autrement, ce
qu'il voit est flou) et qu'une forme d'amnésie l'a frappé peu de
temps après sa naissance. Le personnage principal est donc quelqu'un
qui ne se souvient pas et les gens qu'il interroge ne se souviennent
pas eux non plus. Bref, tout le monde a tout oublié et l'on cherche
des gens que personne n'a jamais rencontrés, et qui sont
certainement morts depuis longtemps (mais là, c'est pas sûr!)
(Seules les traces font rêver, disait René Char… )
Bref,
on tourne pas mal en rond, on rencontre une poignée de personnages
(très peu) mais on finit quand même par les confondre (moi en tout
cas), on se perd dans des détails (des histoires de lettres, de
dossiers égarés ou incomplets…), les années passent, on vieillit
(mais on ne change pas vraiment), on ne renonce pas à chercher (en
s'autorisant quelques pauses assez longues tout de même) comme si
le sens de la vie dépendait de ce qu'on allait trouver (ou pas) et
puis, on finit toujours par mettre la main sur une personne :
est-ce vraiment celle que l'on cherchait au début ou bien quelqu'un
qui lui ressemble vaguement ? Peu importe, elle fera l'affaire.
Dans
cette atmosphère hors du temps et hors de tout, des paroles d'une
très grande banalité prennent soudain l'allure de questionnements
philosophiques très profonds : exemple page 26 : « Et
vous, qu'est-ce que vous faites dans la vie ? » Eh oui,
qu'est-ce qu'on fout là, dis-le moi…
Bref,
on aime Modiano ou pas. Si vous aimez, vous adorerez ce roman ;
si vous n'aimez pas, passez votre chemin.
Quant
à moi, je fais partie des fans absolus : j'aime l'écrivain qui
à chaque question qu'on lui pose répond par « C'est compliqué
» avant de plonger son regard inquiet dans le vide et de répéter
une autre fois comme quelqu'un qui prend douloureusement conscience
de la difficulté de traduire l'existence en mots, « oui, c'est
compliqué »… J'aime ses textes parce qu'ils expriment une
vision du monde très personnelle, et c'est bien là la
caractéristique d'un grand écrivain, isn't it ?
L'errance
modianesque dit le temps qui passe, s'effiloche, la mémoire qui
vacille et l'oubli qui prend le relais. Les lieux, seuls, forment de
vagues repères… et encore… Rien ne résiste au temps, ni les
gens, ni les choses…
L'homme
n'est qu'un passant… Un passant de passage… Qui a presque tout
perdu et tout oublié.
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