Éditions Stock
★★★★☆ (glaçant)
Je
ne sais pas vous mais moi, si l'on me proposait un poste de
directrice de l'Alliance Française à Irkoutsk, capitale de la
Sibérie orientale, tout près du lac Baïkal, eh bien, je
n'hésiterais pas une seconde (oui, je développe actuellement une
certaine obsession pour certains lieux dont le lac Baïkal autour
duquel je pense un jour ou l'autre aller traîner mes vieilles
chaussures de marche.) Mais ce n'est pas à moi que l'on fit cette
belle proposition mais à un certain Yoann Barbereau qui prit ses
cliques et ses claques et s'empressa de partir avec sa fiancée russe
(ça tombait plutôt bien) et sa fille… Comme ce genre de fonction
suppose une bonne capacité d'absorption et de digestion (ce qui est
dans mes cordes, jusque là, ça va)… ainsi qu'une langue bien
pendue (je suis tout sauf une taiseuse), je pense qu'à la condition
de ne pas prononcer un mot de russe (pure hypothèse très peu
probable mais au pays de Gogol, tout est envisageable), je serais
tout à fait à la hauteur…
Hélas,
personne ne m'a jamais proposé un si joli poste et finalement, ce
n'est peut-être pas plus mal car voyez-vous, le risque quand même,
c'est de finir au fond d'une prison (bon, je sais, la Sibérie, le
goulag… mais évitons les amalgames fâcheux) ou dans un asile de
fous, voire coincé dans un appart, un bracelet électronique à la
cheville…
Eh
oui, c'est ce qui arriva à notre pauvre Yoann Barbereau, oui le
directeur de l'Alliance française à Irkoutsk – je répète pour
ceux qui ne suivent pas - victime de ce qui en Russie se présente
comme une activité, comment dire, pas quasi officielle mais
presque : le kompromat…
Quèsaco ?
Grosso modo, il s'agit de piéger une personnalité en lui mettant
dans les pattes quelque irrésistible jolie poupée de porcelaine aux
yeux clairs puis de prendre quelques photos de ladite personnalité
occupée à jouer avec ladite créature ou bien de mettre fin à la
carrière prometteuse d'une personnalité en vue (tiens, ça vous
rappelle quelque chose, on dirait…) en l'accusant de viol, par
exemple, sur mineur(e), encore mieux. C'est précisément ce que
vécut notre jeune directeur arrêté un beau matin au sortir du lit
pour viol sur sa propre fille en particulier et pédopornographie en
général. Rien que ça. Inutile de vous décrire le côté kafkaïen
de l'affaire…
On a
beau ensuite tenter d'expliquer aux gentils messieurs qui prennent
soin de nous écouter qu'il doit y avoir une légère erreur sur la
personne, rien n'y fait. Vous êtes pris au piège, écrasé, mis en
bouillie, détruit et si personne ne s'intéresse à vous ailleurs
dans ce vaste monde, on peut penser que vous pouvez dire adieu à
votre cher plancher des vaches (avec l'aide ou pas de la DGSE qui
face aux Russes semble avoir un peu de mal à se faire comprendre).
Il faut compter rester là-bas quinze ans minimum, j'allais dire « au
chaud » mais en Sibérie, ce n'est pas franchement le cas (eh,
quand même, – 40 l'hiver… je n'irai pas en hiver, c'est sûr, à
moins que dans mon Décath' d'à côté, ils se mettent à vendre des
doudounes ultra performantes mais même, n'insistez pas et pourtant,
ce putain de lac en hiver…) Bon, restons polie et revenons à notre
Ivan ou Vania ou Vanka ou bien encore Vanechka (d'accord j'arrête,
la littérature russe vous pompe précisément à cause de ces petits
jeux sur les noms, donc ok ok ) Yoann : qu'a-t-il fait pour
mériter ça, me direz-vous ?
Eh
bien le problème, c'est qu'il n'en sait rien. Ou pas grand-chose.
Bon, il a un peu batifolé avec la femme d'un notable d'Irkoutsk
(mais elle était très très consentante)… C'est pas bien mais ça
ne vaut pas 15 ans de Sibérie quand même… Ok, il était copain
avec des gens plutôt opposés à notre ami Poutine… Ca arrive…
En tout cas, ce qui est sûr, c'est que quelque chose n'a pas plu à
quelqu'un et notre Yoann pense que c'est un coup monté par le FSB.
(S'il vous plaît, les services secrets russes, ne lisez pas ce qui
suit… je veux bien faire une p'tite rando du côté du Baïkal mais
je veux aussi rentrer chez moi… J'ai quatre mômes, deux chiens et
un poisson rouge qui m'adorent et qui ont encore un peu besoin de moi
dans la vie (plus pour longtemps mais quand même)) donc le FSB ?
Service Fédéral de Sécurité de la Fédération de Russie (ouh là
là… j'ai déjà la trouille, tiens), frère jumeau du KGB
soviétique : contre-espionnage, surveillance des frontières,
opérations anti-terroristes, lutte contre la corruption et le crime
organisé (toussa toussa nous dit Wiki). Officiellement du moins. Ils
fonctionnent en lien étroit avec toute la sphère politique et
économique. Bref… On peut imaginer quelques légères
interactions… interférences (je ne sais pas comment dire moi et je
veux rester polie - je veux rentrer chez moi...) entre des mondes qui
se côtoient, dirons-nous, le tout pouvant coûter cher aux petits
damoiseaux de passage qui ont tapé sur les nerfs d'un petit notable
irkoutskien… Ils sont un peu nerveux là-bas (le froid, ça ne
détend pas… La vodka, par contre…)
Bon
allez, je ne vous révèle pas l'histoire de notre Yoanntchik qui en
a des vertes et des pas mûres à raconter (encore un exemple où le
réel dépasse très franchement la fiction) : entre des
rencontres improbables avec des prisonniers aux trognes incroyables
et aux destins bien sombres, des fous au grand coeur et à l'âme
perdue à jamais, des tarés des chemins enivrés jusqu'aux os et
toujours prêts à en découdre, entre des BlaBlaCar nocturnes et des
Airbnb salvateurs, des téléphones portables laissés ici et là,
des leurres improbables, des perruques folles et des aides précieuses
restées anonymes, il faudra une résistance incroyable à Yoann
Barbereau pour fuir l'enfer.
Sans
la littérature et l'écriture, rien n'eût été possible car avant
que de libérer le corps, il faut à l'âme un certain espace pour
pouvoir se mouvoir, des mots qui comblent les vides, qui réchauffent
et qui rassurent. Chapeau quand même ! Une sacrée aventure
qu'il vous faut, cher lecteur, absolument découvrir !
Promis,
avant de partir j'apprendrai quelques vers de Marina Tsvetaïeva ou
de Sergueï Essénine. On ne sait jamais...
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