Vendredi, en fin d’après-midi, j’ai eu le plaisir de rencontrer Camille Laurens dans la librairie Doucet au Mans. Quelques lecteurs s’étaient réunis dans une ambiance chaleureuse pour l’accueillir. L’échange a été très riche : Camille Laurens, sensible, authentique dit ce qu’elle est, calmement, d’une voix posée.
Je me propose de vous restituer
le contenu de l’échange mais dans la mesure où je ne l’ai pas enregistré (j’ai
pris des notes !), j’ai parfois été obligée d’en modifier la forme, de réécrire un échange oral.
Pourriez-vous nous commenter le choix de ce titre ?
C’est un titre à plusieurs
entrées : on retrouve, évidemment, l’expression : « Je ne
suis pas celle que vous croyez. », je ne suis pas si facile que cela à
séduire… Mais, ce titre renvoie aussi au thème central de l’œuvre, celui de la
fausse identité. Enfin, c’est peut-être aussi l’histoire qui n’est pas celle
que vous croyez. En effet, dans ce livre les histoires sont comme des cartes
sans cesse rebattues.
Les premières pages présentent une femme qui fait une déposition à la
gendarmerie. C’est un début assez brutal, non ?
Sachez que ce prologue a été
écrit à la fin puis, placé au début : je voulais commencer par quelque
chose de mystérieux. La narratrice est dans une extrême douleur ce qui se
traduit par l’absence de ponctuation. Ce début, un peu violent, donne le ton.
Dans la première histoire, Claire parle à Marc B., psychiatre. Les
questions qu’il pose ne sont pas formulées.
Non, je n’ai pas voulu
interrompre son flot de paroles, je voulais la laisser s’exprimer, raconter son
histoire. Et puis, à partir des réponses, on comprend la question qui a été
posée.
En lisant votre livre, on pense à Marivaux…
Oui, au Jeu de l’amour et du
hasard à ceci près que dans Le jeu, l’échange maîtres /
serviteurs est temporaire et cela se termine bien. Or, dans mon livre, la
narratrice se trouve face à l’impossibilité d’enlever son masque, c’est bien ça
le problème et le marivaudage tourne mal.
On peut penser aussi aux Liaisons
dangereuses de Laclos où la manipulatrice devient victime d’elle-même.
C’est un livre que l’on a du mal à poser quand on l’a commencé…
Oui, je vous avoue que je suis
une grande lectrice de romans policiers. A une époque, j’en lisais deux par
jour ! J’ai écrit mon livre sur le principe du thriller. Je suis fascinée
par ce qui nous fait tourner les pages sans que l’on puisse s’arrêter. Roland
Barthes faisait la différence entre le « texte plaisir » qui embarque
le lecteur dans l’histoire et la « lecture jouissance » dont le
plaisir est celui de la langue. L’écrivain idéal serait celui qui associerait
les deux.
Par ailleurs, je ne voulais pas
que ma narratrice abandonnée soit lâchée encore par le lecteur.
Et puis, je me vis comme
détective : le but de l’écriture est de mettre de la lumière sur ce que je
vis et ce que vivent les autres, d’élucider ce qui se passe. D’une certaine
façon, je mène l’enquête.
Est-ce un livre féministe ?
En lisant des magazines, en
écoutant la radio, j’ai entendu des remarques qui m’ont heurtée : un
journal très sérieux disait de Madonna qu’elle était « ridicule de vouloir
exister », parce qu’à cinquante ans, une femme ne doit plus donner de
concerts !
La femme d’Emmanuel Macron est
appelée cougar ou pédophile alors que l’on n’a rien trouvé à redire sur le fait
que Pierre Moscovici a une femme de trente ans sa cadette : « la
belle et le ministre » lit-on dans les journaux ! La différence de
traitement est insupportable. Bon, évidemment, par rapport à Balzac (La
Femme de trente ans), on a gagné du temps mais il faut rester vigilant, il
y a encore beaucoup de travail à faire. Au dix-septième, la femme n’avait pas
d’âme mais elle n’a encore trop souvent qu’un corps !
Peut-on parler d’autofiction ?
Doubrovsky définit en 1977
l’autofiction : c’est un livre dont la
matière est autobiographique et la manière
fictionnelle. Dans le livre, ce n’est pas moi, je ne suis pas allée en hôpital
psychiatrique. Je pars d’un « éprouvé », de quelque chose que j’ai
vécu : le rapport à l’âge/ le désir/la réflexion sur la création. Le tout
est transposé dans un dispositif fictif.
Je me laisse imprégner par ce que
je vois, je peux rater le métro parce que j’écoute la conversation des voisins.
Tout est matériau pour le roman.
Comment naît votre roman ?
J’ai mis deux ans avant d’écrire
celui-ci : pendant ce temps, s’accumule en moi un chaos d’idées, de
sensations et à un moment je suis prête. J’ai écrit pendant un an. Je peux
rester très longtemps sur une page et je ne passe pas à la page suivante si
celle que j’ai écrite ne me semble pas parfaite. Quand j’ai mis le point final,
deux amis écrivains font une relecture ainsi que mon éditeur mais je modifie
peu de choses.
On sent chez vous un amour des mots.
J’ai écrit trois recueils sur les
mots et des chroniques. J’aime cette phrase de Queneau : « Prends ces
mots dans tes mains et vois comme ils sont faits. » Ils sont comme de la
glaise, il faut les modeler.
Il y a de l’humour dans votre livre
Oui, je ne voulais pas de pathos.
La narratrice est certes dans une grande détresse, une grande mélancolie, mais
elle a en elle une force vitale qui passe par l’humour. L’humour permet
d’exister « malgré ». Je voulais montrer une femme qui ne renonce
pas.
Eprouvez-vous un vide lorsque le roman est achevé ?
Non, pas du tout ! Je mets
la musique à fond et je danse, c’est comme cela que tout le monde sait que j’ai
fini ! Et puis, je porte les personnages en moi, donc d’une certaine
façon, ils continuent à vivre.
Que pensez-vous de la réforme de l’orthographe ?
Je suis un peu contrariée, on
perd l’histoire de la langue. Les accents circonflexes correspondent à quelque
chose dans l’histoire des mots. De toute façon, je n’écrirai jamais nénuphar
avec un f !
Avez-vous des projets de roman ?
Comme je commence par écrire la
fin des romans, j’ai trois fins. Il faut que j’en choisisse une et que je
construise le roman qui va aboutir à cette fin !
Les rencontres avec des écrivains sont toujours de merveilleux moments...
RépondreSupprimerAmusant, ça, de commencer par écrire des fins... C'est toujours tellement intéressant de rencontrer des auteurs dans les bonnes librairies ! J'irai la rencontrer à Paris en avril...
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