lundi 21 décembre 2020

Histoires de la nuit de Laurent Mauvignier


Les Éditions de Minuit
😡😡😡 je n'ai pas aimé du tout

« Histoires de la nuit » m'a fait l'effet d'avoir un chewing-gum accroché à mon talon par une chaude journée d'été : vous savez, le truc énervant qui colle, s'étire, se distend, s'allonge en se divisant en une multitude de fils à chaque pas, vous empêchant littéralement d'avancer.

Je dois vous avouer que, dans un premier temps, la lecture de l'horrible première phrase m'a immédiatement fait refermer le roman. A la fois longue et lourde, bancale et maladroite, s'efforçant de mimer vaguement la forme du Nouveau Roman, cette grotesque et aberrante première phrase ne laissait rien présager de bon. En plus, elle n'avait rien à voir avec le style de Mauvignier. Rien. Elle en était même l'opposé.

J'avais donc abandonné. Et j'étais furieuse.

Pourtant, j'aime Mauvignier. Et je l'attendais, ce roman.

Et puis, certains m'ont dit : « Poursuis ! A la deux-centième page, tu verras, c'est mieux ! »

Je suis allée jusqu'au bout de ce pavé et franchement, je ne comprends toujours pas ce qui lui a pris à Mauvignier d'étirer dans tous les sens cette histoire, le moindre détail donnant lieu à des développements sans fin, des explications vaines, des répétitions inutiles, des précisions superflues pour arriver à ce gros bloc balourd, boursouflé et ridicule. Quelle patience il m'a fallu pour traverser toutes ces pages à la fois inélégantes et artificielles dans leur forme et tellement redondantes dans le fond. Était-ce pour que le lecteur éprouve viscéralement l'ennui profond qui règne dans ce hameau ou bien l'auteur a-t-il voulu rendre palpable l'âme torturée des protagonistes ?

Le résultat : l'impression d'un texte incompréhensiblement hypertrophié et verbeux qui aurait pu être vraiment très bon si Mauvignier avait eu l'idée géniale d'écrire avec son propre style. D'ailleurs, la fin est nettement meilleure que le début. On dit que le naturel revient au galop…

C'est raté et c'est vraiment dommage !


 

mardi 15 décembre 2020

Les émotions de Jean-Philippe Toussaint

 

Les Éditions de Minuit
★★★★★ (j'ai beaucoup aimé)

Rappelez-vous dans La clé USB, Jean-Yves Detrez haut fonctionnaire de la Commission européenne rentrait de Chine où il s'était fait embarquer dans une sombre histoire de bitcoins (d'autant plus sombre que j'ai complètement oublié l'intrigue mais c'était vraiment très très bien…) Bref, nous le retrouvons ici dans différents lieux. Tiens, d'ailleurs, si vous cherchez un sujet de thèse (ça arrive tous les jours, hein, de chercher un sujet de thèse ...), en voici un : « Espace public/espace privé dans l'oeuvre de J.P Toussaint ». En effet, ce qui nous est donné à voir dans le deuxième opus de cette future trilogie, ce sont des lieux (publics surtout) où s'inscrit une histoire intime, celle du narrateur.

En effet, outre la Commission européenne (le chantier du Berlaymont) que nous explorons lors d'une visite guidée de l'architecte Pierre Detrez, frère du narrateur, nous découvrons le château d'Hartwell House (belle demeure datant en partie du XIe siècle, située dans le Buckinghamshire au nord-ouest de Londres) pour un séminaire autour de la prospective (eh oui, certains sont payés pour lire dans une boule de cristal afin d'élaborer des scénarios plus ou moins plausibles…), nous déambulons aussi bien entendu dans les rues de Bruxelles, rue de Belle-Vue, avenue Émile Duray, place du Châtelain… (Tiens, finalement, il y aurait bien un petit côté modianesque dans ce roman…) En tout cas, nous est donnée à explorer une véritable géographie toussaintienne (?) tout à fait passionnante...

En effet, ce qui peut sembler paradoxal, c'est que les émotions naissent et s'épanouissent dans un espace public qui, par définition, est organisé, structuré, codifié, et c'est notamment en franchissant légèrement les limites de cet espace public que surviennent lesdites émotions (notamment à travers des rencontres amoureuses) : on court dans les sous-sols labyrinthiques de la Commission européenne, on marche la nuit tombée dans les sous-bois de Hartwell House, on se caresse la main sur un coin de table de la cafétéria de l'Eurocontrole en pleine crise de volcan islandais en furie.

En revanche, l'espace privé est étroitement lié à la mort de l'amour - c'est le lieu où l'on étouffe, où on ne supporte plus la promiscuité des corps - mais aussi à la mort tout court, celle du père, au coeur même du roman. On observe ainsi une espèce d'inversion : le sentiment tire son origine et sa force dans un espace où il n'a pas lieu d'être (l'espace public). Au contraire, il s'affaiblit et finit par s'évanouir totalement dans un espace où il aurait a priori tout pour se fortifier (l'espace privé). On a l'impression que chez Toussaint l'espace public porte en lui des promesses, un avenir possible contrairement à l'espace privé (la chambre, la salle de bains) qui pousse vers la destruction, le néant. En effet, l'appartement du couple subit une inondation… Tout prend l'eau. Et d'ailleurs leur première union intime a lieu dans une baignoire de salle de bains (ce qui n'est pas vraiment bon signe chez Toussaint.) Tout se passe comme si l'espace confiné, retiré du monde, l'espace pascalien s'autodétruisait de lui-même, comme s'il lui manquait une ouverture pour respirer, de la place pour s'épanouir et se développer...

En tout cas, comme le fait remarquer le narrateur, englué dans ses histoires de prospective ou de volcan islandais Eyjafjöll provoquant un blocage de tout l'espace aérien européen qu'il faut choisir de prolonger ou non, « si dans ma vie professionnelle, j'avais une maîtrise incontestable de l'avenir, je me rendais compte que, depuis quelques temps, je ne maîtrisais plus rien dans ma vie privée. »

Il y a donc un espace que l'on maîtrise (celui du travail) et un espace qui nous échappe (celui du coeur). Et Toussaint joue des contrastes entre ces deux espaces, notamment lorsqu'ils se télescopent lors d'une rencontre intime dans le cadre du travail, d'un coup de fil privé au bureau ou bien lorsque l'émotion privée s'empare d'un haut fonctionnaire tandis qu'il fait un discours public.

Si l'on peut (j'ose l'espérer) tirer quelques bénéfices de la prospective publique, elle semble totalement inefficace lorsqu'elle touche le domaine privé (même si la rencontre avec sa femme Diane a commencé sur un « - Comment ? » qui annonçait déjà une communication un peu compliquée...)

Encore une fois, chez Toussaint, l'humain échappe aux codes, aux grilles de contrôle, aux tableaux de prospective. Il est inattendu, surprenant, souvent imprévisible, parfois indéchiffrable, n'obéit ni aux codes ni à la raison encore moins à la logique. Et surtout, il est capable de créer un espace de liberté précisément là où c'est interdit. D'ailleurs les corps semblent parfois agir sans aucun sens du rationnel, de la cohérence ou de la sagesse, ils ne se plient à aucune loi, échappent à tout commandement, à la moindre prévision. Ils sont le vacillement, le mouvement, le pas de côté (n'oublions pas que la racine d'émotion est « movere » qui signifie « mouvoir »).

Hors du temps et hors de l'espace, ils sont un espace à eux tout seuls, retranchement ultime où il est peut-être encore possible d'accéder au bonheur... Une dernière forme de romantisme désespéré (comme chez Houellebecq), espèce de bouée de sauvetage hélas, déjà percée...

Par ailleurs, au coeur même du roman, la mort du père, homme public, européen convaincu, viscéralement humaniste, intervient précisément au moment où les sphères publique, politique, sociale, religieuse s'écroulent, se fracassent : 2016, le referendum du Brexit, l'élection de Trump, la brutale montée des populismes, les attentats. Les émotions publiques grossières, vulgaires et « dangereuses » s'emparent de la raison : on crie, on tweete, on s'insulte, on se frappe, on tue… Elles envahissent l'espace public mais elles ne sont que la caricature des vraies émotions qui « sont intimes et silencieuses », extrêmement ténues, fugaces, si fragiles et si précieuses.

Le père meurt parce qu'il n'a plus sa place dans un monde sans repères.

Juste deux mots encore : Toussaint est bien le seul auteur avec Carrère (on pourrait d'ailleurs les rapprocher sur bien des points) à être capable de me passionner avec des histoires de blockchain, de bitcoin ou de prospective… S'il y a du Carrère dans Toussaint, on y respire aussi Proust parfois au détour d'une phrase sur le temps… C'est vraiment un très grand conteur parce que, quand même, (tenez bon, ce sont les derniers mots), quelle écriture, quelle magnifique et incroyable fluidité …


                 




mercredi 9 décembre 2020

L' Anomalie d'Hervé Le Tellier

Éditions Gallimard
★★★★★  Je ne suis pas originale: j'ai adoré!

Vous n'avez pas encore lu le prix Goncourt ? Et vous en avez l'intention ? Alors, je vous déconseille de lire ce qui suit : en effet, comme il est très difficile de parler de « L'Anomalie » sans dévoiler ne serait-ce que le début de cette histoire incroyable, je préfère vous prévenir… Mais si vous l'avez déjà lu… si connaître un peu l'histoire à l'avance ne vous déplaît pas tant que ça... ou bien, avouez-le, si vous n'avez pas l'intention de le lire... C'est parti, suivez-moi, je passe après vous !

Imaginez : un avion atterrit deux fois. Oui, une fois en mars 2021 et une seconde fois en juin 2021. Le même Boeing 787 avec les mêmes pilotes, les mêmes hôtesses, les mêmes passagers, le même pare-brise fissuré, le même radôme défoncé, la même tache de ketchup sur le même siège grisâtre dont le bord est légèrement déchiré par la même usure...

Deux fois… Deux fois exactement le même...

Le 2e vol Paris/New-York, après avoir traversé un énorme cumulonimbus et un mur de grêlons gros comme le poing, est expressément dévié de JFK et invité à se poser sur une base militaire du New Jersey, dans une discrétion toute relative… Parce que les passagers qui vont descendre, eh bien, comment dire ? Ils existent déjà… ils ont déjà atterri en mars 2021, sont déjà rentrés chez eux, certains sont même déjà morts ! Bref, pour le moment, on les maintient dans un grand hangar et l'on fait venir de toute urgence tous les prix Nobel, les Prix Abel, les « médailles Fields » que l'on peut trouver, les responsables de tous les cultes possibles et imaginables, quelques philosophes de derrière les fagots... On contacte le président des USA (un certain Donald Trump ou un qui lui ressemble fortement .) Et tous ensemble, on réfléchit, on triture les phénomènes dans tous les sens et l'on essaie de trouver une solution, une réponse quoi… Ou au moins, un début de réponse…

Et si nous faisions partie d'un vaste programme, d'une espèce de test, d'une simulation à grande échelle programmée par un … un quoi ? Un être suprême ? Une intelligence artificielle ? Un grand manipulateur ? Un prodigieux ordonnateur ? Un dieu tout-puissant ? Bref, quelqu'un-une-chose qui nous aurait créés pour voir un peu comment nous nous débrouillons sur terre (il ne doit pas être déçu…) et qui, le moment venu, arrêtera toutes les machines (à moins qu'on le fasse de nous-mêmes - à l'allure où l'on va, j'opterais plutôt pour la 2e voie de cette tragique alternative.)

Et nous, là-dedans, nous sommes qui (quoi) exactement ? Des esprits qui pensent réellement ou bien des cerveaux virtuels programmés pour concevoir telle ou telle chose ? Quelle est notre part de liberté ? Et puis, concrètement, comment va-t-on faire pour vivre avec notre double ? Y a-t-il un original et une copie ou deux originaux ou deux copies ? Tout est-il simulé, tout est-il falsifié, tout est-il truqué ?

Tant de questions que l'on aurait pu ne pas se poser s'il n'y avait eu, dans la programmation du grand manitou,… une anomalie (comme quoi, l'erreur n'est pas qu'humaine…)

Bon allez, franchement, l'idée est carrément géniale… Et l'on avale le roman comme on lirait un vrai page-turner… Même si j'ai quelques réserves sur le nombre de personnages que l'on suit : les 10 premiers chapitres sont en gros réservés à la présentation des personnages du roman, un par chapitre, mais pour moi, c'est trop. Quand on les recroise un peu plus loin, je les situe plus ou moins bien. Et puis, tiens, en plus, qu'est-ce que c'est frustrant tous ces premiers chapitres qui nous présentent des personnages et des situations qu'il nous faut quitter très rapidement… C'est un peu long ce début, on attend le décollage (ah ah!), que l'intrigue démarre enfin… Peut-être aurait-il été préférable de se limiter à 4/5 personnages ou familles, quitte à les fouiller un peu plus… Mais bon, ok, je chipote…

Ce roman m'a vraiment fait penser aux contes philosophiques voltairiens : l'histoire/ les personnages étant un prétexte à une réflexion philosophique, métaphysique, à une critique de la société et des mœurs… Avec le même humour bien décapant. On met en place une situation, on y jette une poignée de personnages et on les observe se débattre (comme des rats de laboratoires.) Et c'est franchement drôle, très drôle même… Certains passages sont de vrais morceaux d'anthologie : par exemple lorsque les conseillers scientifiques sont réunis et échangent avec un président qui n'y comprend rien (un peu comme nous d'ailleurs) ou bien lorsque les représentants des différentes religions sont prêts à se battre parce qu'ils ne parviennent pas à trouver un accord… Heureusement que celle qui chapeaute ces réunions, la géniale Jamy Pudlowski, « rétive à toute forme de conviction religieuse », a ces paroles assez percutantes : (quand on lui demande si elle est athée, elle répond : « Je m'en fous, Dieu, pour moi, c'est comme le bridge : je n'y pense jamais. Donc, je ne me définis pas par le fait que je me fous du bridge, et je ne me réunis pas non plus avec des gens qui discutent du fait qu'ils se foutent eux aussi du bridge. »

Une foule de questions se presse et l'on rit de l'évolution inattendue de certains personnages qui sauront parfois se débarrasser au plus vite de leur double gênant. Franchement, ce texte fourmille de réflexion passionnantes, de saillies drôles, surprenantes, paradoxales, désespérées… Le texte est facétieux, faussement léger, parodique à souhait, bourré de références et de mises en abyme… j'aime aussi beaucoup le ton parfois mélancolique qui est le sien : « Personne ne vit assez longtemps pour savoir à quel point personne ne s'intéresse à personne. » Ooohhhh, que ça fait mal… Les genres se mélangent brillamment, les jeux d'écriture vont bon train : on assiste à un vrai numéro d'équilibriste qui finit sur une superbe cabriole dont je ne dirai rien…

Franchement, bravo ! Une vraie belle réussite !


 

mardi 24 novembre 2020

Yoga d'Emmanuel Carrère



Lettre 3:

Souvent, quand je te lis, Manu, j'ai l'impression d'entendre parler un personnage de Dostoïevski. Il y a quelque chose de fondamentalement humain dans la misère que tu exprimes et j'entends comme une plainte sourde qui dit ta souffrance et ton malheur. Tu écris souvent « Je ne suis pas un homme bon » et tu vois, ces mots, dans leur simplicité, dans leur candeur, sont un aveu qui me bouleverse. Qui dit cela ? Qui se met à nu comme tu le fais ? Personne Manu. Personne. Parce que nous sommes tous très attachés à nos illusions. Et puis, parce que, dans le fond, tout le monde s'en fout d'être un homme bon. On ne court plus après ça. L'homme moderne cherche autre chose. Et toi, Manu, tu nous sors un truc de derrière les fagots, presque ringard, d'une autre époque et qui te turlupine et te rend malheureux. Tu n'es pas bon. Tu aimerais devenir meilleur. Et quand tu me dis ça, j'ai juste l'impression d'avoir un petit garçon devant moi, un enfant qui aurait fait une grosse bêtise et ne s'en remettrait pas. Dans une crise de larmes, il avouerait ses fautes. Et on le sentirait définitivement inconsolable. Et ce petit garçon, c'est toi Manu. Et cette culpabilité que tu traînes comme un fardeau, parce que c'est bien ça, hein, le problème ? Eh bien, cette culpabilité pour le mal que tu penses avoir fait et que tu penses faire encore et toujours, la douleur immense qui est la tienne (et qui t'empêche de vivre), je la vois comme celle du Christ… Tu veux faire grand mais tu n'es qu'un homme, enfermé dans sa petitesse, fatigué de ses limites, usé par son narcissisme et ses obsessions. Tu aimerais, dans le fond, quitter cette nature qui te confine à la médiocrité, qui t'enferme dans la mesquinerie, l'inconsistance et le mensonge. Mais tu es un homme, Manu.

Alors, tu t'es peut-être dit : si je pouvais me donner aux autres pour me faire pardonner… et embarquer avec moi, dans ce projet fou, ceux que j'aime, ceux que j'ai aimés et peut-être aussi, ceux qui me lisent… Pour qu'ils soient pardonnés, eux aussi. N'est-ce pas cela que tu recherches à travers l'écriture, un moyen de t'abandonner, d'abandonner ce que tu es. Quelque chose qui a à voir avec le sacrifice... Il me semble que c'est ce que tu fais quand tu écris : tu t'offres, tu t'exposes dans toute ta nudité, dans toute ta misère, dans toute ta pauvreté. Et tu vois, d'une certaine façon, (mais je me trompe peut-être), je me dis que ton projet n'est pas si éloigné que ça de celui de Jean-Baptiste Clamence : dans une « confession calculée » et en nous tendant un miroir, nous entraîner avec toi, dans ta chute. Qu'on se casse la gueule, qu'on se vautre bien, que ça fasse mal… Et qu'on s'en relève différent, changé, meilleur... Te purifier et nous purifier, nous sortir de nos « eaux pourries ». Malgré nous. Pour nous.

Quelle entreprise Manu… Trop ambitieuse pour tes petites épaules, trop démesurée pour ton âme si fragile. Mais tellement belle...

Et comme le critique qui t'avait rendu visite (Wyatt Mason – quelle intelligence que cet homme), j'ai envie de te consoler, juste en te serrant dans mes bras - existe-t-il d'autres façons de consoler ?

Je voulais aussi te dire une autre chose Manu. Tu écris qu'aimer est une des plus belles choses qui existent au monde, la seule qui rende heureux et vivant. Et tu nous offres une fin de roman pleine de promesses. Franchement, allez, je te le dis, on sent que tu fais ça pour nous faire plaisir. On n'y croit pas vraiment (et toi non plus je pense), mais c'est pas grave, tu as la fin que tu recherchais, une note positive et belle, « un espace de joie »… Je voulais juste te remercier de nous avoir fait ce dernier don (qui a dû te coûter cher), de t'être efforcé de le faire, d'avoir, pour nous, accepté d'achever ton texte comme s'il était un roman… Par une parole gentille et légère, pleine de promesse en un avenir auquel tu n'as jamais cru vraiment pour toi (ni pour nous d'ailleurs - mais peut-être plus pour nous que pour toi…)

Tu n'as pas voulu nous laisser seuls avec notre croix trop lourde à porter, alors tu nous as parlé d'amour…

T'es vraiment un homme bon, Manu...


jeudi 12 novembre 2020

Yoga d'Emmanuel Carrère


Lettre 2 :


Parfois je me demande, Manu, ce qui m'intéresse dans tes textes. Je veux dire, ce qui m'intéresse VRAIMENT. Franchement, a priori rien ou pas grand-chose. Le yoga (comme tu l'auras un peu deviné dans ma précédente lettre), c'est pas trop mon truc. Mais y a pire, bien pire même : tiens, par exemple, de mémoire : ton histoire de crédit revolving et de lois sur le surendettement (« D'autres vies… ») mais qu'est-ce que j'en avais à faire ? Rien. Absolument rien. Et pourtant...

Pourtant, il te suffit de deux lignes pour m'embarquer, me ferrer, me ravir : je dévore tout ce que tu racontes comme si on m'avait privée de bouquins pendant douze confinements… Et ça marche avec n'importe quel sujet. Tu pourrais décrire les différentes méthodes de forage (havage, battage, rotary, tarière, marteau fond de trou…) ou la fabrication du poiré dans une ferme du Domfrontais (pilage, pressurage, soutirage, fermentation, mise en bouteilles...) que t'en ferais à coup sûr un vrai page-turner, un truc qu'on pourrait plus lâcher et dont on se dirait soudain : « Mais comment j'ai fait pour vivre sans m'intéresser à cette chose passionnante pendant si longtemps ? » Et ce dont tu te foutais complètement deux secondes avant devient essentiel, indispensable, nécessaire même, car on a le sentiment que ça va nous mener là où on n'a jamais pensé mettre les pieds (ce qui est le cas!) et nous apporter quelque chose de fondamental, de précieux, comme un éclairage nouveau sur le monde et peut-être même précisément ce qui nous manquait peut-être pour mieux le comprendre, ce foutu monde, et y être heureux.

Et donc, tes histoires de yoga… si elles m'ont intéressée (ce qui est déjà un exploit !), je n'ai pas eu pour autant envie de me pencher davantage sur cette discipline, de lire d'autres ouvrages à ce sujet. Non, vois-tu, la seule chose qui m'intéresse c'est Carrère qui parle du yoga. C'est Carrère qui parle. Point barre.

Alors pourquoi ? Comment ça marche ? J'ai quelques pistes. On pourrait, je pense, en trouver d'autres. D'abord, il y a la langue : très limpide, très précise, hyper fluide et qui rend d'une clarté folle le truc le plus complexe, le plus ardu, le moins digeste. Et franchement, je suis sûre que ça doit te donner un boulot de dingue (comme dirait notre président) de dire les choses si simplement. J'avais tenté dans une chronique sur un livre de J.P Toussaint d'expliquer aux gens un truc que je ne comprenais pas moi-même (mais alors PAS DU TOUT) : les bitcoins. Je te jure, j'avais passé deux heures à écrire trois lignes. C'est le truc le plus difficile qui existe au monde. Simplifier. Rendre clair ce qui est compliqué. Et toi, t'es un as. Et non seulement tout est clair comme de l'eau de roche mais cette clarté rend l'exposé passionnant. On comprend que dans le monde des choses incroyables existent et on ne le savait pas. Et on n'en revient pas. On a même l'impression (mais ça ne dure pas longtemps) d'être génial… (t'aurais dû être prof, Manu)

Et puis, ce que je trouve fabuleux aussi, ce sont tes angles d'approche. Ils me surprennent toujours. Quand t'amènes un sujet, on ne sait jamais comment tu vas l'aborder et on est toujours incroyablement surpris. Un exemple : quand j'ai su que dans ton bouquin, tu allais parler de terrorisme, de Charlie etc, je me suis dit « ok, c'est reparti ». J'avais lu « Le lambeau » et j'avais pas plus envie que ça de me replonger dans l'horreur. Bon, t'en parles un peu, évidemment mais tu sais ce dont je vais me souvenir ? De la pelisse de Bernard Maris. De ce qu'elle disait de lui. De la complexité et des diverses facettes de cet homme. Bref, je vais me souvenir d'un homme vivant. Et a priori, on n'était pas parti pour...

(Tiens, je ne sais pas pourquoi, soudain je pense au manteau d'Akaki Akakievitch et de ce que sa perte va révéler de profondément et de terriblement humain chez ce personnage…) Tu opères souvent un virage inattendu qui, finalement, va permettre de découvrir un visage nouveau, un paysage plus vaste, plus large (et souvent, vachement plus beau). Et tu vois, j'irai encore plus loin : en partant du particulier, du détail, tu ouvres vers le grand, le large, l'humanité, l'universel. Et du coup, ce que tu dis concerne tout le monde, implique tout le monde, touche tout le monde. Parce que ( et tu vois, dans les romans russes, c'est exactement la même chose) quoi que tu dises, qui que tu évoques, quel que soit le sujet que tu abordes, on touche toujours avec toi à l'essence même de l'humanité, à quelque chose d'infiniment et de profondément humain…

Et puis, dernier truc Manu, (c'est trop long ce que j'écris…), tes scènes, franchement, elles sont splendides. Et je vais te dire, j'm'en fous de savoir si tu les as vécues ou pas (en vrai je veux dire). Je sais que lorsque tu les as écrites, t'y étais forcément. T'as dansé avec Erica sur la Polonaise « héroïque » de Chopin (et que c'était beau...) et tes attentes au consulat d'Irak (j'ai adoré !) et ton enfermement dans une chambre d'hôtel à Belle-Île en plein mois d'août pour apprendre la dactylographie alors que tout le monde pensait que tu écrivais un roman (génial!) et puis et puis... cette scène où ton éditeur Paul Otchakovsky-Laurens te dit que si tu écrivais avec tous tes doigts, ton écriture serait DIFFÉRENTE (incroyable !)

Allez, j'arrête. C'est vraiment trop long mon truc…

Mais toi, n'arrête jamais Manu !

Porte-toi bien.



 

mardi 10 novembre 2020

Yoga d'Emmanuel Carrère

Éditions P.O.L
★★★★★

Lettre 1 :

Non mais franchement, que diable allais-tu faire dans cette galère ? Du yoga ! Non mais, je rêve Manu, je rêve ! C'est pas pour toi, le yoga, Manu ! Non ! Vraiment pas ! Balance ton zafu, prends tes chaussures de marche, pars dans les Pyrénées, fais le tour du lac Baïkal, bouge-toi, crapahute, rampe, cours, transpire, crache tes poumons, mouille ta chemise, tue-toi à l'effort mais surtout PAS DE YOGA POUR TOI (ni de méditation, évidemment!) Pas d'immobilité, pas de calme, pas d'inaction ! Fuis la quiétude. C'est précisément là que tu seras constamment assailli, bouffé, poursuivi, laminé par les affreux vritti (sales Érynies) qui ne te lâcheront pas. C'était mal barré ce stage comment déjà ? « Vipassana ». « Vipassana »… Je te sens le regard tellement aiguisé, si gentiment ironique, Manu, que je sais que ça ne va pas le faire. T'es pas dedans, Manu. T'es toujours à côté, sur ta petite chaise de plastique blanc ... Tu regardes les autres, tu analyses, tu notes dans ta tête parce qu'il y a ce prochain bouquin qui se profile… Tu sais, ton petit livre « souriant et subtil  sur le yoga » (comme si tu avais pu une seule seconde envisager d'écrire un livre « souriant ») Franchement, Manu, tu m'as fait rire, tellement rire. Je sais, ce n'est pas un livre drôle et pourtant, tu sais qu'il est drôle parce qu'entre toi et le yoga, c'est pas une fissure qu'il y a, c'est pas un interstice, un hiatus non, c'est un précipice, une crevasse, un abîme… Un truc béant qui à mon avis n'a rien arrangé de la galère que tu vivais. Et je pense qu'au fond de toi tu le sais, et c'est pas grave parce que t'as appris plein de trucs passionnants (c'est d'ailleurs très intéressant tout ce que tu nous racontes sur le yoga… très très...) et tu as rencontré des gens bien sages et d'autres un peu fracassés qui se sont dit qu'ils pourraient peut-être s'en tirer eux aussi avec ça…

Mais t'es pas sage Manu et tu ne le seras jamais.

En tout cas, j'ai ri quand tu as décrit l'arrivée des stagiaires, les postures de chacun... L'évocation de ton prof, Monsieur Ribotton... Et l'intérieur de tes narines… Je savais très bien que tu ne resterais pas deux secondes coincé à l'intérieur de tes narines. T'as autre chose à faire et dans le fond, tu t'en fous, hein, de l'intérieur de tes narines, comme de ta dernière chemise...

Oui, je sais, « prendre les choses comme elles sont ». C'est bien là le problème. T'en es pas capable. Autrement tu passerais pas ton temps à écrire ce que tu écris. Tu serais heureux. T'en prendrais ton parti. Et ça, tu peux pas. Et tant mieux. Parce que tu vois, c'est justement ce que j'aime chez toi, le fait que tu ne « coïncide» ni avec le monde ni avec la vie (encore moins avec le yoga). Non, t'es toujours spectateur, tu regardes, tu vois, tu observes, tu entends, tu notes, tu enregistres, tu collectionnes même un peu, hein ? T'es sans cesse en reportage. Tu tires du monde, des gens, des lieux la matière même dont tu nourris tes livres. Et tu gardes ça bien au chaud, dans un coin... Tu verras ce que tu en feras plus tard de toute cette matière. Tu dis que c'est difficile pour toi d' « expirer » et que limite si t'es pas un peu mal à l'aise de vouloir tout garder pour toi ? C'est normal que tu retiennes, Manu. Et tu retiens parce que tu as besoin de tout ce que tu as accumulé, amassé, thésaurisé. Tu te nourris des autres. De ce qu'ils sont. De leur vie. C'est certainement un peu lourd à porter. Et que tu le veuilles ou non, tu écris même quand tu n'écris pas. Si tu « coïncidais », tu ne pourrais plus écrire. Tu vivrais. Et c'est tout. Mais tu écris. Et c'est autre chose.

Je sais, c'est pas hyper confortable comme situation mais ça donne des textes comme les tiens, d'une humanité folle et d'une poésie insensée.

Cherche pas à « coïncider » Manu. Je sais, c'est pas forcément de tout repos. C'est même souvent bizarre d'être sur le vélo et de se regarder pédaler. Mais tes textes, ils sont sublimes.

Prends soin de toi.  




 

dimanche 18 octobre 2020

Histoires de la nuit de Laurent Mauvignier


Mauvignier m'a tuer...


Et plus précisément, sa première phrase, celle qui m'a empêchée de poursuivre ma lecture, celle qui m'a fait douter de l'auteur que j'aimais tant, celle qui m'a donné l'impression qu'il se foutait littéralement et littérairement de ma gueule. Insupportable, abjecte, abominable première phrase, espèce de vague pastiche difforme et laid d'un Claude Simon ou d'un quelconque Nouveau Romancier qui a fait son temps... Et que diriez-vous si Soulages se mettait à peindre à la façon des Impressionnistes ? Out le noir ! Remplacé par de jolies petites touches colorées … Ce serait mignon tout plein, hein ? Non mais je rêve : c'est Mauvignier qui nous fait ça ??? C'est Mauvignier qui se met à singer je ne sais qui ? Mais POURQUOI ? On lui demandait seulement de faire du Mauvignier et pas d'imiter ceux d'avant !

Et je l'attendais depuis si longtemps ce roman...

Non, je ne suis pas parvenue à dépasser cette horrible première phrase parce que j'ai eu le sentiment d'avoir été trahie, dupée, moquée. Alors, j'ai refermé le roman. TANT pis, j'attendrai que Mauvignier redevienne qui il est. Si je veux lire Claude Simon ou Robbe-Grillet, je sais où les trouver dans ma bibliothèque !

Mais je veux lire du Mauvignier.

C'est tout.

Et puis, tiens, comme je suis de très sale humeur, j'en profite pour dire que des romans sans écriture (je ne parle pas de « style », on ne sait même plus ce que ça veut dire...), j'en ai refermé plus d'un depuis septembre et que j'en ai MARRE des soi-disant « auteurs » qui ne savent pas écrire, des éditeurs qui ne font aucun tri, des prix littéraires qui récompensent n'importe quelle niaiserie, oui j'en ai ras-le-bol de tous ceux qui pensent que ce qui compte, c'est l'histoire avant tout, peu importe l'écriture. Eh bien non, ce n'est pas ça la littérature. Ce n'est pas « l'histoire »,  le « sujet », le « de quoi ça parle » mais le rythme des phrases, la fulgurance des images, l'harmonie des sonorités… Allez, je ne vous fais pas un dessin mais il y a comme une dimension esthétique là-dedans...

Je ne lis jamais les 4es de couverture : elles sont commerciales et ne me disent rien de l'écriture du roman... Non, je fais confiance à la première phrase, celle qui contient en germe toute la beauté du livre, celle qui ne sent pas l'atelier d'écriture ni le réchauffé, celle qui a la forme d'une promesse et non d'une tromperie…

Mauvignier, si tu m'entends...



dimanche 27 septembre 2020

Chavirer de Lola Lafon

Éditions Actes Sud
★★★★★ (coup de coeur!)

Alors là, franchement, c'est une belle surprise ! J'avais lu avec plaisir « La petite communiste… » et « Mercy, Mary, Patty » sans pour autant crier au chef-d'oeuvre… Mais là, on grimpe d'un cran et d'un grand ! C'est bien simple, tout est parfait : la construction narrative, le rythme du récit, l'écriture… Les thèmes abordés riches, multiples et passionnants touchent tout un éventail de domaines aussi bien psychologique que sociologique, politique, artistique, philosophique… Sans compter que l'on trouve dans ce roman le portrait admirablement bien rendu d'une époque... Franchement, chapeau bas Madame Lafon !

J'en viens au sujet.

1984 : nous sommes à Fontenay dans la région parisienne, « Cléo, 13 ans, quatre mois et onze jours » s'ennuie vaguement dans sa petite vie monotone et un brin tristounette entre le collège, les copines et les soirées télé avec ses parents. Seuls les cours de modern-jazz qu'elle prend à la MJC du quartier la sortent un peu de ce train-train déprimant. Elle s'adonne sans limites à cette passion et la moindre remarque encourageante du prof illumine sa journée.

Un jour, à la sortie du cours, elle est abordée par une femme très chic qui la félicite pour ses prouesses techniques et lui propose d'obtenir une bourse au nom de la Fondation Galatée afin de lui permettre de s'améliorer encore davantage dans son art auprès de grands professionnels de la danse ; elle pourrait devenir ainsi, peut-être, un jour, une pro… Le rêve ! Enfin, une petite éclaircie dans cette vie bien terne ! Et puis, cette femme, d'une grande douceur et d'une extrême gentillesse, lui offre des cadeaux, lui fait visiter les hauts lieux de la capitale… Bref, Cléo est séduite (et le mot est faible!), ses parents, de modestes employés, le sont tout autant et la gamine est prête à suivre Cathy les yeux fermés et à peu près n'importe où, notamment dans de vastes appartements bourgeois des beaux quartiers où des hommes attendent…

Et la petite n'imagine pas une seule seconde que c'est un piège sexuel machiavélique qui se referme sur elle...

Lola Lafon restitue parfaitement les années quatre-vingt, la classe moyenne, l'ennui des banlieues, la façon dont, pour s'extraire de tout cela, certaines gamines (et leurs parents) se laissent très facilement abuser : parce qu'il faut réussir dans la vie, gagner de l'argent, passer à la télé, s'inonder de paillettes et de gloire… Et les mômes servent de proies, se font bouffer par les prédateurs sexuels à l'affût, puis elles servent elles-mêmes de rabatteuses, passant de victimes à coupables (sans même l'excuse d'avoir agi par nécessité : « elle n'a aucune excuse sociologique »), ce qui leur enlève définitivement l'envie de porter plainte et les contraint au silence et à la honte pour longtemps, peut-être jusqu'à la fin de leur vie… Avec, en prime, l'impossibilité de s'accorder le moindre pardon…

C'est terrible.

Et pendant ce temps, les violeurs restent impunis.

Lola Lafon opère des choix narratifs très judicieux : elle met en place, par exemple, des chapitres très courts rythmant parfaitement le texte et matérialisant l'étau terrible qui se resserre, à chaque fois un peu plus, inéluctablement et tragiquement, sur la jeune fille. Par ailleurs, ces courts chapitres rendent admirablement le rythme effréné des représentations de danse, des changements de costume (le corps comparé à une voiture de course...) et de la danse elle-même… (« Chavirer » est aussi un vrai roman sur la danse et sur les corps meurtris des danseuses).

J'ai vraiment beaucoup aimé ce kaléidoscope de très courts chapitres qui permettent de découvrir Cléo à travers le regard d'autres personnages (inoubliables eux aussi !) auprès desquels elle va puiser des forces et tenter de se construire : portrait par petites touches, comme on construit un puzzle, d'une jeune fille puis d'une femme (ce roman aurait d'ailleurs pu s'appeler « Une vie » à la manière de Maupassant…) Les angles d'approche sont ainsi multipliés comme si une quantité infinie de caméras tournaient sans cesse autour de Cléo afin d'en percer les mystères, les malaises, toute la complexité qui est la sienne.

Un peu plus loin, autre choix narratif intelligent, l'autrice a choisi de laisser en blanc l'indicible en maintenant le lecteur à une distance pudique, en suggérant, à travers, une simple synecdoque (celle des doigts par exemple) les attouchements et le viol…

Et puis, il y a aussi l'écriture qui se veut précise, dynamique, nerveuse : les phrases sont courtes, nominales, orales parfois. Elles portent en elles le rythme de la vie, la vivacité des émotions, elles fusent, jaillissent, claquent… Le texte fourmille de détails et les descriptions sont pur plaisir de lecture : que ce soient les costumes des danseuses, l'appartement silencieux d'un ami juif, un concert de rock... tout est là, sous nos yeux et on y est ! On sent les parfums entêtants et la sueur des corps, on caresse le velours des tissus et des peaux talquées, on souffre devant les muscles meurtris des danseuses…

« Chavirer » est un roman incarné, puissant et terrible.

À lire absolument !


 

dimanche 20 septembre 2020

L'île de Jacob de Dorothée Janin

Éditions Fayard
★★★★☆ (j'ai bien aimé)

 

Laisser passer quelques semaines entre la lecture d'un roman et la rédaction d'une chronique comporte de sacrés risques (surtout chez moi car s'ajoutent à cela l'âge et la mémoire qui flanche...) Mais c'est aussi un très bon test pour savoir si ledit roman résiste au temps...

Ainsi, j'ai lu L'île de Jacob de Dorothée Janin, titre qui a reçu le prix Maison Rouge 2020 (distinction littéraire made in Pays Basque). C'est vraiment un roman tout en atmosphère et dont l'écriture précise, détaillée (je n'aime pas le mot « ciselé ») avait retenu mon attention. L'action a lieu sur une île qui existe vraiment : Christmas Island, territoire australien, au large de Java (un micro-point sur une carte!). Le lieu est réputé pour ses innombrables crabes rouges qui envahissent littéralement l'île (y compris les habitations – beurk!) au moment de la mousson, métaphore du cancer qui ronge notre société confrontée à une crise écologique sans précédent.

Adolescent, le narrateur a vécu sur cette île avec son père, un scientifique appelé sur place pour tenter de décimer une invasion de fourmis voraces qui s'attaquent aux fameux crabes (tout ça, à cause du réchauffement climatique, évidemment!). Faut les laisser faire, me direz-vous… Eh bien non, parce que les crabes rouges attirent les touristes qui veulent les photographier, voilà pour l'argument économique… auquel on préférera peut-être l'argument écologique: n'oublions pas que cette île a vécu des centaines de millénaires coupée du reste du monde et que, sans intervention humaine, les crabes continueraient à se faire rougir au soleil et que sans exploitation de mines de phosphate la biodiversité se porterait comme un charme.

Par ailleurs, se trouve aussi sur l'île un centre de détention qui recueille les demandeurs d'asile, centre dont personne n'aime parler, comme si l'on y avait recours à certaines pratiques peu avouables.

Bref, pendant que l'entomologiste s'occupe des petites bestioles (tout en étant bien persuadé de son inefficacité) (il dit d'ailleurs à son fils « - Je suis venu assister au désastre. Ce n'est pas tous les jours que l'on voit la destruction d'un écosystème. Tu es un privilégié, tu vas voir l'extinction d'un monde. Des millions d'années d'autarcie, et tout ça qui se désagrège en quelques années. Juste parce que l'homme y a foutu les pieds. »), bref, pendant que le père assiste impuissant à la fin d'un monde, le fils (le narrateur) fait des rencontres : des filles (sales bêtes que les hormones, tiens!) et un homme très beau, très mystérieux et profondément dépressif (le Jacob du titre) qui va initier le narrateur à la plongée. Les relations entre les deux personnages resteront assez troubles, mélange de fascination, de jalousie et d'amour aussi peut-être…

Je me rends compte que résumer un tel texte n'a absolument aucun sens (mais je ne supprime pas… je ne me suis pas cassé la tête pour rien, hein !) parce qu'au fond, tout tient par l'écriture : en effet, l'autrice a su créer une atmosphère de fin du monde, étrange, envoûtante, réellement étouffante, comme si la mort rôdait constamment… Franchement, c'est réussi !

Oui, incontestablement, l'écriture de ce texte est intéressante (c'est juste essentiel, me direz-vous et vous aurez raison!). En revanche, ce qui m'a gênée, c'est, dans le fond, l'abondance des sujets abordés (même si l'on voit bien ce qui les fédère) : le travail du père (que l'on abandonne vite d'ailleurs et c'est bien dommage je trouve… j'aurais aimé le suivre un peu dans ses recherches, ses soirées de picole… oui, j'avoue (ah, ah!) le père m'intéresse plus que le fils… ), les rencontres du fils, son éveil des sens etc etc (ses copines et notamment ce Jacob qui arrive selon moi un peu tard dans le livre) et bien sûr, les grandes questions qui sous-tendent le texte à savoir : écologie et crises migratoires. Bref, je trouve que tout ça, finalement, ça fait, peut-être un peu beaucoup…

Mais bon, pourquoi pas dans le fond...

Allez, j'ai aimé ce texte et je suis d'accord avec les membres du prix Maison rouge : ce roman mérite d'être distingué ! ( d'ailleurs, s'ils veulent m'inviter à Biarritz l'an prochain, qu'ils n'hésitent pas - d'autant que (bon d'accord, ça n'a rien à voir avec la littérature mais…) le gâteau basque et moi, pour le coup, c'est une VRAIE histoire d'amour...)




dimanche 13 septembre 2020

Fille de Camille Laurens


★★★★★ (COUP DE COEUR ! ♥♥♥)


Bon, allez, je le crie haut et fort, avec toute la mauvaise foi dont je suis capable : « Fille » est le meilleur roman de cette rentrée littéraire. Point barre.
D'autres questions ?
Non ?
Parfait.
Alors juste deux mots parce qu'il faut rédiger un article, mais franchement, je vous ai déjà dit l'essentiel (et puis, c'est dimanche, il fait chaud et j'ai fortement envie de faire une grosse sieste au soleil!) Ok, ok, deux mots, puisque vous insistez...
Il y a TOUT dans ce roman : beaucoup beaucoup d'intelligence et de sensibilité, des analyses d'une grande finesse, un vrai travail sur la langue et l'organisation du récit, une réflexion sociologique et linguistique etc etc etc (je peux aller faire ma sieste ? Non ? Toujours pas?)
Ah ? Le sujet ?  C'est une histoire qui s'ouvre sur un « tu » (à la façon de Nathalie Sarraute dans « Enfance » - si t'as pas lu ça, faudra pas oublier de le faire un jour et, pendant que t'y es, tu pourras lire aussi ma chronique sur ton blog préféré…), donc un « tu » qui est en fait un « je » d'autrefois… On vit tellement mille vies dans une seule que des « je », il y en a plein. Donc ce « tu » s'adresse à l'enfant (la fille) naissante pour lui dire qu'elle arrive dans un monde où le masculin l'emporte sur le féminin, où un père à qui on demande s'il a des enfants peut répondre que non, il a des filles mais qu'une fille, c'est bien aussi, un monde où plus tard, tu deviendras « la femme de » et où il te faudra du temps encore pour devenir écrivaine, professeure ou cheffe, du temps pour balancer le rose par-dessus bord, dire non à ceux qui t'emmerdent, parler de ta sexualité et de ton clitoris, enfiler tes tennis et parcourir le monde rien qu'avec toi-même…
C'est un peu ça, « Fille », ce que le langage révèle de notre rapport au monde, à la société, de ce que nous sommes ou que l'on a fait de nous … Ce langage tout-puissant qui, l'air de rien, non seulement nomme mais donne vie, crée le réel, structure ta pensée, ta vision du monde et t'enferme dans ses cases...
Mais « Fille », c'est pas seulement ça. C'est aussi une réflexion sur la transmission ou comment, alors que je SAIS ce que je ne dois pas dire, que je SAIS ce que je ne dois pas faire pour que les filles puissent enfin accéder au rang d'individus libres au même titre que les hommes, eh bien, moi, l'être diplômé, nourri aux lettres et à la sociologie, JE FAIS TOUJOURS LES MÊMES CONNERIES … JE ME VOIS FAIRE ET JE LE FAIS QUAND MÊME… Tu penses à qui, toi qui écris, hein ? (dis-leur que t'as honte, dis-leur, hein!)
Et puis, « Fille », c'est aussi l'histoire d'un garçon qui n'a pas vécu et de sa sœur qui s'est construite dans cette absence (diraient les psys) ou qui s'est construite tout court (toute seule, comme une grande) dans un monde qui a changé et dans lequel on a compris ENFIN qu'une fille, « c'est merveilleux »…
Oui, il y a tout ça dans « Fille » et c'est vraiment un GRAND bouquin !

vendredi 11 septembre 2020

Saturne de Sarah Chiche


Éditions du Seuil
★★★★☆ (j'ai bien aimé)


Quand on l'entend parler, c'est sa petite voix qui surprend, mélange de timidité et d'assurance, de douceur et de fermeté, la voix d'une femme qui tire de son expérience une certaine forme de sagesse empreinte d'une intranquillité latente, viscérale.
Et l'on a envie de la prendre dans ses bras, la petite Sarah aux allures d'Antigone, pour la consoler d'une souffrance encore vive, de cicatrices à peine refermées que l'on a vues subrepticement passer dans l'ombre de son regard, dans le mouvement de sa main.
Son dernier roman au titre magnifique, « Les Enténébrés », nous laissait soupçonner des relations familiales difficiles… Tout restait assez allusif, comme un peu lointain … et surtout tourné vers la branche maternelle. Avec « Saturne », roman nettement autobiographique, on explore plutôt le côté paternel et l'on découvre le destin de cette riche famille de médecins juifs installée en Algérie, pays qu'ils ont dû fuir à contrecoeur dans les années 50 pour s'installer en France où, petit à petit, le clan fit de nouveau fortune en ouvrant différentes cliniques privées.
D'un côté, il y a le grand-père de la narratrice : un grand médecin estimé de tous, un homme sensible et d'une grande générosité. Louise, sa femme, la grand-mère, a quant à elle beaucoup d'ambition pour sa famille, déteste ceux qu'elle juge médiocres, moyens, pas à la hauteur. Elle aime sans compter, à condition de ne pas être déçue ou trompée. Elle a deux fils : Armand, qui deviendra médecin à son tour et Harry, le père de Sarah qui, lui, ne sera jamais médecin, au grand désespoir de ses parents. Lui est plutôt poète, joueur, rêveur, pêcheur d'étoiles et il tombera follement amoureux d'une femme, Eve, la plus belle, la plus attirante, la plus folle aussi. (Pourquoi me fait-elle penser à la « Nadja » de Breton?) Eve la mythomane, Eve à la double vie ne plaira pas à sa belle-famille mais Harry n'aura cure de l'avis des autres. Il est fou d'Eve. Il l'aime passionnément et brûlera ses ailes à force de s'approcher de sa lumière. Il mourra d'une leucémie à 34 ans, jeune, trop jeune. Sa fille Sarah a quinze mois.
La petite grandit et se sent de plus en plus broyée au milieu des siens, de leurs émotions, de leurs passions, de leurs colères. De toute la fureur et la folie dont ils sont capables. De toute la haine et l'amour qui sont en eux. Incapable de se relever de la mort de ce père qu'elle n'a pas connu, incapable d'avancer aux côtés d'une mère qui tourbillonne, virevolte au gré de ses humeurs et de sa douce folie… Une mère qui finira par refaire sa vie, ailleurs.
La solitude que vit Sarah est insondable, démesurée et sans nuances. Elle se sent broyée, dévorée par les siens, tel le fils de Saturne dans le tableau de Goya. D'aucuns se seraient peut-être parfaitement sortis d'une telle situation. Pas elle. Pas Sarah. Elle est écrasée, broyée, détruite et ne parvient plus à se relever. C'est la chute…
On entre ici dans l'intimité d'une famille, et ce qui est passionnant, c'est de voir se dessiner, page après page, les relations entre les uns et les autres, de découvrir notamment cette figure centrale du roman, le père, étoile filante que la narratrice a dû, métaphoriquement parlant, exhumer (sous la forme d'un petit film où on le voit embrasser tendrement sa fille) pour réaliser à quel point il l'aimait et trouver enfin un semblant de repos. Oui, ce qui m'a passionnée, c'est de m'approcher de chacun des membres de cette famille, de tenter de comprendre ce qui les anime, les rapproche, les oppose, de savoir la part de vérité, de mensonge et de légende qui court sur eux. Ils m'ont fait penser à certaines familles maudites des tragédies grecques… On sent qu'une menace pèse sur le groupe, qu'un orage est toujours prêt à éclater… La tension est là, dans chaque mot, chaque phrase de ce texte, comme tenue, maintenue, à la force du poignet, parce que la narratrice doit aller jusqu'au bout et dire, dire encore pour apaiser sa douleur, faire la paix avec le passé et vivre, enfin...
Un très beau texte, profondément mélancolique, sensible et fort d'une femme qui refuse de faire son deuil parce qu'elle veut vivre avec ses morts et les aimer encore, aussi longtemps qu'elle vivra.
Un roman qui dit aussi comment la littérature et notamment l'écriture « le seul lieu où je puisse habiter... » peuvent tenir en vie celui qui flanche et l'amener à devenir écrivain et à renaître de ses cendres.
« Et sur la route où je pars, seule, mais avec mon père, seule, mais avec ceux que j'aime, seule, mais avec les mélancoliques, les amoureux, les endeuillés et les intranquilles, seule, mais cachée dans la foule des vivants et des morts, tout est perdu, tout va survivre, tout est perdu, tout est sauvé. Tout est perdu. Tout est splendide. »
Oui, tout est là, dans la beauté de ce feu d'artifice final, lumières intenses dans la nuit noire...

dimanche 6 septembre 2020

Broadway de Fabrice Caro


Éditions Gallimard Sygne
★★★★★ (j'adore! ♥♥♥)


Il y a parfois (ça doit arriver deux trois fois dans une vie) des livres qui collent exactement à ce que vous êtes au moment même où vous les lisez : une sorte d'incroyable alignement des planètes, l'impression que les mots sont les vôtres et que vos émotions n'auraient pas pu être mieux exprimées. C'est simple, avec Fabrice Caro, j'ai le sentiment d'avoir trouvé mon âme sœur, mon alter ego existentiel (ça se dit ça?), mon double du moment, mon petit frère sur terre (eh oui, rien que ça!). Peut-être faut-il pour cela en être à peu près au même stade de l'existence, celui où l'on se réveille un matin comme un peu secoué de s'être mis entre parenthèses aussi longtemps, d'avoir accepté bien gentiment de dire oui à tout ou à pas mal de choses et avec, parfois, la terrible envie de prendre ses cliques et ses claques et de se métamorphoser soudain en « évaporé » (vous savez, au Japon, ceux qui disparaissent et qu'on ne revoit jamais …)
Bref, comme vous l'aurez deviné, j'ai vraiment beaucoup aimé ce texte. Pour ceux qui connaissent l'oeuvre de Fabrice Caro, on retrouve ici ses thèmes de prédilection : la dimension absurde de l'existence, la vie assimilée à une espèce de vaste comédie (Broadway) où chacun joue un rôle convenu, hypocrite et vain, des conventions sociales étouffantes, des vies de couples qui tournent en eau de boudin et enfin, cerise sur le gâteau, la vieillesse qui approche avec son lot d'horreurs (je vous épargne la liste...) et le panneau « THE END » encore un peu flou mais qu'on commence déjà à percevoir dans un lointain pas si lointain...
Pas de quoi rigoler ! Ah, vous ne riez pas en lisant Fabrice Caro ? Pas d'inquiétude, c'est normal ! On a plutôt envie de pleurer toutes les larmes de son corps. Et pourtant, moi, je ris beaucoup parce que cet auteur sait plus que n'importe qui placer ses personnages dans des situations désopilantes et complètement inattendues, parce qu'il est un as du comique de répétition, qu'il a un regard décapant, caustique et très juste sur le monde et les travers de nos sociétés, qu'il a un sens de l'observation à toute épreuve … Oui, Fabrice Caro est toujours percutant, pertinent, lucide et sans illusions. Si l'on rit, on rit pour éviter de pleurer sur notre sort, parce qu'il faut bien avancer et chaque jour, mettre un pied devant l'autre sans trop se poser de questions et tenter d'éviter de se prendre la crise existentielle en pleine tête...
Dans notre roman, le narrateur, Axel, marié et père de famille, se trouve soudain très mal à l'aise parce qu'il vient de recevoir une convocation de l'Assurance maladie l'invitant à se rendre à un examen colorectal, courrier envoyé à toute personne ayant atteint l'âge de 50 ans alors que lui n'en a que... 46.
Alors, c'est le drame...
Cet « incident » servira de fil rouge au roman à travers un personnage qui, dans le fond, ne comprend plus rien, ni à ses mômes ni à sa femme ni à la société tout entière et qui irait bien faire un tour loin du foyer conjugal, ne serait-ce que pour quelques jours, histoire de souffler un peu … (allez, ne faites pas semblant, vous savez très bien ce que je veux dire...)
Alors d'abord, il y a cette histoire d'examen colorectal à régler, puis une convocation au collège cette fois-ci parce que Tristan, le fils chéri, s'est fait choper avec une œuvre de son cru, en l'occurrence un dessin pornographique mettant en scène deux de ses profs dans une position dénuée de toute ambiguïté, à cela viennent se greffer des amis qui proposent des vacances à Biarritz pour faire du paddle ("sympa comme tout", hein, le paddle ? Ah, ah !), des voisins intrusifs qui inventent d'incontournables barbecues de bienvenue, un collègue de bureau « heureux d'être au monde » (c'est tellement pénible les gens heureux!), une fille en rupture amoureuse qui veut que l'on mette un cierge à l'église pour que ledit amoureux revienne le plus vite possible, une prof d'anglais plutôt jolie (celle de Tristan - oui, celle qui figure sur le dessin et qu'il a fallu rencontrer pour s'excuser au nom de son fils...) qu'on finit par avoir un peu de mal à oublier…
Et soudain, au beau milieu de tout ce bazar et sous la forme d'une batterie en morceaux rangée dans un coin du garage, surgit un passé qu'on croyait avoir totalement oublié et l'envie de reprendre en main les baguettes et de taper fort, très fort même. On n'y croit pas vraiment mais on s'accroche à cette petite folie qui nous rend heureux deux trois minutes… et puis, « tout se referme, les projets, les infinis possibles, les vagues aspirantes et des paddles font leur apparition çà et là à la surface de l'océan comme des corps noyés. »
Alors, dans un tout dernier soubresaut, on s'imagine foutre le camp, ciao la tribu, je pars, je roule, je ne m'arrête pas, vous pouvez toujours m'appeler pour me demander d'acheter des pizzas pour l'apéro, je suis déjà loin, j'ai franchi les frontières, le soleil tape de plus en plus et j'entrevois la mer, là-bas, si proche, si proche, je plonge...
Bon, au fait, vous les voulez à quoi vos pizzas ?
Un texte mélancolique et tendre, désenchanté et profondément humain, tragique et drôle à la fois...
Vraiment, c'est beau à pleurer…
Un de mes coups de coeur de la rentrée littéraire...

dimanche 30 août 2020

Somb de Max Monnehay


 Éditions du Seuil
 ★★★☆☆ (why not?)


Saviez-vous que sur la très boboïsante et néanmoins ravissante île de Ré, et plus précisément à Saint-Martin-de-Ré, se trouve une prison dans laquelle sont détenus environ quatre cents hommes condamnés à de longues peines ? Et que donc, très logiquement, l'administration pénitentiaire se trouve être le principal employeur des habitants de l'île – cette dernière remarque n'a absolument rien à voir avec le bouquin dont je vous parle, mais l'idée me plaisait et je tenais donc absolument à vous en faire part !
Évidemment, quand on se balade sous le soleil en traînant ses tongs fluo tout en léchouillant sa glace dégoulinante de chez La Martinière, on n'imagine pas forcément que d'autres bougres croupissent à l'ombre sans aucun risque d'attraper le moindre coup de soleil et qu'ils y resteront vraisemblablement un bon bout de temps…
Terre de contrastes…
Je recentre : Victor Caranne, psychologue, franchit tous les jours le fameux pont sur sa Honda CB 500 pour rejoindre la Citadelle, s'entretenir avec les détenus et tenter de soulager leur esprit. Souvent, c'est lui qui repart la tête pleine d'images terrifiantes et de fantasmes inavouables qu'il doit garder pour lui, secret professionnel oblige. Le soir, en rentrant, il noie ses soucis dans un ou deux verres de whisky et se réchauffe les pieds auprès d'une belle rousse bien roulée prénommée Julia qui l'attend endormie (et à demi dévêtue ou à demi vêtue… choisissez...) sur un canapé en cuir face à l'Océan… Le petit hic dans ce début somme toute assez idyllique, c'est que la Julia, elle est mariée (eh oui!) et elle est mariée avec le meilleur ami du gars Victor (hé, hé…) Ça, évidemment, c'est moralement un peu gênant aux entournures mais que voulez-vous, ça arrive, et à plus d'un… Que voulez-vous…
Bon, de ce côté, je ne peux pas vous en dire plus … Suspense oblige… Sachez quand même (c'est toujours compliqué de chroniquer un roman policier car il faut dire sans dire… on rame un peu…) sachez quand même donc que l'on apprend à travers une discussion entre le beau Victor et la belle Julia (dans la maison de 100 mètres carrés face à l'Océan) que le Victor en question n'a pas digéré un événement de son passé… Lequel ? (ah ah, chut…) et que tout ne tourne pas parfaitement rond dans sa petite tête de psy… Alors quand il va se passer ce qui va se passer… autant vous dire que des choses plutôt douloureuses vont refaire surface et que le présent va devenir très vite à peine supportable…
Si j'ai aimé ce polar ? Oui sans plus… Les clichés m'ont, comme d'habitude, hérissé le poil (c'est pourtant pas bien compliqué de les éviter, non?) Si par ailleurs on est prêt à admettre quelques invraisemblances et que l'on supporte des personnages un brin caricaturaux, ça devrait passer...
Bref, en deux mots, y'a pire mais y'a mieux !

mercredi 12 août 2020

Nos derniers festins de Chantal Pelletier

★★★★☆

Imaginez : on est en 2044 (ne faites pas la grimace, je vous y vois comme je m'y vois et vous pétez toujours la forme!), le lobby des végétariens, végétaliens, locavores, accros aux protéines, à la macrobiotique et en guerre contre le sucre, le gluten, la graisse a finalement eu gain de cause.

Le fois gras circule en contrebande et « les dealers de camembert sont plus nombreux que les trafiquants d'héroïne. »

Quant au veau en daube, n'y songez plus et même pas en rêve comme dirait l'autre : on ne mange plus les bébés animaux... Adieu les plats de grenouilles à l'ail, d'escargots de Bourgogne, de raies aux câpres noyées de beurre, les risottos à la truffe baignés de sauces onctueuses : trop gras, trop riches, trop dangereux pour les artères et le coeur… Et toutes ces bonnes choses sont remplacées par une « bouffe sans goût, hygiénique, écologique, morale et consensuelle, en pots, en gélules ou en poudres. » Ah, vous rêvez de vous empiffrer au restau ? Il faudra au préalable vérifier le nombre de points dont vous disposez sur votre permis de table ! Vous avez du diabète ? Votre taux de cholestérol ou de glycémie à jeun laisse à désirer ? Oubliez le baba au champagne ou le pot-au-feu de canard à la citronnelle et autant dire que vous n'aurez PLUS JAMAIS le droit de toucher à la tarte aux trois chocolats. Le restaurateur se chargera de vérifier scrupuleusement les points dont vous disposez encore sur votre permis que vous devrez obligatoirement lui soumettre pour être servi. Vous êtes en bonne santé ? Parfait ! Il vous faudra tout de même jeter un œil aux points qui figurent devant chaque plat sur le menu que l'on vous a proposé. Un bœuf forestier ? Quatre points. En disposez-vous encore ? Une mousse au chocolat : six points.

S'il vous venait à l'esprit de dilapider d'un seul coup toutes vos réserves, vous diriez alors adieu au restaurant pour un bon bout de temps ! Et si vous abusiez des bonnes choses et tombiez malade, la Sécurité Sociale ne viendrait pas soulager vos finances: vous l'avez voulu, tant pis pour vous ! Terminées les prestations sociales pour les désobéissants !

Au menu : salade verte, radis, feuilles de chou, brocolis et poireaux. Je vous entends : « ben quoi, c'est bon, les brocolis ! » Hypocrite que vous êtes ! Allez, et le poulet mafé, les pommes de terre farcies en mille-feuilles, la panna cotta, le welsh rarebit, hein, c'est pas mal non plus ?

Concrètement, pour assurer le bon fonctionnement de tout ce système, il faut des contrôleurs alimentaires. Eh bien, en voici deux, en la personne d'Anna Janvier, une jouisseuse « athée et omnivore », « végétarienne non pratiquante », bonne vivante décomplexée avec « des formes d'ours en peluche et des appétits de boulimique », qui a bien l'intention de profiter de la vie et ce, dans tous les domaines, notamment celui de la bouffe !,,, et son acolyte, Ferdinand Pierraud, un brin coincé mais qui a lui aussi en mémoire les bons petits plats que lui faisait sa grand-mère autrefois pendant ses vacances en Bourgogne. Alors quand on lui dit que ce qui mijote doucement et discrètement dans cette arrière-cuisine de restaurant n'est pas du veau, son esprit s'échappe quelques secondes et il repense aux effluves de blanquette qui s'échappaient de la cuisine de sa grand-mère. « Il se délectait de la viande fondante exhalant tous ses sucs, des champignons encore alertes sous la dent, des carottes saoulées de sauce, puis, avec un quignon de baguette croustillante à la mie très blanche, il sauçait son assiette jusqu'à la dernière goutte… Saucer !! Mot chavirant pour un geste scandaleux qui évoquait le péché et le stupre, sonnait salace et cochon, laissait imaginer mouillures, bruits de bouche et grognements de jouissance, transbahutait surplus de cholestérol et embouteillage des artères… Mots et parfums le prenaient, le comblaient, lui en foutaient plein la bouche, le mettaient au bord d'un orgasme de premier choix. »

Alors ces deux-là vont débarquer dans le restaurant de Lou, ils vont bien sentir que quelque chose ne tourne pas rond et que les règles, Lou s'en arrange… Elle refuse notamment de contrôler permis de table et cartes de sécu. Hors de question de mesurer l'apport calorique de ses plats. Et puis quoi encore ! Elle risque gros : de perdre son restau par exemple. Mais on fait avec ce qu'on est, hein ? Va s'ajouter à cela le meurtre d'un cuisinier dans un petit restau clandestin.

Bref, les contrôleurs vont avoir du pain sur la planche ! Surtout que les enlèvements de cuisiniers récalcitrants organisés par quelques intégristes « pour protester contre le massacre des animaux, le gaspillage de la nourriture, la dilapidation des ressources, l'usage encore trop répandu de produits chimiques dans l'agriculture et l'industrie alimentaire, le non-respect des règles diététiques » sont de plus en plus nombreux. Il va donc falloir agir vite !

J'ai adoré ce polar dystopique (pas pour son intrigue - on ne le lit pas pour ça) mais pour l'évocation sensuelle, poétique et tellement réjouissante des plaisirs de la table… Et c'est si bien écrit qu'on en a l'eau à la bouche… Quant à la société qui se profile où tout est interdit, contrôlé, standardisé, bien formaté, franchement, elle est effrayante et triste, si triste… faite de privation, de contrôle de soi, de morale, de frustration, de renoncement aux plaisirs de la chair, des chairs… C'est vrai qu'on se dit alors, « à quoi bon ?». Ce roman est un appel au plaisir, à la volupté, au bonheur, à un art de vivre tout simplement...

J'aimerais seulement que vous lisiez les dernières lignes (pas de panique, elles ne dévoilent rien de l'intrigue!), les voici… Qu'elles vous convainquent de vous régaler de ce texte délicieux et roboratif :

« Quatre-vingt-dix-sept ans, ça passe tellement vite ! Jusqu'à sept ans, ça ne compte pas vraiment, tu n'apprécies pas pareil. Donc mettons quatre-vingt-dix ans. Quatre-vingt dix occasions de manger pour la première fois une pêche, une blanche, mûre à point, bien juteuse, qui a mûri sur l'arbre ! Ça te coule sur les doigts, tu t'en fous partout, t'es le roi du monde pendant deux minutes et demie, tu mâches, tu fais durer, t'es éternel, tu manges ta première pêche de l'année !

Seulement quatre-vingt-dix premières pêches avec le parfum de la chair mouillée qui te jute dans la bouche ! Y en a qui boulottent ça sans y penser, les pauvres ! Ils auraient dû rester morts ! Parce que c'est pas plus compliqué que ça : avant de vivre, t'es mort, et à la fin, tu re-meurs. En attendant, tu fais gaffe à toutes les premières fois où tu manges une pêche. »

 

dimanche 2 août 2020

Il était deux fois de Franck Thilliez


★★★☆☆

Me voilà bien embarrassée avec mon Thilliez des vacances et ce, pour deux raisons toutes simples : j'ai trouvé l'intrigue très peu crédible, plutôt capillotractée comme on dit… Évidemment, vous me direz, tout est toujours possible dans ce monde qui est le nôtre (la réalité dépasse même la fiction, hein?!) mais là, franchement, on n'y croit pas à cette histoire alambiquée du genre labyrinthico-tentaculaire et donc, il faut bien le dire, plus ou moins confuse. Non, franchement, trop c'est trop et accumuler des sujets comme : l'amnésie (problème omniprésent dans la littérature policière contemporaine - c'est pratique vous me direz… le but étant de retrouver ce qui s'est passé pendant tout ce temps, ici 12 ans en l'occurrence, ça occupe l'espace de quelques pages… D'ailleurs, 12 ans, c'est à peine crédible d'autant que le personnage reprend le cours de sa vie en se renseignant ici ou là sur les événements passés et en cherchant éventuellement l'adresse de son appart' et dans quelle poche il a mis ses clefs… On l'aide un peu mais sans plus... Moi qui m'inquiète parce que j'oublie à peu près tous les titres des livres que je lis et la moitié des noms d'auteurs, finalement, je me rends compte que mon cas n'est pas si grave...), les enlèvements (d'enfants, c'est mieux), les meurtres (indispensables, évidemment), les sociétés secrètes (oups, j'en ai trop dit...), l'art (effet mise en abyme très en vogue...), les palindromes (Thilliez adore les palindromes et il nous en sert dans tous ses romans maintenant -les mêmes en plus- avouons que les « ressasser », « laval », « xanax », « abba » et compagnie, j'en ai un peu ma claque), les codes secrets (sous forme de tatouages par exemple -la symbolique des tatouages, pardon, mais j'ai un peu passé l'âge de ces conneries d'ados- qu'il faut déchiffrer, et comme on peut dire tout et son contraire, ça occupe encore le lecteur sur quelques dizaines de pages...), les Russes (ils sont partout et responsables de tout en ce moment - un peu comme les Chinois...), les chutes d'oiseaux morts (ah… très très à la mode… ça fait au moins le 3e bouquin que je lis où il est question d'oiseaux morts qui tombent du ciel … oui, je sais, très lourde symbolique, impression de fin du monde… etc etc... dans l'air du temps, ça aussi !) donc, accumuler tous ces thèmes battus et rebattus provoque ennui et impression de déjà lu...

Bref, rien de nouveau sous le soleil…

J'en arrive maintenant à l'autre problème : si je rencontre quelques soucis de mémoire, je ne suis pas encore complètement sénile. Je ne range pas mes chaussures dans le frigo et ne dépose pas mes chiens au collège. Mais là, il faut que je vous dise que j'ai été bien embêtée ! Pourquoi ? Eh bien parce que ce dernier Thilliez est plus ou moins la suite du Manuscrit inachevé publié en … 2018… Alors autant vous dire que les histoires de Léane, Jullian, xiphopage, jumeaux et compagnie, s'ils me disent bien un petit quelque chose, c'est de loin… de très loin même...

Non, franchement, ça sent le réchauffé, le truc qu'on essaie de raccrocher coûte que coûte… Bon je sais, certains y verront la preuve du génie de Thilliez là où moi, je devine un certain essoufflement et beaucoup de redites.

Je ne suis pas très sympa sur ce coup-là mais je me suis ennuyée… Une vague impression de répétition… « Il était deux fois », oui, c'est bien ça et c'est une fois de trop...


jeudi 23 juillet 2020

L'Annexe de Catherine Mavrikakis


Éditions Sabine Wespieser
★★☆☆☆ (bof, bof, bof)


Ah ma bonne dame… les goûts et les couleurs…
Sur les conseils de ma libraire, je me lance dans la lecture de ce roman sorti en mars et dont je n'ai absolument pas entendu parler ni dans la presse ni sur la blogosphère…
Le ton des premières pages retient mon attention mais très vite, le soufflé retombe… Quel est le projet, quel est le sens de ce roman dans lequel tout me paraît artificiel, inutilement bavard, extrêmement redondant, très ennuyeux et un brin prétentieux… C'est donc une très grande déception… Si certains lecteurs de ce billet y ont compris quelque chose, qu'ils n'hésitent pas à laisser un avis !
Dans l'émission de France Culture « Par les temps qui courent » (2 mars 2020), l'auteur confie : « Je n'avais pas envie d'écrire un livre très clair... » Si c'était le projet, alors c'est effectivement réussi. Je comprends qu'un auteur veuille que le lecteur n'accède pas immédiatement au sens profond de l'oeuvre mais ce que je crains, c'est qu'ici, ce pseudo-hermétisme cache un vide sidéral ou tout au moins une absence d'objectif bien défini ou suffisamment clair pour le lecteur. J'y vois plutôt une démonstration lourdingue et sans originalité sur l'idée que la littérature peut être une grille de lecture du réel. Ou bien qu'il faut s'en méfier, elle est susceptible de nous faire perdre pied (ou nous sauver) ...
Bon, abordons le sujet : la narratrice, Anna, dont on comprend très vite qu'elle est agent secret, aime se rendre à Amsterdam dans la maison d'Anne Frank pour y effectuer des espèces de pèlerinages. Elle établit un parallélisme (tiré par les cheveux – mais pourquoi pas...) entre son existence et celle de la jeune fille déportée en 1944 : une vie d'errance, de planque, des questionnements sur l'identité, de difficiles rapports aux autres etc etc... Comprenant qu'elle a été repérée, la narratrice suivra les ordres de son employeur : l'Agathos, prendra le premier avion et se retrouvera confinée dans un lieu tenu secret avec d'autres agents de son espèce… Elle y rencontrera un majordome homo d'origine cubaine très bavard (accrochez-vous!), dont les propos sont truffés de références littéraires… Anna l'écoute et en perd tout son discernement… (moi aussi d'ailleurs!) Qui est-il vraiment, que cherche-t-il ? (à ce stade-là du roman, je suis perdue et surtout saoulée de la logorrhée de ce personnage) L'espionne, quant à elle, en rajoute une couche en rebaptisant tous ses compagnons de réclusion du nom d'un personnage de la littérature… Comme le dit la 4e de couv : « un vieux couple slave devient les Tourgueniev ; un agent d'apparence banale… Meursault ; le chat, Moortje, comme celui d'Anne Frank... » Pourquoi pas mais… tout ça pour dire quoi exactement ? C'est bien ça le problème…
Je me suis perdue et ennuyée : tout m'a semblé poussif et artificiel (et dire que j'ai lu ici ou là que le suspense était insoutenable… c'est ironique ou quoi?)
Allez, j'attends vos avis éclairés !

mardi 14 juillet 2020

La neige sous la neige d'Arno Saar


Édition La fosse aux ours
(traduit de l'italien par Patrick Vighetti)
★★★☆☆ J'ai bien aimé


Bon, évidemment, ça ne remplace pas notre virée estivale à Tallinn, annulée pour cause de Covid, mais quand même, cette petite déambulation dans la capitale estonienne aux côtés du commissaire Marko Kurismaa fut bien agréable… Un vrai guide touristique ce roman ! (Même si l'auteur est italien et le récit écrit dans la langue de Dante …)
J'aurais vraiment aimé le lire sur place afin de me rendre dans tous les lieux décrits par l'auteur… Croisons les doigts pour qu'on puisse effectivement aller y faire un tour prochainement… D'ici là, d'autres titres d'Arno Saar (pseudo d'un certain Alessandro Perissinotto) seront peut-être traduits en français et m'accompagneront dans le dédale des rues pavées de la vieille ville entourée de remparts d'où l'on découvre des points de vue que j'imagine magnifiques sur la mer Baltique et la colline de Toompea… Et la cathédrale Nevsky, les petits restaus, les bars à bière, les façades pastel de style baroque, le port et ses brise-glaces… J'arrête là, je vais pleurer… Restons digne et adulte, ça sera pour une autre fois… Mais quand même...
Ah, cet inspecteur Kurismaa… Trente ans de métier, un caractère bien trempé, aimable quand il y pense, pas psychologue pour un sou, détestant tout ce qui a à voir avec les nouvelles technologies, narcoleptique (pas facile à vivre quand on est flic), détestant le sport (même s'il est un ancien champion de ski de fond) et «  tout ce qui a trait au froid, aux bâtons et au mouvement » - il est servi !
Mais ce qu'il exècre le plus au monde, c'est le communisme qui lui a raflé son père (un opposant au régime soviétique, arrêté par les hommes du KGB) et par la même occasion, son enfance…
En effet, les traces de cette période (l'Estonie fait partie de l'URSS de 1944 à 1991) apparaissent à chaque coin de rue.. . Sachant que la ville est sous domination russe depuis que Pierre Le Grand en 1710 a repoussé les Suédois, vous imaginez bien que ce passé est plus qu'omniprésent. Bien sûr, les gens sont bilingues : le russe est la langue maternelle de plus de 40 % de la population - l'immigration russe ayant été très importante lors de la Seconde Guerre Mondiale… Bref, ce passé soviétique colle aux pattes et aux esprits et prend l'allure d' un cauchemar dont on a bien du mal à se remettre… J'avoue que c'est l'aspect du roman qui m'a le plus intéressée, non que l'intrigue - somme toute assez classique - soit sans intérêt (on se laisse ferrer par cette enquête sur le meurtre d'une escort girl biélorusse) mais cette superposition passé/présent extrêmement forte à Tallinn est vraiment passionnante.
Et puis parcourir cette capitale recouverte d'une neige épaisse qui complique tous les déplacements est assez dépaysant, il faut bien l'avouer... et même poétique lorsque celle-ci prend la forme de légers flocons tourbillonnant dans la lueur des réverbères...
« Cependant, comme chaque fois qu'il essayait de les ignorer, les façades des maisons, le cours sinueux des ruelles, l'absence de voitures et de bruit, s'emparèrent de lui et l'obligèrent à ralentir le pas. Non, Vanalinn, la Vieille-Ville, n'était en rien un parc à thème, en rien un piège à touristes : c'était la beauté à l'état pur, l'élégance, l'âme balte. Et elle était vivante, même durant les jours, comme aujourd'hui, où les passants étaient rares, et même surtout ces jours-là, quand les toits étaient blancs, quand la neige qui n'avait pas encore été déblayée gisait en tas contre les murs, quand Tallinn recommençait à appartenir exclusivement à ses habitants... »
Ah… quand j'entends parler d' « âme balte », je fonds… pas vous ?
Allez, offrez-vous un petit voyage virtuel en attendant de pouvoir de nouveau parcourir le monde...