Éditions Phébus
Très belle illustration de couverture d'Héloïse Jouanard
Quelle prose délicieuse pour nous
conter une histoire qui ne l’est pas moins…
Sur une île qui n’est pas nommée
mais que l’on imagine aisément au large des côtes bretonnes, les habitants se
mettent à redouter la venue de Gabriel, le facteur, celui qui fait si bien son
travail, n’égarant jamais aucune lettre…
En effet, depuis quelque temps,
ce sont des lettres anonymes qui pleuvent sur l’île. Théodore est le premier à
en recevoir une, puis viendra le tour de Firmine, de Léocardie et de Pierre…
Evidemment, les lettres ne sont pas signées, évidemment, on se met à soupçonner
un peu tout le monde et surtout son voisin, d’autant qu’elles sont postées… de
l’île.
Le corbeau est dans la maison et
le poison s’immisce dans les veines…
On se méfie d’Irène qui vit un
peu à l’écart ou bien d’Adèle qui sait toujours tout sur tout. D’ailleurs, on
finit par se méfier un peu de tout le monde.
A vrai dire, ce ne sont pas des
lettres bien méchantes : « Vous avez la plus belle maison de l’île.
Serait-elle à vous si vous aviez toujours payé vos impôts ? »,
« Quand vous déciderez-vous à rappeler votre soeur ? » Pas bien
méchant mais bon, ça gêne aux entournures, ça inquiète et puis, ça finit par
empêcher de dormir.
« Si un esprit frappeur,
affranchi des superstitions, relevait la tête, et demandait qu’on traite
l’affaire par le mépris, il était aussitôt sommé de se taire. Son attitude
apparaissait comme une provocation. On se sentait cerné par le vieil ennemi
invisible et maléfique, qu’on conjurait jadis en poignardant des chouettes à la
porte des granges. »
Alors, qui ?
Aux gendarmes d’enquêter… mais,
bon, « il n’y a pas là matière à une enquête. A un petit traité,
plutôt : Criminologie des
intentions, sociologie de l’ennui. Qui donc se soucierait de
l’écrire ? »
Au café La Marine, les suppositions
vont bon train :
« - Toute la vie est une
question sans réponse, avance un buveur philosophe.
- Et on ne sait jamais qui vous la pose, reprend un autre, qui a deux
verres d’avance. »
Et le vent de souffler et de
souffler inlassablement… « Derrière l’écume et les falaises, on distingue
à présent des pans d’étoffe mal ajustés, des coutures irrégulières, aussi
inévitables que, sous la peau, l’enchevêtrement des veines et des ligaments.
L’affreux désordre que révèle le spectacle des écorchés. » (Waouh, quelle écriture :
il y en a qui maîtrisent…)
Alors, on cherche, on émet des
hypothèses. Je ne résiste pas au plaisir d’ajouter cette citation, si
juste : « On jasait. Qui donc avait envoyé ces cartes ? Un
homme, une femme ? Un jeune, un vieux ?
-
Les hommes n’écrivent pas, observa l’un.
-
Les jeunes non plus, assura l’autre.
-
Et ils font des fautes d’orthographe, ajouta un
septuagénaire.
Or, à cet égard du moins, le
corbeau semblait irréprochable.
On soupçonna l’institutrice et la
secrétaire de mairie. »
(Ça, c’est le clin d’oeil de la
prof de lettres qui a passé son week-end à corriger des copies…)
Et si le besoin de divertissement
(tiens, décidément, l’hiver, on ne parle que de ça (cf le dernier article sur Chaleur) était impossible à
rassasier… (pour plagier le fameux titre de Stig Dagerman) jusqu’où le corbeau
serait-il prêt à aller ?
Un roman dont la prose magnifique
pénètre par petites touches légères (ou faussement légères) et amusantes l’âme
humaine, soulevant les masques et entrouvrant les portes afin de montrer ce qui
se cache derrière…
L’air de rien, on dit
l’essentiel, comme ça, en passant, le sourire aux lèvres…
Un vrai petit plaisir d’hiver…
Mais voilà qui m'a l'air très intéressant ! Merci, je n'en avais pas encore entendu parler de ce petit livre qui semble tout à fait charmant !
RépondreSupprimerOui, oui, j'ai beaucoup aimé l'écriture et j'ai passé un bon moment auprès de ces insulaires un peu coupés du monde, s'épiant les uns les autres et complètement déstabilisés par ces lettres anonymes. Et puis, il y a de l'humour... Tout ce que j'aime !
RépondreSupprimerMerci, c'est exactement ce genre de lecture que je cherchais pour ma belle-mère . Bravo pour ce site altruiste et pétillant . Je vais le faire connaître. Anne-Lyse
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