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samedi 21 septembre 2019

Par les routes de Sylvain Prudhomme


Éditions l'arbalète Gallimard
★★☆☆☆ (bof bof)

BILLET D'HUMEUR


J'ai un problème avec les romans actuels dont les personnages féminins s'appellent Marie ou Jeanne. Je ne sais pas pourquoi, mais je sens qu'on va très très vite se prendre les pieds dans le tapis pour finir la tête dans l'arête du mur le plus proche.
Et le pire, c'est que ça marche à tous les coups.
Parce que ces femmes (est-ce le prénom qui veut ça?), elles sont chouettes, sympas, plutôt pas mal, un peu bohèmes, un brin artistes, écrivaines, traductrices, elles lisent des textes que pas grand monde ne connaît, écoutent de la musique que personne n'écoute, vont parfois au ciné… Dans leur maison, style bourgeois-bohème, de jolis tissus qu'elles ont ramenés de jolis voyages recouvrent les canapés et les lits (parce qu'avant, quand elles étaient étudiantes, elles étaient aussi un peu baroudeuses…)
Dans cette maison, on se sent bien entre amis… On danse un peu en fin de soirée… C'est sympatoche tout plein...
Elles ont des copains cool les Marie et les Jeanne, des mecs pas comme les autres, qu'aiment marcher seuls dans la montagne ou sur les routes, qui se laissent pousser la barbe, qu'aiment pas trop les téléphones portables et qui ne bossent pas vraiment.
Oui, ils sont chouettes aussi les copains des Jeanne et des Marie. Super attachants, pas soumis à la société de consommation, un peu mal dans leur peau. Beaux, bien sûr, jeunes encore (même si ça commence à tourner un peu...)
Généralement, il y a un môme qui traîne dans leurs pattes, on ne sait pas trop pourquoi et eux non plus d'ailleurs…
Et quand on en est là, je me dis qu'on n'est plus à un stéréotype près : un peu de vague à l'âme par-ci par-là, l'envie de revivre une seconde jeunesse (comme-de-grands-ados-qu'-ont-jamais-vraiment-réussi-à-devenir-des-adultes-parce-que-les-valeurs-de-la-société-beurk-beurk), quelques scènes d'amour, deux trois passages où on joue avec le gosse (assis par terre), deux trois balades dans le paysage (un peu gris, c'est mieux), puis un retour à la maison où l'on débouche une bonne bouteille de vin rouge (du pas dégueulasse) que l'on déguste dans un verre ancien chiné en regardant le paysage (toujours tristounet) à travers la fenêtre de la cuisine. Oui, la cuisine, c'est pas mal.
Voilà voilà.
Les Marie et les Jeanne, ça annonce généralement ce type de récit, dans l'air du temps, bobo dans l'âme, un peu platounet dans l'écriture et souvent pas très très original, il faut bien le dire...

mardi 17 septembre 2019

Murène de Valentine Goby


Éditions Actes Sud
★★★★★ (magnifique!)


Je n'ai jamais été déçue par les romans de Valentine Goby, non, jamais. Ils sont assez rares ces auteurs qui ont suffisamment de talent pour se lancer dans une VRAIE histoire avec de VRAIS personnages, forts, puissants, éblouissants même, en tout cas impossibles à oublier et que l'on suit comme s'ils étaient un ami ou un frère : en tremblant, en espérant, en pleurant.
Extrêmement documentés, les romans de Valentine Goby nous projettent dans une époque précise et nous placent au coeur d'un problème de société qui soudain va nous surprendre puis, très vite, nous passionner, devenir essentiel et mettre en lumière tout un monde qui nous était jusqu'à présent inconnu.
C'est simple, on est embarqué par la prose dynamique, vivante, l'écriture riche, dense, ardente, qui fouille, donne à voir, à sentir, à entendre. La puissance, la force d'évocation et la sensualité qui s'en dégagent ont peu d'équivalent dans la littérature actuelle.
Quelle conteuse que cette écrivaine !
Allez, je vous dis deux mots de François. Il est beau François, il a la beauté fulgurante de ses vingt-deux ans, le visage de l'amour, le corps d'un dieu : il a la vie devant lui, la vie et ses belles promesses, là, à portée de main… Il a hâte de se jeter à corps perdu dans cette vie bouillonnante qui l'attend, avec Nine, celle qu'il aime, celle qu'il rêve de tenir serrée dans ses bras, tandis qu'en cet hiver extrêmement froid de 1956, il se trouve dans un camion avec un certain Toto qu'il vient de rejoindre porte de Clichy. Ils partent pour les Ardennes : il doit donner un coup de main à un cousin, dans une scierie, près de Charleville-Mézières.
Très vite, ils sont obligés de ralentir, la route est gelée, le brouillard de plus en plus dense. S'ils calent, ils ne redémarreront pas, c'est certain. Le pire (qui n'est jamais sûr) arrive soudain : le dix tonnes s'immobilise net. Toto envoie François chercher de l'aide, lui reste garder la ferraille qu'il transporte. C'est tout droit, tu trouveras. Un paysage tout blanc s'étend à perte de vue.
François n'aura pas le temps de rencontrer quelqu'un, non. Sa vie va soudain basculer. Il y aura un avant la panne et un après, deux vies en une, deux hommes en un.
Et l'on assistera à la métamorphose magnifique de François...
Je n'en dis pas plus, vous conseille (comme d'habitude) de ne pas lire la quatrième de couverture et de vous plonger dans ce roman au sujet passionnant (je dis, je ne dis pas ? Non, franchement, pour le plaisir du lecteur, mieux vaut laisser tout cela intact), un roman profondément émouvant : les personnages sont décrits avec tant de finesse, de précision, sur un mode si nuancé, qu'ils évoluent, là, devant nous ! Oui, Valentine Goby les rend vivants et on les aime tellement, tellement, vous verrez…
Et puis, l'écriture, pleine, serrée, rythmée, saisit le lecteur, l'emporte, l'arrache à son présent : nous sommes François, nous sommes ce personnage magnifique et nous avançons dans le silence profond de cette grande étendue de neige, nous marchons vers notre destin.
C'est parti.

jeudi 5 septembre 2019

Avant que j'oublie d'Anne Pauly


 Édition Verdier
★★★★★ (gros gros coup de coeur ♡)


« J'ai cru mourir d'amour et de mélancolie... »
Je reprends ici une phrase du roman pour dire à quel point ce livre m'a profondément touchée.
Oui, j'ai vraiment senti la présence d'une voix très personnelle, d'une intense émotion et d'une sensibilité à fleur de peau qui m'ont bouleversée.
Et puis, parfois, vous le savez bien, l'amour que l'on a pour un livre naît d'une rencontre : des mots qu'on peinait à trouver et qui soudain sont là, devant vos yeux, comme par magie, et la chose incroyable, c'est qu'ils disent précisément, à la nuance près et avec une très grande justesse, l'émotion qui a été la vôtre ou qui aurait certainement été la vôtre dans un moment semblable…
Et ces mots, ces phrases, on sait tout de suite qu'on va avoir un impérieux besoin, tôt ou tard, de s'y replonger, de les relire, de s'y accrocher désespérément en cas de tempête... 
Le coup de coeur que l'on a pour un roman vient aussi de petits détails, de petites remarques (très tristes ou très drôles) qui nous font aimer l'auteure parce qu'on se sent furieusement sur la même longueur d'onde… Oui, c'est une sensibilité commune, une façon de concevoir la vie, l'amitié, l'amour, les relations aux autres, la mort, une espèce de feeling, un truc qui passe, qui nous happe et nous touche de façon très intime…
Et puis, bien sûr, c'est aussi une écriture, un style, une façon de parler du monde, des êtres et des paysages… En effet, les mots d'Anne Pauly claquent, pulsent, vont dans les coins et les recoins, ne tournent jamais la tête, n'ont peur de rien ni de personne. Ils ont la tenue des gens qui savent rester discrets et l'oralité de ceux qui disent ce qu'ils ont à dire.
Il y a aussi cet humour, cette énergie du désespoir qui est là, toujours, et qui aide à supporter le monde, car « chacun se tient en vie selon ses moyens » et rire du plus triste est peut-être la meilleure façon de tenir la tête haute et de continuer d'avancer.
Et là, on se dit que ce livre ne nous quittera jamais parce qu'on en aura toujours besoin, oui besoin, comme d'un aliment, d'une musique, d'un lac dans lequel se jeter en plein été parce qu'on a trop chaud.
Un indispensable, quoi. Un nécessaire. Un vital.
Bon…
Reprenons.
« Avant que j'oublie » (ah ce titre…) est un roman. C'est écrit au début. Mais dans ce roman, la narratrice s'appelle Anne Pauly et son père Jean-Pierre Pauly. Alors, évidemment, on est fortement tenté d'y voir une autobiographie. Bien sûr, il y a de nombreux éléments qui correspondent sans doute à la vie de l'auteure, mais ils sont, je pense, passés par le filtre de la littérature, de l'écriture, du souvenir aussi…
Ce père qui meurt dans les premières pages est un homme qui n'a pas une bonne réputation : on dit de lui qu'il n'a pas toujours été très agréable avec sa femme (vous noterez l'euphémisme), ni avec ses enfants d'ailleurs (le frère d'Anne semble lui en vouloir beaucoup.) Dans le fond, c'est un personnage que l'on découvre au fur et à mesure des pages, que l'on apprend à connaître, j'allais dire à aimer (j'exagère peut-être), en tout cas un être original que le regard de sa fille finit par rendre presque attachant.
Unijambiste, alcoolique, attiré par les ouvrages de spiritualité orientale, il n'a pas été facile à vivre et après sa mort, le frère d'Anne n'a qu'une hâte : que les obsèques aient lieu, que la maison soit vendue et qu'on n'en parle plus.
Mais pour Anne, c'est plus compliqué. Comme, Bartleby, elle « préférerait ne pas. » On sent que malgré toute sa colère et son agacement, la narratrice aime ce père dont elle se sent proche, dont elle se sent être la fille et surtout dont elle a besoin pour vivre. L'enterrer, lui dire adieu, trier les objets, liquider la maison et continuer à vivre sans lui ne vont pas être simples, il va falloir du temps, beaucoup de temps. Il va falloir aussi prendre sur soi. En triant ses objets et en lisant quelques lettres, elle va découvrir un homme qu'elle ne connaissait pas vraiment mais dont elle sentait qu'il n'était pas seulement ce qu'il laissait paraître.
« Sa vraie personnalité, enfin débarrassée des hardes puantes de l'alcool, était ressortie : un contemplatif fin mais gauche, gentil mais brutal, généreux mais autocentré, dévoré par l'anxiété et la timidité, incroyablement empêché. Un touriste de la vie. Contre toute attente, le monstre était humain, vulnérable, attachant. »
Écrire sur lui, sur ce père qui n'est plus, c'est révéler, dévoiler une forme de vérité, la sienne, celle que les gens n'ont pas vue ou celle qu'il n'a pas voulu montrer.
Écrire sur lui, c'est dire au monde qui il a été. Et le dire avec une tendresse infinie...
Un bel hommage qui permet l'apaisement, la réconciliation et peut-être même, enfin, l'amour. Un amour total.
Un livre sensible, fort, drôle aussi, très drôle même, et d'une très grande beauté.
Il m'a bouleversée.
Et je l'aime.

mardi 3 septembre 2019

Propriété privée de Julia Deck


 Éditions de Minuit
★★★☆☆ (j'ai aimé, sans plus)


Rien de bien nouveau sous le soleil.
Un début « in medias res », une première phrase d'accroche censée ferrer le lecteur, un « je » et un « tu » bien mystérieux (les joies du Nouveau Roman), le petit thriller qui se met doucement en place (tout le monde appréciera), des personnages dont on dévoile progressivement la sombre nature (ah… la complexité de l'âme humaine), une petite satire sociale qui va bien (faut bien se moquer un peu des bobos, de leurs écoquartiers, de leurs Biocoop et de leur fixette sur leur empreinte environnementale…)
A vrai dire, tout ça m'a semblé un peu « fabriqué », un peu « déjà vu » et un peu trop dans l'air du temps …
Le sujet en deux mots : las de Paris, les Caradec s'installent en banlieue parisienne, dans un écoquartier tout neuf. Ils découvrent progressivement des voisins bruyants, lourdingues, intrusifs et parfois sympas…Des voisins, quoi. Fini le bel anonymat parisien. Il faut partager sa vie avec les Lecoq (Arnaud et Annabelle), leur môme qui chiale et leur sale chat roux, les Taupin, les Lemoine, les Benani, les Bohat et quelques autres.
Bref, l'idéal que l'on s'était imaginé part bien vite en fumée...
Cela dit, si cette promiscuité est un peu pénible, elle est largement compensée par le bonheur de vivre dans des meubles en matériaux durables, une nouvelle cuisine à quatorze mille euros sans l'électroménager et un gazon bien vert et qui pousse bien dru.
Seulement, un autre bémol va venir s'ajouter au fléau des voisins et de leur sale chat poilu : le coûteux échangeur thermique, censé récupérer la chaleur des eaux usées pour compléter le travail des panneaux solaires, ne fonctionne pas correctement et personne ne comprend d'où vient la panne. Et évidemment, ça énerve tout le monde !
Et en plus, y a le chat, le chat qu'il faut zigouiller.
Derrière chaque être humain se cache une bête effrayante et capable de tout.
Voilà le décor.
Bon …
Une fresque sociale un peu mordante, un petit thriller qui peine à retenir l'attention du lecteur, des personnages un brin caricaturaux, une écriture qui rappelle vaguement le Nouveau Roman…
Certes, c'est amusant, caustique, quelques formules sont assez drôles.
Ça se lit.
Mais ce n'est pas indispensable.