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samedi 26 avril 2025

Toutes les époques sont dégueulasses de Laure Murat

Éditions Verdier
★★★★★

 Quel plaisir de lire une pensée rigoureuse, nuancée et tellement éclairante ! Avec ce petit essai, Laure Murat revient sur la guéguerre entre les pro-« sensitivity readers » et ceux qui, comme Nicolas Mathieu, considèrent qu’on ne doit pas toucher au texte d’un auteur, que le propos plaise ou non au lectorat, au risque de heurter ce dernier. (Souvenez-vous du fameux coup de gueule de Nicolas Mathieu contre Kevin Lambert qui avait avoué avoir demandé à Chloé Savoie-Bernard, professeure de littérature d’origine haïtienne, de relire son roman afin d’être sûr de ne pas heurter la communauté haïtienne par des maladresses qui lui auraient échappé.)

Autrement dit, dans quelle mesure a-t-on le droit de modifier une œuvre littéraire ?

Laure Murat fait tout d’abord une différence extrêmement pertinente et qui fait d’emblée avancer la réflexion entre « récrire » et « réécrire » : « récrire », c’est procéder « au remaniement d’un texte à une fin de mise aux normes sans intention esthétique », « réécrire », c’est « réinventer, à partir d’un texte existant, une forme et une vision nouvelles » : c’est Racine réécrivant Phèdre à partir d’Euripide par exemple. Le premier relève de la correction, le second de la création. Faire la différence entre les deux notions permet d’y voir nettement plus clair. Si « récrire » peut poser un problème, « réécrire » a une dimension artistique : on assiste à la naissance d’une nouvelle œuvre et là, on ne peut que s’en réjouir.

Donc Laure Murat explore la « récriture » : est-ce que retirer un mot « gênant » dans un texte résout tous les problèmes ? Est-ce que cela suffit à effacer tous les relents idéologiques nauséabonds dont l’oeuvre est imprégnée par ailleurs ? Ne risque-t-on pas de faire disparaître ce que fut la pensée d’une période au risque de falsifier l’Histoire ? Qu’est-ce qui pousse les éditeurs à encourager les « récritures» ? A-t-on le droit de modifier des textes dont les auteurs sont morts ? Peut-on vraiment parler de censure ? La solution est-elle dans la contextualisation ?

En évitant constamment les écueils d’une pensée binaire, Laure Murat pose les vrais problèmes et tente de répondre en toute honnêteté à ces questions à partir d’exemples précis : elle nous aide à réfléchir et à prendre plus clairement position dans ce débat brûlant.

Un essai intelligent, stimulant et nécessaire pour y voir plus clair.


 

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