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dimanche 31 décembre 2017

Sophie Calle et son invitée Serena Carone: Beau doublé, Monsieur le marquis! Musée de la Chasse et de la Nature



Je n'avais jusqu'à présent jamais entendu parler du Musée de la Chasse et de la Nature et quand bien même on m'en aurait conseillé la visite, je n'y aurais jamais mis les pieds : je déteste la chasse (j'habite une région où il est impossible de mettre un pied en forêt sans risquer de se prendre une volée de plombs et ce, quel que soit le jour de la semaine - et je ne vous parle même pas de la chasse à courre qui sévit encore…)
Quant à la nature, autant aller l'admirer là où elle est.
Ça a commencé par la lecture de Tiens ferme ta couronne de Yannick Haenel: le narrateur retrouve, la nuit, la directrice de ce musée et se livre à des plaisirs sensuels et sexuels qui donnent lieu à quelques pages assez osées (226 à 232, pour être précise) à ne pas mettre entre toutes les mains. Je m'imaginais un ancien hôtel particulier transformé en musée, de petites pièces décorées, coupées du monde par de lourds rideaux de velours, de larges fauteuils Louis XV aux arabesques folles, de belles boiseries, des vitrines remplies de curiosités, des murs recouverts de scènes de chasse et de fabuleux animaux empaillés observant silencieusement les ébats amoureux d'un narrateur ne sachant plus où donner de la tête… bref, une ambiance un peu hors du temps et hors du monde, un lieu qu'à l'époque de ma lecture je pensais ne jamais connaître.

                      
Puis, un article sur le blog « Sans connivence », un autre sur l’Obs et un entrefilet sur France Inter ont fini d'aiguiser ma curiosité : pourquoi un tel engouement pour ce musée ? Eh bien, figurez-vous que l'on peut y voir les oeuvres de Sophie Calle, artiste contemporaine qui fait de sa vie une œuvre d'art (ah bon, vous aussi?). Elle a décidé de « vivre sa vie pour faire œuvre et faire œuvre pour vivre sa vie », ce qui a fait dire à un critique d'art que son existence est une « performance continue » - je dirais parfois la même chose pour ma propre vie mais pour des raisons qui n'ont, hélas, rien à voir avec l'art… Passons, c'est la fin de l'année, gardons le coeur léger !
Des exemples de ses performances ? Elle suit quelqu'un dans la rue - là, elle devient chasseuse - ou se fait suivre par un détective privé - elle se transforme en proie -, l'expérience donnant lieu à des photos, à des notes (Filatures parisiennes) ; dans la nuit du 5 au 6 octobre 2002, couchée au 4e étage de la Tour Eiffel, elle propose à des inconnus de venir lui raconter des histoires jusqu'au petit matin (Chambre avec vue), elle demande aussi à des inconnus de se relayer dans son lit pendant huit jours (Les Dormeurs) ; passant la nuit dans une cabine de péage de St-Arnoult, elle demande à chaque conducteur : « Où pourriez-vous m'emmener ? », payant le trajet aux propositions les plus savoureuses ; en 1983, trouvant le carnet d'adresses d'un inconnu, Pierre D., elle appelle tous les gens dont les noms sont inscrits afin de « découvrir (l'homme qui a perdu le carnet) sans jamais le rencontrer ». Tous ses travaux ont un lien avec elle, sa vie, son intimité et se situent entre autobiographie et fiction.
Alors, me direz-vous, quels liens avec le Musée de la Chasse ?
Sophie Calle, selon les besoins, se fait chasseuse, piste des gens, des inconnus, part sur leurs traces, mène son enquête pour tenter de les approcher, les piège même peut-être un peu finalement. Elle n'hésite pas à se farder, à se travestir pour pénétrer dans un milieu. Par ailleurs, le thème de la mort, de la séparation, de la perte, occupe toute son œuvre.
Au rez-de-chaussée, le visiteur est accueilli par la photographie de la mascotte du musée : un ours blanc que Sophie Calle a recouvert d'un drap blanc, invitant les familiers du musée à parler de celui devant lequel ils passent tous les jours et qu'ils ne voient plus, transformé qu'il est, pour l'occasion, en une espèce de fantôme.

                
Plus loin, une vidéo explique comment à la mort de son père, Sophie Calle s'est trouvée perdue, à court d'idées et ayant lu sur une publicité que l'on pouvait « pêcher des idées chez son poissonnier », elle décide d'interroger son poissonnier sur l'art et la façon dont il envisagerait une œuvre créée à partir de ce qu'il vend. Évidemment, c'est très drôle mais Sylvain ne se démonte pas et explique qu'une œuvre faite de saumons morts serait assez intéressante. Why not ? Sur le mur d'à côté, voilà ce que l'on peut voir : une œuvre en cire de Serena Carone, artiste céramiste invitée pour l'occasion par Sophie Calle.

 

L'artiste explique que certaines bêtes naturalisées représentent des gens qu'elle aime : la girafe, c'est sa mère qui la regarde de haut et qui veille sur elle. Elle possède chez elle des têtes de taureaux et des chouettes naturalisées à qui elle a donné le nom de certains de ses proches.
Un magnifique tombeau (le sien, plus tard), créé par Serena Carone et pour lequel Sophie Calle a posé, est constitué de mille petites bêtes grouillantes. C'est très beau et il faut du temps pour en apprécier tous les détails. Le thème dominant de cette première salle est donc celui de la mort : la sienne, celle de son père, celle de ses proches, celle de son chat Souris, celle des animaux.


Ensuite, dans chaque pièce du musée, 38 petits cadres dans lesquels elle raconte des épisodes de sa vie sont disséminés çà et là. Elle parle de sa vie amoureuse entre autres. Il faut s'accroupir, s'asseoir parfois pour les lire. J'ai vu des gens les photographier et dire qu'ils les liraient chez eux « tranquillement ». Moi, j'ai tout lu sur place. Je me suis lancée à la recherche de ces petits bouts de vie et de ces objets incongrus placés soit dans une vitrine, soit sur une chaise ou une table basse et qui racontent par bribes la vie de Sophie. Ce fut ma chasse à moi, comme on chasse les œufs le jour de Pâques : une espèce de jeu de piste qui m'a bien amusée !

    
Enfin, et c'est à mon avis le plus drôle (ou le plus tragique!) : elle s'est amusée à retrouver des petites annonces de rencontres tirées, entre autres, du journal « Le chasseur français » datant de la fin du XIXe siècle à nos jours : alors, là, franchement, le lien entre la chasse (aux bêtes) et la chasse (à la femme) est nette. Les hommes - car se sont toujours des hommes qui chassent - savent précisément ce qu'ils veulent. En voici quelques exemples…

 

« J’aime leur langage concis, économique. Dans les petites annonces, les mots sont comptés et payants. Ce sont comme des haïkus, des petits poèmes, explique l'artiste, j’ai voulu essayer de repérer quelles étaient pour chaque décennie les qualités principales recherchées par les hommes chez les femmes. »
« Ah, si j'étais un homme, je serais romantique… » chantait Diane Tell, eh bien, les gars, y' a du boulot !
               
Une expo sympa, ludique, très touchante, pleine d'humanité…
J'oubliais aussi de vous parler d'une faïence émaillée de Serena Carone : Pleureuse 2012 qui m'a particulièrement touchée représentant une femme qui pleure avec de vraies gouttes d'eau sortant de ses yeux, et ce, dans un petit recoin du musée. Au-dessus d'elle, une chouette, je crois. Ça peut paraître un peu kitsch, décrit comme ça, mais l'effet rendu est saisissant.

                
Allez, un dernier conseil pour survivre en terrain hostile : un petit livre génialissime nommé Où faire pipi à Paris ? de Cécile Briand chez Le Tripode. 

               
Si l'envie vous prend, comme Sophie Calle, d'aller pister des inconnus dans les rues de la capitale et si vous ne voulez pas dépenser un centime pour vous soulager la vessie, n'hésitez pas : limite si, avec ce petit livre, on n'a pas envie de faire le tour de tous les magnifiques bâtiments publics qui renferment des trésors d'architecture que l'on ne voit jamais ! Par exemple, qui aurait l'idée d'aller explorer la Bibliothèque Chaptal dans le Xe, avec lustre en cristal, verrière, cheminée et WC gratuits, et le 7e étage des Galeries Lafayette avec vue sur tout Paris ? Un petit arrêt pipi dans l'Hôpital Saint-Louis (belle cour carrée avec un arbre majestueux), au Cimetière du Montparnasse ou à la Maison de la Culture du Japon, c'est autant de découvertes de lieux, d'expos et pourquoi pas de rencontres possibles. Transformons-nous donc un peu en Sophie Calle, faisons de notre vie une œuvre d'art ! D'ailleurs, à la fin de ce petit ouvrage, des conseils pour visiter Paris en vous sophiecallisant : par exemple, « faire la promenade d'Orphée ». « Promenade à faire à deux en marchant l'un derrière l'autre sans qu'à aucun moment le premier ne se retourne pour vérifier que le second le suit toujours... », à faire avec ses enfants, par exemple, en s'étant bien assuré au préalable qu'ils n'ont pas caché de petits cailloux dans leurs poches...
Autre idée amusante : ne rentrer chez soi que lorsque l'on a vu tout ce qui figure sur une liste : un couple se tenant par la main, une porte d'immeuble en bois et en métal, une table sur un balcon, un grand-père à lunettes…
Et s'il vous reste du temps, suivre le grand-père à lunettes : s'il se rend au 62, rue des Archives, vous êtes bon pour commencer l'écriture d'un roman…

Allez, belle année à vous tous !

3 commentaires:

  1. Quel article intéressant ! J'aime beaucoup Sophie Calle dont j'ai lu plusieurs livres/oeuvres.

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  2. Vu hier, avec les mêmes réticences que toi à l'entrée et l'impression d'une belle découverte en sortant, quoique, la fin avec les petiets annonces c'était un peu répétitif

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  3. Merci pour vos messages: une belle expo, à la fois amusante et très touchante. A voir absolument!

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