Rechercher dans ce blog

vendredi 22 août 2025

Chagrin d'un chant inachevé Sur la route de Che Guevara de François-Henri Désérable


Éditions Gallimard
★★★★★

Entre nous, ce récit de Désérable, je n’y ai pas cru une seule seconde. Je ne peux pas vous dire pourquoi. Une impression, une vague intuition, un sentiment diffus. Et je vais vous avouer que je me suis même demandé s’il y avait vraiment mis les pieds, là-bas, en Amérique du Sud, entre Buenos Aires et Caracas.

Bon, maintenant, je vous préviens tout de suite, cela ne m’a absolument pas dérangée. Bien au contraire! J’ai trouvé ce texte dé-li-cieux, j’ai adoré suivre l’auteur dans ses aventures rocambolesques et je conseille à tous de lire cette épopée sur les pas du Che.

Alors d’où vient cette impression ?

D’abord Désérable ne décrit pas ou peu les lieux qu’il traverse. Il le dit lui-même à plusieurs reprises. J’ai d’ailleurs fait pas mal d’allers-retours entre le livre et mon portable pour voir un peu à quoi ressemblaient les paysages évoqués. « Nous vîmes les chutes d’Iguazú, que je ne décrirai pas : ne me viendraient que des superlatifs sans intérêt, qui ne diraient rien à qui ne les a jamais vues. » S’ensuit  une très longue prétérition dans laquelle, finalement, il décrit rapidement ces fameuses chutes. On pourrait d’ailleurs lui souffler que c’est un peu le rôle d’un auteur que de trouver les mots pour décrire ce qu’il voit, et ce, sans utiliser des « superlatifs sans intérêt. » Bref, ces chutes, je suis allée les contempler sur le petit écran de mon portable. Mais pourquoi pas.

En fait, Désérable parle surtout des gens. Ce sont toujours des rencontres incroyables (précisément) et elles arrivent quasiment toutes les quatre pages, pour notre plus grand plaisir de lecteur, il faut bien le dire! Généralement elles foutent un peu la trouille mais elles se terminent bien et comme Désérable a le sens de la formule, on finit par en rire. Un vrai plaisir ! Il est vraiment doué Désérable pour se trouver là où il faut au bon moment. Mais, impossible de croire à tant de coïncidences folles, hasards étonnants, imprévus abracadabrants, concours de circonstances exceptionnels, veine surprenante. Impossible. Mais ce n’est pas grave, on adore, on frémit, on rit. On se souviendra beaucoup plus des bidonvilles de Lima grâce à l’anecdote qu’il nous raconte que s’il nous avait décrit les lieux de long en large de façon impersonnelle. Non, l’anecdote, elle restera dans notre mémoire ! D’ailleurs, une minuscule note de la page 178 nous révèle que oui « parmi toutes les scènes de ce récit, l’une d’elle est fictive. » Une seule vraiment ? Allez, allez…

Parfois j’ai même pensé qu’il n’avait peut-être même pas quitté sa Butte Montmartre. Un plan des lieux, Wiki & compagnie et beaucoup d’imagination : voilà le tour est joué. L’auteur aime Romain Gary. Je le soupçonne d’avoir lui aussi ce petit côté espiègle, un peu farceur sur les bords et ça serait plutôt rigolo de bluffer génialement tout le monde de cette façon, non ?

Une autre chose : j’ai écouté plusieurs interviews de Désérable au sujet de ce livre. Eh bien il raconte toujours exactement les mêmes épisodes, jamais un autre, un nouveau, un truc qu’il aurait vécu, qu’il n’aurait pas mentionné dans le livre et qui lui serait revenu là, juste au moment de l’interview. Non, toujours exactement les mêmes souvenirs et souvent racontés avec les mots mêmes utilisés dans le livre. Comme si ces souvenirs n’étaient que littérature. Comme s’il récitait une leçon bien apprise.

Oui mais les quelques photos du livre. Alors là, on sait qu’une photo ne prouve plus rien.

Bref, c’est un super bouquin, je l’ai adoré ! Peu importe qu'il y soit allé ou pas d'ailleurs. Dans le fond, on s'en fout ! Il m’a quasiment donné envie de découvrir l’Amérique du Sud où je ne rêvais vraiment pas d’aller. C’est vous dire...


UN JOUR PLUS TARD:

Ben voilà, je me suis plantée. Ok, ça arrive à tout le monde et heureusement qu'il y a des auteurs VIVANTS capables de nous dire: pas du tout, revois ta copie ! (La veille d'une rentrée, ça fait bien!) 
Que je vous raconte... Hier, je poste ma petite chronique IG sur "Chagrin d'un chant inachevé" de François-Henri Désérable. Je disais que je ne croyais pas à toutes ces aventures extraordinaires et j'imaginais (avec beaucoup de plaisir et de malice d'ailleurs) que l'auteur était peut-être même resté "at home" pour écrire ce texte. 
Je poste. 
Très vite je reçois plusieurs photos en MP de F-Henri Désérable, des photos incroyables où on le voit faire du stop, avec les mineurs de Potosi, avec Kiko dans la jungle amazonienne, sous la tente avec l'Odyssée, lors de la panne dans le désert chilien, avec une mygale sur la joue🕷 (bon, ça, c'est pas dans le livre et il faudra qu'il nous raconte cette aventure!), à l'observatoire astronomique et d'autres encore... Avec, cerise sur le gâteau, une video des chutes d'Iguazú... Oh JOIE ABSOLUE! 🎉🎊 Le genre de truc qui te refait ta journée!!!! Imaginez! Je reçois un trésor.... Je suis sur un nuage! 
Ok j'ai dit des conneries. Mais enfin pas complètement quand même parce que ce livre est génial et ça, je n'en démords pas ! C'est mieux qu'un voyage car quand vous lirez tout ce qui lui arrive... 😬 Impressionnant!!! Franchement, j'aime mieux lire tout ça dans le fond de mon lit! N'empêche que, si un jour F-H Désérable cherche un.e partenaire pour crapahuter, retenez-vous parce que vous risquez gros. Mais c'est ça la littérature: ce sont les malheurs, la poisse, l'adversité qui font les grands récits. 
Merci à lui en tout cas pour ces photos extraordinaires que je garde bien précieusement dans mon panthéon personnel. 💚
Dernière chose : si les ÉDITIONS GALLIMARD pouvaient les éditer, ce serait un vrai cadeau pour les lecteurs ! 













 

vendredi 1 août 2025

Madame Bovary de Flaubert

Éditions Folio
★★★★★

 Juillet 2025 : 4e lecture de « Madame Bovary ».

Le texte a été écrit entre 1851 et 1855 , Flaubert avait 30 ans.

Notes de lecture :

1. Je suis très impressionnée par l’extrême maturité que suppose l’écriture d’un tel texte. Or Flaubert est vraiment très jeune. D’où lui viennent ces analyses très justes sur l’ennui, la passion, le désespoir ? Qu’a-t-il vécu pour écrire tout cela ?

2. Autre chose : comme les hommes sont minables dans ce texte : aucun n’échappe à la médiocrité, à la petitesse, au ridicule. Ils sont mesquins, lourds, vicieux, incapables d’aimer pleinement, conformistes, intéressés et lâches. Tous sauf un : Charles, sauvé par l’amour absolu qu’il porte à Emma tout au long du roman. Il mourra d’amour pour elle, dans le silence de son jardin. (J’avais oublié cela.) C’est lui qui, après la mort d’Emma, dira à Rodolphe : « Je ne vous en veux pas. » Il contemplera cet homme qui lui donne l’impression de se sentir encore un peu près d’Emma. Quel beau personnage !

3. Emma. Lecture d’Emma au XXIe siècle. Je lis dans un vieux bouquin qui date de 1981 qu’elle est une jeune fille « rêveuse, exaltée par ses lectures », faible, déséquilibrée, passive, excessive, capricieuse, « elle ne s’intéresse à rien de suivi » (Guy Riegert). Bref, Emma a tous les défauts. Moi je ne trouve pas. Bien au contraire, j’admire sa force, sa volonté, son tempérament, son caractère entier et passionné. Pour une femme du XIXe, quel courage de s’opposer comme cela à la vie toute tracée qu’on lui propose ! Non, elle ne restera pas à la maison à attendre bien gentiment le retour de son mari en faisant du crochet ou en jouant aux dominos avec sa fille. En effet, elle n’a visiblement pas d’instinct maternel. C’est très ennuyeux mais c’est comme ça. Oui, elle étouffe dans ce rôle de femme bourgeoise au foyer : elle a besoin de prendre l’air, d’aller ailleurs, de rencontrer des gens, d’imaginer des lieux fous et colorés même s’ils n’existent pas, de vivre en prenant des risques. Emma est entière, passionnée, ambitieuse. Elle ne compte pas, elle donne tout, veut tout. Elle n’a rien de passif ! Elle effraie les hommes tellement son caractère est puissant. Elle veut jouir, profiter, être indépendante. La morale, elle s’en libère ! Comme elle fait peur aux hommes ! Ils fuient tous ! Non, elle n’est pas folle, elle est juste libre. C’est ça qui coince. Il est bien là le problème. Emma est une femme moderne. Elle exècre la médiocrité, la demi-mesure et refuse de rester à la place où la société lui demande de se tenir. Elle n’existe que quand elle est ailleurs, en dehors de chez elle, loin des quatre murs qui l’enferment. Elle ne peut se satisfaire d’un petit bonheur bourgeois étriqué, conformiste et mesquin. Alors on l’accuse : elle est trop ci, trop ça, pas assez ci, pas assez ça. Emma, elle pète les barreaux, déchire la chape de plomb qui pèse sur elle. A-t-elle tort de rêver ? Doit-elle brider ses désirs, sa sensualité ? Certainement pas ! Emma n’aime pas Charles ? Ben oui. Et pourtant Charles est gentil. Oui. C’est triste mais c’est comme ça. Elle le trouve terne. Il ne correspond en rien à ce qu’elle est. Elle s’ennuie avec cet homme. Est-ce une raison pour la blâmer ? Non. La médiocrité de Charles (moi aussi ça me fait mal d’écrire cela car j’aime beaucoup ce personnage) la révulse. « Charles n’était pas de ceux qui descendent au fond des choses » écrit Flaubert. Elle est mal mariée. Emma a besoin d’autre chose. Aujourd’hui, elle aurait travaillé. Elle aurait eu les moyens de dire non. Le destin d’Emma, victime de la condition réservée aux jeunes filles de son époque, justifie amplement toutes les luttes féministes qui suivront.

4. Dans ce roman, personne n’a tort, personne n’a raison. Chacun parle dans le vide : que ce soit Homais, le pharmacien, Bournisien, l’homme d’église, Léon, Rodolphe. Dans le fond, ils sont tous grotesques. La vie est grotesque.

5. Dernière chose : quel roman parfait ! Chaque chapitre est une scène d’anthologie. Je repense à l’opération d’Hippolyte, à l’empoisonnement d’Emma, aux scènes avec l’aveugle…

Je vais lire maintenant la correspondance tenue par Flaubert durant les années d’écriture de « Madame Bovary », entre septembre 1851 et avril 1856, histoire de jeter un œil sur les coulisses d’une œuvre qui a donné tant de peine à son pauvre créateur !