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mardi 30 septembre 2025

La nuit au coeur de Nathacha Appanah

Éditions Gallimard
★★★★★

 On dit d’un livre très fort « qu’on n’en ressort pas indemne.» Je n’ai jamais tellement aimé cette expression que j’ai toujours trouvée un peu surfaite, comme un lieu commun qui n’a plus beaucoup de sens. Et pourtant là, j’ai vraiment envie de l’utiliser. J’ai trouvé le texte de Nathacha Appanah terrible, parfois insoutenable.

L’autrice aborde le sujet des violences conjugales qui conduisent au féminicide. Elle entrelace trois récits au sujet de trois femmes. Deux sont mortes, la troisième est celle qui écrit. Nommons-les : Emma, la cousine du père de l’autrice, Chahinez Daoud et Nathacha Appanah.

Les hommes violents, les bourreaux que sont leurs maris ou compagnons, ressemblent à des hommes ordinaires, souvent charmants au début et puis peu à peu, leur masculinité toxique se déchaîne : les femmes deviennent leur propriété, leur chose, leur possession. Elles sont surveillées, menacées, humiliées, subissent des crises. Elles ne peuvent plus aller où elles veulent, s’habiller comme elles veulent, parler à qui elles veulent. Elles doivent obéir, se la fermer. Sinon…

Le mécanisme de l’emprise est effrayant. Elles finissent par accepter l’inacceptable, se sentent coupables. Elles ont peur. Me revient à l’esprit l’image du compagnon de l’autrice qui se cache parfois dans un taillis près de la maison pour la surprendre. Imaginer ce type sortir de l’ombre… Le cauchemar. Alors, elles déposent plainte, de nombreuses fois mais bon, on les écoute d’une oreille. Alors, elles recommencent, les plaintes s’accumulent sans que rien ne se passe, le quotidien est devenu un supplice. Elles ne sont pas protégées. Des proies faciles. Elles n’ont plus qu’à courir… Cette image de la femme qui court pour échapper à la mort me hante depuis cette lecture.

J’ai presque lu toute l’oeuvre de Nathacha Appanah et dans ce livre, je n’ai pas reconnu son écriture et maintenant, je sais pourquoi. On ne parle pas de l’horreur que l’on a vécue avec les mêmes mots, avec les mêmes phrases que pour une fiction. Ici rien n’est fictif. Au contraire, l’autrice nous mène au coeur du féminicide et en explore tous les recoins. À certains moments, je n’arrivais presque plus à lire tellement j’avais peur de ce qui allait arriver. Son écriture, vive, tendue, se veut précise, juste, colle à l’événement, dissèque les mécanismes, n’oublie aucun détail parce qu’il faut qu’on sache ce qui s’est passé, que l’on connaisse la vérité, il faut raconter comment l’assassin a procédé pour les éliminer, comment elles ont été sacrifiées parce qu’abandonnées par l’État qui ne les a pas suffisamment protégées. Ce livre est sans aucun doute un livre politique : il accuse, appelle à la lutte, à la révolte. On sait que les dysfonctionnements existent, on sait où se trouvent les failles, les manques, on connaît la façon dont le patriarcat conforté par le poids des traditions peut étouffer les femmes.

Si ce texte est un appel à la résistance, il est aussi un mémorial. Il ne faut pas oublier Chahinez Daoud brûlée vive. Il ne faut pas oublier Emma écrasée par la voiture de son mari. Il faut dire, rappeler qui elles étaient, qui elles auraient pu être si elles avaient été protégées correctement. Finalement, ces trois histoires n’en sont qu’une. Elles ne sont que similitudes, analogies, mêmes femmes qui courent dans la nuit. Même solitude.

J’ai trouvé ce livre extrêmement fort. C’est un réquisitoire terrible mais aussi un hymne à la vie que ces femmes pas n’ont pas eue car au fond, ce qu’on leur a refusé, c’est la liberté…

L’autrice redonne vie et voix à ces femmes, refuse qu’elles tombent dans l’oubli, dans l’effacement. Elle fait de magnifiques portraits et les place dans la lumière.

Je suis encore émue et bouleversée

Un texte puissant pour ne pas oublier. Et agir.


 

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