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vendredi 7 septembre 2018

Arcadie d'Emmanuelle Bayamack-Tam


Éditions P.O.L
★★★★★ (IMMENSE COUP DE COEUR)


Il y a quatre ans, nous sommes partis en vacances avec une de mes grandes copines : Paula. À cette époque - parce que les choses ont un peu changé - Paula n'avait ni téléphone portable, ni ordinateur, ni voiture, ni montre à quartz. Elle refusait de mettre un pied dans un Mac Do, mangeait bio, luttait contre le nucléaire. Un de mes fils se souvient encore du jour où, tandis que nous attendions le train, il lui demanda de bien vouloir tenir quelques minutes son téléphone portable, le temps qu'il déballe un sandwich.
Elle refusa.
Tout net.
Il était hors de question que Paula tienne en main un appareil risquant de propager des ondes nocives.
Eh bien, je me dis maintenant, après avoir lu Arcadie, que Paula aurait presque pu rejoindre Liberty House, une sympathique petite communauté d'êtres sensibles allergiques aux ondes électromagnétiques, aux phtalates, au glyphosate, aux pesticides, aux sels d'aluminium, aux perturbateurs endocriniens, aux réseaux sociaux etc, etc… Une petite bande d'énergumènes antispécistes, amoureux de la nature, du grand air, prenant le temps de vivre, de raconter leurs rêves au petit déjeuner et de s'adonner aux plaisirs de l'amour libre.
Elle aurait rencontré toute une bande d'éclopés de la vie, d'adorables inadaptés au monde moderne, de semi-fous ou de semi-sages terrorisés par une époque dont certains aspects sont, avouons-le, pour le moins effrayants …
Une secte ?
Oui et non...
Bichette (allergique à tout) et Marqui (amoureux de Bichette), parents de la narratrice, ont littéralement fui leur maison pour se réfugier dans une bâtisse ancienne au coeur de la pinède, espèce de zone blanche, de société « idéale » et utopique coupée du monde et de ses fléaux.
Reçus à bras ouverts par une espèce de bon gourou généreux et consolateur, promettant paix, repos et bonheur sans WIFI, ils ne sont jamais repartis, heureux de cette vie protégée où l'on évolue nu, sans tabous et où l'on couche avec qui l'on veut du moment qu'il y a un minimum de réciprocité dans le désir !
Leur fille, Farah, la narratrice, a grandi à Liberty House, parmi les arbres et les écureuils, sans téléphone portable, ordinateur ou télévision. La pauvre ! Contrairement à beaucoup d'ados, il ne lui restait comme occupations que la lecture, l'observation de la nature et des hommes (les habitants de Liberty House!), la discussion et la réflexion. Évidemment, elle a échappé aux diktats de la mode : son corps a poussé sans qu'elle cherche à ressembler aux starlettes du web ni à qui que ce soit d'ailleurs.
À quinze ans, lucide, perspicace et d'une grande intelligence, elle analyse avec beaucoup d'humour, de dérision et de distance la situation hors du commun que ses parents lui ont imposée. Les portraits qu'elle fait des habitants de Liberty House sont hilarants : Arcady, le gourou, avec son blouson Sonia Rykiel en velours matelassé orange, Fiorentina, la cuisinière et « ses beignets de fleurs de courgettes, polenta aux cèpes, tourtes aux blettes et à la tomate sorrentine, flans de pleurotes, tagliatelles aux truffes, ravioles au pesto de roquette... », Kirsten, la grand-mère LGBT ; Dadah, son fauteuil roulant à sept mille euros et son maquillage outrancier ; Epifanio et son « baile sorpresa », sans oublier Victor, un brin obèse sous ses chemises à manches bouffantes et les autres, tous les autres : Nelly, Djilali, Malika, Daniel et Edo, le cochon truffier. Quelle équipe que tous ces extravagants à la fois ridicules et follement attachants !
Mais inévitablement, Farah finit par connaître les joies du collège et les chants tentateurs des sirènes du monde moderne. Elle s'interroge sur son corps (qui ne ressemble pas trop à celui de ses petites camarades) et sur son identité (qui suis-je… fille OU garçon? L'un ET l'autre ? Doit-on forcément choisir ? Difficile question du genre ...)
L'intrusion d'un migrant dans cet éden va avoir des conséquences inattendues sur Farah, l'amenant à remettre sérieusement en cause la philosophie profonde de son gourou adoré.
Bon, je le dis, depuis que j'ai achevé la lecture de ce livre, je le crie haut et fort sur tous les réseaux sociaux, pour moi, c'est le meilleur : il est d'une drôlerie irrésistible - j'ai ri, tellement ri -, il est cinglant et tendre, sarcastique et bienveillant, tendrement ironique, pénétré de l'air du temps, humain, tellement humain et, pour couronner le tout, si bien écrit qu'on se délecte de chaque ligne… Et puis, quelle sensualité, quelle poésie dans l'évocation de cette nature éblouissante, des corps qui s'y épanouissent dans une espèce d'osmose parfaite !
Quant à la fin, magnifique hymne à la liberté et à l'amour, elle est d'une telle beauté qu'elle vous tord le ventre et vous brouille les yeux.

Un grand texte !



2 commentaires:

  1. Je ne suis pas encore arrivé à l'arrivée du migrant (...j'ai mis sur pause) ceci dit si tout démarre après je continues... Un indice?

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  2. Non, non, pas d'indices, sinon que ce roman est génial!

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