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vendredi 14 septembre 2018

La guérilla des animaux de Camille Brunel


 Alma éditeur
★★★★☆ (J'ai beaucoup aimé)

Impression de mots et de phrases trop longtemps retenus et qui soudain jaillissent, claquent et griffent. Pas de douceur, pas de nuances dans ce roman. On n'en est plus là, il y a urgence maintenant. « Le temps de la négociation était révolu. Il fallait militer comme on tue : sans ambages, industriellement. »
Militer pour quelle cause ?
La cause animale.
Encore hier matin, à la radio, j'entends que des activistes vont être jugés pour avoir vandalisé des boucheries. Ils passent à l'action. Sont prêts à tout ou presque.
Les vidéos, dans les abattoirs, on les a vues. Elles sont insoutenables. Le traitement que nous infligeons aux bêtes est monstrueux, innommable, inhumain. En un mot : indigne. Nous n'avons aucun respect pour des êtres sensibles et qui souffrent. Nous nous gavons de leur viande largement au-delà de nos besoins et au détriment de notre santé. Un comble.
Nous éradiquons des espèces sans aucun remords. Notre pollution se charge de faire disparaître ceux que nous ne tuons pas avec nos fusils ou nos filets de pêche. Des oiseaux, il n'y en aura bientôt plus. Merci les néonicotinoïdes. Un article du Monde daté du 20 mars 2018 commençait en ces termes : « Le printemps risque fort d'être silencieux ». Des abeilles, bientôt, nous ne parlerons plus. « J'm'en fous, j'n'aime pas le miel » m'avait rétorqué un gamin de treize ans l'an dernier. Il a l'excuse de sa jeunesse. Nous vivons dans une espèce d'inconscience volontaire, heureux de nos oeillères qui nous rendent la vie bien confortable. Après nous, le déluge.
Face à la catastrophe écologique dont on subit les retombées au quotidien, face à des modes de vie qui sont inacceptables, face à la souffrance animale, je peux comprendre que certains commencent à s'énerver, à perdre patience, à ne plus avoir envie de causer.
A quoi bon le bla-bla, les sommets de ci ou de ça ? La prise de conscience doit d'abord être individuelle et mise en pratique au quotidien. Nous en avons les moyens, notre arme est d'abord notre porte-monnaie. N'achetons pas ce qui empoisonne, ce qui détruit, ce qui fait souffrir. Renonçons à notre consommation effrénée. Elle ne nous rend pas heureux, bien au contraire.
Ceci est à notre mesure et en notre pouvoir.
Bref, passons à l'action.
Vous le voyez, je suis mal placée pour parler du livre de Camille Brunel. Parce que son urgence, son impatience, son exaspération sont miennes. Je les vis au quotidien, je n'en peux plus des atermoiements des uns, des autres, des grands discours suivis de renonciations. Ils m'insupportent. Je suis maintenant pour l'action, individuelle d'abord, collective après et quotidienne toujours.
Les mots de Camille Brunel, son roman et sa magnifique postface m'ont parlé, évidemment.
Parce qu'il y a beaucoup de choses que je ne supporte plus depuis longtemps, que ma patience finit par avoir des limites et que ces limites sont atteintes.
Alors ? Oui, j'ai aimé ce texte, son extrémisme, sa parole dure, violente et sans concession, son impatience. Ils lui seront reprochés, sans doute. Il répondra que c'est une fiction, un roman. L'autoportrait qu'il fait de lui vient nuancer après coup ce terme « roman » inscrit sur la couverture. « Je me sens très embarrassé pour l'espèce humaine. Elle est indigne de son barda cognitif et elle le sait bien. Ses sœurs, apparues à peu près en même temps qu'elle sur le dernier demi-million d'années, disparaissent les unes après les autres ; pourtant elle continue de les manger, s'imaginant être la plus grande. A la fois l'aînée et la cadette, comme si être la plus jeune signifiait être la plus parfaite. « La guérilla des animaux », c'est l'histoire de cela : de l'erreur mondiale de l'anthropocentrisme, et de la violence qui s'en suit. »
Ce bouquin, il le sort de ses tripes, il l'a tenu au chaud quelques années et sa colère est là, bouillonnante, brûlante, pleine de fureur et d'exaspération.
La guérilla des animaux est l'histoire d'un homme, Isaac Obermann, espèce de justicier des temps modernes - que d'aucuns trouveront idéaliste (ah bon…) -, qui va parcourir le monde pour tenter de protéger les animaux : « Mon animalisme est farouche et cruel» «... il est temps de riposter. Aussi violemment que nous avons été attaqués. C'est-à-dire très, très violemment. » C'est dit. Il y a urgence. Parfois, Isaac prendra le temps de convaincre par la parole. C'est important aussi.
« Les dauphins n'ont jamais été des animaux. D'ailleurs les animaux n'existent pas. Ce sont, dans d'autres corps, des intelligences similaires aux nôtres - exactement similaires… L'anatomie varie. Pas l'intelligence. »
Appelons cela l'antispécisme.
Le roman est engagé, sa dimension épique en fait un récit d'aventures qui se passe aux quatre coins du globe là où les animaux crèvent. Un peu partout donc. Le registre tragique n'est jamais loin non plus… comme si soudain les dieux en colère allaient s'abattre sur les hommes et les punir de leur trop grande hybris. Pour qui se prennent-ils ces hommes ? Les plus beaux, les plus forts, les plus intelligents ? Misère. Ils seront punis.
Ce roman a des défauts, c'est vrai. Mais franchement, on s'en fout. Et je n'ai pas envie d'en parler. Le propos prime, vous explose à la figure, vous tire de votre léthargie et l'écriture, puissante, serrée, mordante, saisit par sa force et sa détermination. Le message est clair : nous ne conserverons notre humanité et notre dignité que si et seulement si nous acceptons de respecter les animaux en les traitant comme des égaux.
« L'humain vit comme un rat et s'imagine plus digne que le rat. Il prive les animaux de leur bonheur pour en tirer le sien - et ça ne marche pas. Il cherche l'amour, le plaisir et le divertissement, se persuade qu'il les a obtenus. Il a remplacé Dieu par la certitude que le monde obéit à un ordre qui ne peut pas lui vouloir tant de mal que ça. Moi, je l'ai remplacé par les animaux. C'est un sacré aimable et fragile. Né près des villes,j'ai étudié les lettres, reçu une modeste éducation religieuse (protestante), regardé beaucoup de films, fréquenté beaucoup de gens pendant des années où j'étais critique de cinéma, mais rien ne m'a jamais apporté autant de bonheur que de voir des marsouins approcher mon zodiac en Écosse, de voir une baleine à bosse faire surface devant mon kayak en Colombie-Britannique. Que de sentir le museau de ma chatte, Padmé, venir renifler mes lèvres ; ou d'être survolé par des flamants roses ou des grues, en Camargue ou au Der. Ce bonheur, qui est le comble de l'existence, n'a rien à voir avec mon espèce, ni ma pensée conceptuelle. C'est la vie, sans la violence. C'est ce qu'il me faut. On a tendance à sacraliser la violence, au point de justifier les abattoirs. C'est vraiment surestimer la vertu des traumatismes. »

Un texte nécessaire et puissant.

(roman lu dans le cadre des 68 premières fois)


2 commentaires:

  1. Tu prêches une convaincue ;) alors je rajoute ce roman à ma liste. As-tu lu Règne animal de Jean-Baptiste Del Amo ? Ou dans un tout autre genre Antispeciste d'Aymeric Caron (j'ai adoré, mais je ne suis pas objective, je suis secrètement amoureuse de cet homme hihi) ?

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  2. Coucou Mylène,
    Merci pour tes messages! J'espère que tu vas bien!
    Oui j'ai lu et adoré Règne animal, livre que j'ai chroniqué d'ailleurs... Quelle magnifique écriture! En revanche, je n'ai rien lu d'Aymeric Caron... je note!

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