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vendredi 24 janvier 2020

L'Accident de l'A35 de Graeme Macrae Burnet


Éditions Sonatine
★★★☆☆ (pas déplaisant...)


J'ai déjà lu pas mal de romans policiers dans lesquels il ne se passait pas grand-chose… Et à vrai dire, j'aime assez le concept ! Je ne suis pas vraiment une adepte de l'hémoglobine, de la violence, des courses-poursuites… J'aime le propre, le net, le pas compliqué en terme d'intrigue (autrement je ne comprends rien) et moins il y a de mouvements, d'agitation, mieux c'est.
Bref, j'aime qu'on assassine et qu'on enquête... sans se salir, sans courir, et en prenant le temps de déguster régulièrement une tasse de café (j'suis pas très thé et encore moins tisane) ou une p'tite pression (même si, pour ma part, j'aime mieux le cidre...)
Eh bien là, j'ai été servie ! Disons-le : il ne se passe absolument RIEN, mais RIEN de RIEN dans le dernier roman de Graeme Macrae Burnet ! Degré zéro de l'intrigue... Franchement, à ce point, je n'aurais pas osé ! Surtout que le roman est publié chez Sonatine, maison d'édition spécialisée dans la littérature policière… Je pense que certains lecteurs vont tomber des nues… Au moins, vous, vous serez prévenus ! J'aime beaucoup d'ailleurs la phrase inaugurale, et augurale par la même occasion puisqu'elle annonce immédiatement le programme : « Il semblait n'y avoir rien de particulier à signaler au sujet de cet accident sur l'A35. ») Ah, ah… C'est exactement ça ! Flaubert qui voulait écrire un livre sur rien peut aller se rhabiller… (Oui, je sais, chez Flaubert, il y a l'écriture…)
Ce roman manque-t-il pour autant d'intérêt ? Eh bien non ! Et c'est peut-être cela le plus extraordinaire ! J'ai lu ce récit avec plaisir, élaborant mille dénouements, douze mille renversements de situation, cent mille rebondissements plus fous les uns que les autres et qui ne se sont jamais présentés… Ce texte est une espèce d'O.V.N.I de la littérature policière qui tient des romans de Simenon (un bandeau rouge nous apprend d'ailleurs que l'auteur est le Simenon du XXIe siècle - ce qui est très juste!) On y retrouve aussi l'atmosphère étouffante et oppressante des films de Chabrol : les petites villes de province où règnent l'ennui, les non-dits et où les commérages vont bon train. Mais vous pouvez aussi ajouter une cuillère à café de Camus et notamment du personnage de Meursault (oui oui de L'Étranger!) et du sentiment d'absurde…
Mélangez le tout et vous voilà à... Saint-Louis en Alsace, à une quarantaine de kilomètres de Mulhouse (où, après cette lecture, vous ne louerez à coup sûr aucun airbnb). À lire sur Internet les commentaires des habitants (actuels), c'est plutôt pas franchement attirant comme coin : froid (dans tous les sens du terme), cher (la Suisse n'est pas loin), un peu coincé, bref… nombreux sont ceux qui rêvent d'en partir… Le roman d'ailleurs nous en parle en ces termes : « Saint-Louis est une commune relativement insignifiante située dans la région des Trois-Frontières, au carrefour de l'Allemagne, de la Suisse et de l'est de la France. Ses vingt mille habitants peuvent se répartir en trois groupes : ceux qui n'aspirent pas spécialement à vivre dans un endroit moins terne ; ceux qui n'ont pas les moyens de partir ; et ceux qui, pour des raisons connues d'eux seuls, s'y plaisent. »
Georges Gorski, inspecteur dans cette ville, est amené à enquêter sur un banal accident de voiture : un certain Bertrand Barthelme, notaire du coin, a trouvé la mort brutalement une nuit tandis qu'il se rendait… Eh oui, c'est bien ça le problème… C'est qu'on ne sait pas où il se rendait ni précisément ce qu'il faisait sur cette route et à cette heure-là. Et c'est sa femme qui va discrètement demander à l'inspecteur d'enquêter, car elle s'interroge… Oui, normalement, tous les mardis soirs, son mari va dîner avec ses collègues… Et il n'avait donc rien à faire sur cette route !
Le problème c'est que Gorski n'a aucun doute : c'est un accident. Point barre. Maintenant, Madame Lucette Barthelme est plutôt jolie et son décolleté plongeant assez tentant… Gorski veut bien faire un petit effort mais il a lui-même pas mal de soucis et une belle dépression à peine contenue qu'il noie régulièrement dans l'alcool  : sa femme l'a quitté, ses collègues l'apprécient peu et sa mère perd la tête… (J'aime bien cet inspecteur qui a encore un brin de morale, d'humanité et n'aime rien tant que de s'asseoir derrière un bar pour siroter un demi…)
Que dire encore ? (Pas la peine de me prier de ne rien dévoiler… Là-dessus, il n'y a pas grand risque… ah, ah, ah…) Bon, finalement, celui que nous allons suivre de près s'appelle Raymond Barthelme, fils du défunt… Oui, c'est lui qui va passer sur le devant de la scène… C'est lui aussi qui m'a fait penser à Meursault… Il est assez étrange ce garçon, un peu paumé… On ne sait pas trop ce qu'il cherche ni comment il va réagir… En tout cas, la mort de son père ne semble pas beaucoup le peiner… Il va trouver dans un tiroir du bureau paternel un mot sur lequel est notée une adresse… Qui a pu écrire cela ? Et pourquoi ? Roulements de tambour… Suspense insoutenable…
L'écriture extrêmement minutieuse dans les descriptions crée, je trouve, plein de leurres : on se dit qu'en effet, si deux pages (ou plus) sont consacrées à la description d'une femme qui entre dans un bar avec son petit chien, boit un cognac puis ressort, oui, on se dit que cette femme a forcément quelque chose à voir avec l'intrigue… Eh bien non ! Les détails abondent sans qu'ils aient de lien avec l'intrigue. Les portraits à la Degas (vous savez la femme devant son verre, « l'Absinthe ») sont nombreux et franchement assez réussis et l'atmosphère étouffante de la petite ville, la mélancolie, la tristesse, l'ennui qui pèse comme un couvercle sur les esprits (etc, etc.) assez génialement rendus, il faut bien le dire… Chacun semble traîner sa misérable vie comme un fardeau... Une éventuelle enquête policière sur un éventuel meurtre aurait pu divertir, distraire un tant soit peu les âmes en peine… Mais il n'en est rien. Le vide demeure, aucune issue ne se présente et chacun reste à sa place. Plus qu'un roman policier, L'Accident de l'A35 présente un tableau d'une province française tristounette aux décors surannés et de ses habitants dans les années 80/90 (pas de portables etc, etc, un autre monde quoi...)
Pas désagréable à lire mais il manque quand même, à mon avis, un petit quelque chose…
(Cela dit, j'aime bien Gorski, oui, lui, je l'aime bien...)

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